26.5.06

Les Tribulations d’un Etudiant en..... euh...
– Une épopée minuscule –


Voici le récit circonstancié d’une de ces petites aventures dont on pourrait dire qu’elle font le sel d’une vie d’étudiant en lettres, et qu’à ce titre il serait dommage de mettre sous le boisseau.

Mi-mars (eh oui, le début de tout cela remonte loin!), je découvre sur le site fabula la sortie en format "poche" (ou approchant) d’une thèse sur le thème de la religion chez Zola:

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Cette nouvelle éveille chez moi un intérêt certain, car si je reste sur le projet de thèse que je nourris depuis un certain temps maintenant, c’est un thème que je serais, entre autres, amené à traiter. Donc autant profiter de ce qu’une étude a priori sérieuse sur la chose est disponible à un prix relativement abordable (16€ quand même, mais après tout autant profiter de l’allocation de recherche que j’ai réussi à décrocher).

Une rapide recherche sur différents sites Internet de vente m’apprend alors deux choses:

– d’une part, que cette édition «quasi-"poche"» est la réédition d’une version «pas "poche" du tout» chez le même éditeur qui coûte, elle, dans les 100 euros (je n’ai jamais bien compris la politique éditoriale de Droz et Honoré Champion.... je suppose qu’ils préfèrent tabler sur l’achat de leurs livres par les Bibliothèques Universitaires et pas par les étudiants... car personnellement je ne connais aucun étudiant qui peut se payer, surtout de façon plus ou moins régulière, des livres à plus de 100€ pièce, et ce même si le sujet l’intéresse ou qu’il en a besoin pour ses études);

– d’autre part, que le livre (dans sa version "semi-poche" en tout cas) est marqué "Définitivement indisponible" sur TOUS les sites de ventes par Internet; ce qui ne laisse pas de m’étonner étant donné que le livre est paru moins de deux semaines auparavant!

Je n’ai jamais fait d’étude d’économie ou de commerce, mais un livre définitivement épuisé moins de deux semaines après sa parution, ce n’est pas banal. On peut bien sûr imaginer que tous les exemplaires mis sur le marché soient partis comme des petits pains (m’enfin je vous rappelle tout de même qu’on parle d’une thèse sur la religion dans les romans de Zola!!), mais même si cela était le cas, la politique éditoriale de n’importe quel éditeur logique, même pour des zozos comme les gars de chez Champion (voir plus haut), serait, du moins me le semble-t-il, de sauter sur l’occasion et d’en sortir une deuxième fournée des presses.

Dans un tel cas, les sites de vente indiqueraient le livre comme provisoirement manquant, ou en cours de renouvellement... Mais non, là ils sont tous unanimes: le livre est indisponible DEFINITIVEMENT. Ah.

Comme je suis du genre opiniâtre, je décide d’aller me renseigner dans une librairie (type universitaire) en me disant qu’ils en sauront peut-être un peu plus. C’est ce que je fais pendant les vacances de Pâques, profitant d’un passage à Aix pour me rendre dans l’une des plus grandes librairies de la ville. Le libraire regarde alors sur Electre, la base de données en ligne réservée aux libraires, et là surprise (enfin presque...), le site indique, lui aussi, le livre comme "Définitivement indisponible". Le libraire ne comprend pas non plus, mais comme nous sommes en fin d’après-midi / début de soirée, il me conseille de revenir un autre jour un peu plus tôt, histoire qu’il puisse téléphoner chez l’éditeur pour avoir un peu plus d’informations.

Plusieurs semaines après – nous sommes donc fin avril –, je reviens à Aix et j’en profite à nouveau pour retourner dans ladite librairie, j’expose mon cas à une autre vendeuse, qui regarde sur son catalogue interne.....

...et m’annonce qu’ils ont le livre en rayon!!

Sauf que je ne l’ai vu nulle part. Elle cherche elle aussi. Ne trouve pas. Me dit que si je peux repasser dans dix minutes / un quart d’heure, sa collègue, qui a dû ranger le livre à un endroit inconnu d’elle (elle: celle à qui je parle, pas la collègue, sinon on ne s’en sort pas...), pourra mieux me renseigner. Je pars faire un tour à l’étage parmi les livres de poche, redescend au bout d’une dizaine de minutes, croise par hasard – en train de partir – ma vendeuse de tout à l’heure, qui me dit que sa collègue est arrivée mais qu’apparemment le livre est manquant.

Je descend, me présente à la nouvelle vendeuse (ré-explication de mon cas...), qui m’explique que d’après leur base de données, ils ont le livre, sauf qu’ils ne l’ont pas, ce qui semblerait indiquer qu’ils se le sont fait chourer.

(Nota Bene: à ce stade de l’aventure, notre héros commence à se demander s’il n’est pas maudit ou marqué d’un signe façon Caïn...)

Cependant, rien n’est perdu, il me reste encore une alternative avant de refiler la quête de ce fichu bouquin à un ami arborant chapeau, fouet et veste en cuir (vous savez celui qui a déjà retrouvé l’Arche d’Alliance et le Graal). En effet, mon accorte interlocutrice me dit que si je veux, je peux en commander un autre exemplaire. Si si, il est disponible!

Comme je suis du genre tenace, je commande, tout heureux que ma quête touche enfin à son terme.

Eh eh...

Vous y avez cru? :-D

Une semaine passe, et alors que je m’apprête à retourner à Aix pour bosser à la B.U. – et au passage récupérer mon fameux livre sur Zola qui a dû arriver en librairie –, je reçois un coup de téléphone. – Et la série noire continue!

On m’annonce donc (ou pour être plus précis on annonce à mon auguste génitrice, qui a pris la communication au téléphone avant moi) qu’ils ne peuvent obtenir le livre... Explication: il y a en fait un problème dans la conception du livre... ce qui explique qu’il n’ait pas été mis sur le marché.

L’imprimeur qui a fait la boulette et qui doit donc, je le suppose, tout réimprimer doit être content. L’éditeur aussi. Quant à l’auteur, j’ose même pas imaginer. Tout cela ne nous dit pas pourquoi un livre qui, d’après ce que je déduis de ladite conversation téléphonique, n’est JAMAIS SORTI, est marqué un peu partout comme DEFINITIVEMENT INDISPONIBLE, ce qui n’est pas franchement la même chose... Mais il est des mystères qui nous dépassent, et dont on ne peut même pas prétendre être les organisateurs. Je me dis simplement que tout cela confirme la vanité de ma Quête de ce fichu bouquin, et qu’avec un peu de chance si un jour ils décident de le réimprimer je retenterai ma chance, mais que ça va prendre du temps.

Fin de l’aventure? Vous vous doutez bien que je n’écrirai pas ce post fin mai si tout cela s’était terminé il y a plusieurs semaines (je sais que j’ai parfois du retard dans mes rédactions, mais tout de même). Donc, ULTIME REBONDISSEMENT !

Me voici donc à Paris, et je fais un saut comme chaque fois chez un grand libraire d’occasion que je ne nommerai pas car ce sont des escrocs mais qui est bien pratique quand même. Et là, qu’est-ce que je vois?? Un exemplaire de La religion de Zola de Sophie Guermès, dans la fameuse édition "semi-poche", et qui plus est... d’occasion!!

Première surprise, il y a donc bien eu quelques exemplaires qui ont circulé. Mais au courant que ces exemplaires sont censés être fautifs, je feuillette consciencieusement le bouquin à la recherche d’éventuels problèmes, genre 20 pages qui manquent en plein milieu ou des pages dédoublées... Rien.

Après avoir longuement examiné la Chose, et n’y trouvant absolument rien d’anormal, je décide, malgré ma perplexité, de trancher le nœud gordien et j’embarque le bouquin.

Et en fait.... j’ai enfin trouvé quel était ce fameux problème!

C’est la page de titre intérieure !!

MDR

L’imprimeur s’est planté et au lieu de reprendre le titre du livre, le nom de l’auteur, l’année de parution, etc. ... ils ont mis à la place la page de titre d’un autre ouvrage paru chez le même éditeur dans le même type de collection..... l’édition bilingue d’un texte médiéval (Le Bel Inconnu de Renaud de Beaujeu), édition parue il y a deux ou trois ans !! :D

Donc voilà. Après deux mois et demi de recherche, j’ai enfin obtenu le bouquin que je cherchais. C’est un bouquin dont je peux me vanter (tant qu’il n’est pas "réédité" en tout cas) d’être un des rares à le posséder. La page de titre est complètement décalée mais c’est a priori le seul défaut. Et je l’ai payé pour les deux tiers du prix de vente normal.

Y a quand même de chouettes surprises de temps en temps, dans la chienne de vie d’un étudiant.



Post-scriptum: À l’heure où j’écris ce post je suis retourné sur lesdits sites de vente par Internet (pour récupérer l’image en haut…). Je signale qu’à présent qu’alapage met en vente le livre normalement, alors qu’amazon ne le propose que sur commande, tout en précisant qu’«il se peut que cet article soit supprimé ou momentanément indisponible chez l'éditeur.» Comme disait Jean Moulin, va comprendre, Charles.

21.5.06

Divertissement royal en nocturne

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Sautant allègrement et sans trop de remords le compte-rendu complet et circonstancié de ma journée un rien pourrie de mercredi (ah! la joie de se faire sabrer par sa prof qui a enfin lu, après deux mois, le début de votre mémoire, est satisfaite de ce que vous dites mais pas de la façon dont vous le dites, et vous annonce grosso modo qu’il vous faudrait tout réécrire...), j’en viens à un premier post fait sous les cieux plus cléments – je ne parle pas en termes météorologiques ;D – de la capitale que je retrouve (enfin) après deux mois.

Donc voilà, hier soir c’était la Nuit des Musées: tout un tas de visites gratuites et nocturnes étaient proposées un peu partout en France, et j’avais convaincu Sophie de mon projet un peu fou d’en profiter pour aller à Versailles.

Vu que, d’une part, Sophie et moi avions du boulot (surtout elle en fait, mais quand même!), et que, d’autre part, se pointer à l’ouverture de la Nuit était le meilleur moyen d’être tout sauf seuls dans les murs du château, c’est vers 22h que nous nous sommes mis en route.

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On ne sait pas trop pourquoi, mais le RER C s’est arrêté plus de dix minutes aux Invalides... On commençait à se poser des questions, quand tout à coup un autre RER arrive sur le quai d’en face... Du coup tout le monde est sorti précipitamment pour aller prendre l’autre... sauf que l’autre n’allait pas à Versailles mais vers Argenteuil! Mais bon quand il y a un mouvement de foule, vous ne voudriez pas prendre le temps de réfléchir non? En fait une fois que pratiquement tout le monde a évacué notre RER... les portes se sont fermés et on est repartis! Il n’y avait plus qu’une demi-douzaine de personnes à tout casser dans notre rame... mais on étais tous morts de rire! Et la tête de ceux qui venaient de quitter le RER C pour se tenter de s’incruster dans un autre train bondé, qui à son tour est resté à quai... en attendant de reprendre sa route vers une destination qui n’était pas la bonne........ c’était excellent! ;-D

Bref vers 23h nous sommes arrivés à

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puis nous avons marché jusqu’au château

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Bon d’accord on n’était pas les seuls!

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Mais la queue ne faisait qu’une vingtaine de mètres, alors qu’il paraît qu’à 21h la queue allait jusqu’aux grilles du château (je sais pas si vous vous représentez! :D).

En plus y avait des comédiens et des saltimbanques pour "aider" le public à patienter:

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...et donc au bout d’une petite demi-heure on a pu rentrer à notre tour. Bon il aurait pas fallu arriver plus tard, on était le dernier groupe, à plusieurs reprises on s’est fait chasser des pièces parce qu’ils fermaient derrière nous. Mais le timing était plutôt bon du coup: on a pu tout de même faire la visite et on a évité l’heure de pointe avec toutes les familles et leurs bambins.

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(Comment ça cette photo n’a rien à faire là? Mais si mais si...)

Donc au programme de cette Nuit des Musées au château une petite ballade organisée à travers des lieux connus comme le salon de Mars ou la galerie des Glaces (au passage top l’idée des restaurateurs pour cacher la partie en travaux: pour la partie centrale ils ont conservé une "allée" pleine de lampes et ont caché tout le reste par un gigantesque mur de miroirs... ce qui évite de casser la perspective et crée une impression de continuité; chapeau les artistes)

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...je disais donc au programme de la ballade des lieux connus mais aussi des appartements que l’on visite beaucoup plus rarement, et le tout dans une ambiance... ben nocturne forcément: franchement déambuler dans un Versailles éclairé à la lueur des bougies (certes électriques les bougies, bien sûr..... mais on ne va pas faire la fine bouche!) est une expérience à ne pas manquer.

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Le tout était agrémenté de tout aussi magnifiques interventions de musiciens

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(il y aura aussi une chouette vidéo à télécharger dans les commentaires bientôt, je mettrai le lien dès que j’aurai compris comment marche l’espace perso de free) ...ainsi que de comédiens jouant des saynettes inspirées des mémorialistes d’époque ou encore une scène de Molière

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Bref autant vous dire que malgré l’heure tardive tout ça ne donnait pas envie de se coucher

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(d’accord, d’accord, elle était facile celle-là...)

Il a pourtant bien fallu quitter les lieux après cette balade enchanteresse. On a attrapé le Noctilien de 1h du matin et on a repris la route de Paris... Mais la soirée n’était pas finie! car dans le Noctilien aussi on a encore eu droit à un autre type de spectacle!!

Des dindes!!! Un élevage!!! :-D
(Ami Hervé, nous avons pensé à toi! MDR)

En résumé (car le spectacle a tout de même duré plus d’une demi-heure) il y avait un couple, majoritairement occupé à s’entre-dévorer la bouche, mais en même temps la dinde (blonde) du couple, Clem’, s’occupait d’essayer d’arranger un coup à sa copine la dinde (brune) célibataire du rang de devant, Val’. Point de départ de l’affaire: Clem’ téléphone pour Val’, mais surtout surtout hein sans dire que c’est Val’ qui a demandé, pour qu’un gars dont j’ai oublié le nom (appelons-le Gérald) vienne la récupérer (Val’, parce que Clem’ continuait plus loin en taxi avec son mec) à Montparnasse à une heure et demie / une heure trente-cinq. Tout cela se passe bien sûr à voix – très – haute, histoire d’en faire profiter l’ensemble du car. Le coup de téléphone passé, Clem’ explique à Val’ qui a un peu honte quand même et se rend bien compte que le plan sent le cramé question discrétion de la manœuvre, que non non pas du tout, Gérald il est à fond, il était même prêt à partir pour être à Montparnasse à 27, elle n’a pas à s’en faire. C’est à ce moment-là que Val’ s’interroge sur l’opportunité, qui ne la tente en fait que moyennement, de baiser dans la voiture de Gérald (en même temps elle s’est faite larguer deux semaines plus tôt pour avoir refusé ce genre d’exercice alors...). Les minutes passent, Val’ discute avec un Espagnol assis à côté d’elle qui essaye de la draguer et elle lui refile les bonnes adresses des boîtes de nuits parisiennes ainsi que des sites internet de rencontre. À une heure et demi, ce qui était prévisible, le Noctilien est encore loin de Montparnasse et l’on est à peine à Boulogne. Val’ flippe et donne des signes de ce qui ressemblerait (presque) à de la culpabilité. Clem’ lui conseille de fermer sa gueule, et que dix minutes en retard à un rendez-vous c’est bien, c’est ce qu’il faut, et que de toute façon Gérald n’a rien d’autre à foutre que l’attendre, en tout cas pas passer du temps avec son ami Carl qui est moche et con. Val’ acquiesce quant à ce dernier point mais reproche ensuite à Clem’ de lui avoir monté ce plan, la mettant ainsi dans une situation gênante. Le copain de Clem’ chambre Val’ en lui faisant remarquer qu’il y a pire comme situation, et Val’ la rassure en lui disant que si de toute façon elle a pas envie, une fois arrivé chez Gérald elle a qu’à aller dormir sur le canapé. Le Noctilien arrive finalement à Montparnasse, Sophie et moi descendons également pour continuer notre chemin à pied tout en libérant enfin l’hilarité difficilement contenue pendant les quarante minutes qui précédaient.

Décidément cette nuit-là on aura eu des tas de spectacles! Bon, le dernier nettement moins classe que le précédent il faut dire.... ;-)

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16.5.06

Ils sont fous ces Sicanes
(Que celui qui à cours de titre ne s’en est jamais sorti par une vanne pourrie me lance le premier virus...)

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Voilà pendant que je suis dans les posts cultureux, une petite pub pour l’exposition «Des Grecs en Sicile» qui vient d’ouvrir ses portes à la Vieille Charité (à Marseille donc, je le rappelle, ou le signale, pour d’éventuels lecteurs qui ne seraient pas du coin).

Cette exposition s’attache à présenter le résultat de fouilles archéologiques dans l’Ouest de la Sicile pour montrer comment populations autochtones, Elymes et Sicanes, et colons grecs y ont cohabité. (L’exposition concerne la partie occidentale de l’île car dans l’autre moitié, les Sicules se montrèrent plus réticents à ouvrir leur territoire aux colons étrangers.) Entre l’époque archaïque et la conquête romaine, la Sicile occidentale connut ainsi une longue période de profondes transformations nées de contacts et de rencontres. Bien sûr tout ne se passa pas toujours sans heurt, surtout lorsque la Sicile devient enjeu ou champ de bataille (au cours de la Guerre du Péloponnèse, puis plus tard des Guerres Puniques). Mais dans l’ensemble la rencontre se fit de façon plutôt harmonieuse et porta de beaux fruits, dont quelques-uns exposés aujourd’hui à la Vieille Charité.

Et puis, parmi les Siciliens célèbres de l’époque on peut citer Archimède, Empédocle ou encore Gorgias: si ça c’est pas un exemple d’intégration réussie! :-D

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Le "petit" bémol de l’exposition, c’est un manque flagrant côté pédagogie. En dehors de panneaux présentant chaque lieu de fouille (et de façon parfois un brin absconse), l’étiquetage de chaque pièce présentée est pour le moins minimaliste: nom (technique), origine de l’artefact, pas un seul commentaire, et vogue la galère pour les non-spécialistes. Or, tout le monde n’est pas sensé savoir ce qu’est une oenochoé ou un(e?) lékanè. Et quand bien même la fréquentation des musées vous aura appris à différencier une amphore d’une lampe à huile (je caricature, bien sûr!), il n’est pas dit que vous sachiez discerner les traces de l’influence hellénique sur une décoration de vase (par exemple). Les experts de la Sicile antique ne courant tout de même pas les rues, et l’objectif logique de ce genre d’exposition étant justement de faire connaître les richesses de ce patrimoine, il est un peu dommage que cette orientation vers le grand public ait du mal à se traduire en actes.

Mais rassurez-vous, non, ne fuyez pas, tout n’est pas perdu. Il y a des visites guidées. – Rassure-toi Katia, il ne s’agit pas du même guide aussi inintéressant que pontifiant que nous avions croisé à la précédente exposition de la Vieille Charité sur les dessins italiens il y a quelques mois, et que tu avais déjà subi à une exposition d’art contemporain! – Bon, d’accord, petit bémol n°2, il n’y a que trois visites guidées par semaine: une le samedi et le dimanche. Mais elles sont gratuites et plutôt bien faites. Et les tarifs de la Vieille Charité faisant partie des plus avantageux que je connaisse parmi ceux pratiqués par les musées (moins cher, c’est gratis), vous n’aurez plus aucune excuse – si vous vous intéressez à la chose, bien évidemment – pour y aller faire un tour d’ici le mois d’août.

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Avis aux amateurs de vaisselle cassée. ;-)

15.5.06

Les enfants terribles ne sont plus ce qu’ils étaient

Ils sont jeunes, beaux, passionnément amoureux l’un de l’autre, mais des affaires familiales viennent compliquer tout ça. C’est une pièce du théâtre élisabéthain dont l’action est située en Italie... Roméo et Juliette de Shakespeare? Raté, Dommage qu’elle soit une putain, de John Ford (1633).

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Sans vouloir ternir l’ombre du génie de Shakespeare – que je considère comme l’un des plus grands dramaturges de tous les temps (avis subjectif, d’accord c’est pas très original, mais bon...) –, il faut reconnaître que son éclat a éclipsé pour la postérité celui de nombre de ses contemporains et continuateurs. Dont John Ford (aucun lien de parenté avec le réalisateur américain, du moins à ma connaissance), qui, il faut bien le dire, doit sans doute sa survie dans nos mémoires à cette seule pièce hors normes.

Nous voilà donc à Parme (et non pas à Vérone), et le problème d’Annabella et Giovanni ne vient pas de ce qu’ils appartiendraient à deux familles rivales, mais au contraire de ce qu’ils sont... frère et sœur. Malgré les interdits, le couple se forme pourtant, en secret, jusqu’à ce qu’Annabella tombe enceinte. Elle accepte alors d’être mariée à l’un de ses prétendants, Sorenzo, lequel ne tarde guère à découvrir l’état de son épouse. Mais le mécanisme qui doit mener l’affaire à un final barbare et sanglant est depuis longtemps enclenché.

Dans un monde corrompu où être moins pire que les autres vaut déjà dignité d’éloges, Giovanni et Annabella, amants incestueux et autodestructeurs, qui ne reculent devant l’amour ni devant la mort (la leur et celle des autres), fascinent par leur volonté de braver toutes les lois pour aller jusqu’au bout de leur logique – le bout en question fut-il un véritable carnage. Coincé entre un père, au mieux aveugle, au pire maquereau, une nourrice à la moralité qu’on ne saurait pas même qualifier de douteuse, un Sorenzo qui oublie un peu vite qu’avant sa propre union il a déjà poussé une femme à se débarrasser de son mari, un serviteur espion et manipulateur, etc., etc., etc., le couple criminel ferait presque figure d’icône de pureté – anges et démons à la fois, mais du moins étrangers à la médiocrité ambiante.

Je suis allé samedi au théâtre de la Criée à Marseille en espérant le meilleur (car j’avais déjà lu la pièce) et en redoutant le pire (car j’avais lu aussi la note d’intention du metteur en scène). Le résultat fut hélas... mitigé. Yves Beaunesne a-t-il voulu, lui aussi, jouer à l’ange et au démon tout à la fois? toujours est-il que sa mise en scène, elle, n’échappe pas toujours à l’écueil de l’entre-deux.

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Première constatation, Yves Beaunesne a fait le choix de pratiquer de larges coupes dans le matériau original. En langage de metteur en scène, on appelle ça «réduire l’histoire à ses éléments premiers». De fait la version proposée concentre l’action autour des deux personnages principaux, élaguant impitoyablement toute intrigue secondaire comme d’ailleurs tout intermède comique... Ce sont ainsi pas moins de six rôles (!) qui disparaissent de la distribution prévue par l’auteur. Triple avantage: économiser sur le nombre d’acteurs (le théâtre est toujours une entreprise financièrement périlleuse...) en n’ayant plus à en embaucher que huit, réduire (d’au moins un quart, si ce n’est un tiers) la longueur de la pièce et donc sa durée, et enfin la rendre, incidemment, plus proche des canons de construction d’une tragédie classique française. Reconnaissons du moins que c’est, sur un plan strictement technique, bien fait, dans la mesure où un spectateur n’ayant jamais lu ni vu jouer la pièce dans son intégralité auparavant ne soupçonnera guère qu’à deux ou trois reprises la manipulation. Seulement ces coupes sombres ont quelques effets secondaires sur l’économie de la pièce, entre autres celui de rendre moins négatifs certains des personnages qui gravitent autour du couple, ce qui n’est pas, du coup, sans modifier l’orbite propre de celui-ci, qui apparaît en quelque sorte plus "coupable"...

Par exemple, en ne présentant que Sorenzo parmi les prétendants d’Annabella, on supprime aussi les marchandages autour du mariage et l’on fait de Florio une sorte de bon papa-gâteau assez sympathique, manquant juste un peu de lucidité sur sa progéniture, alors que le personnage de la pièce est plus complexe. Quant au rôle du cardinal, on n’ose à peine dire qu’il est véritablement conservé, puisqu’il se voit réduit à quelques répliques au-dessus de tout reproche (on s’arrangera même pour atténuer la cruauté de la réplique finale, qui donne son titre à la pièce... en évitant, justement, d’en fait la réplique finale et en enchaînant sur une note plus neutre), alors que la pièce le montre beaucoup plus cynique, fin politique et prévaricateur – de fait la pièce, issue de l’Angleterre calviniste, contient une composante, discrète mais essentielle, d’anticatholicisme, qui disparaît ici.

Deuxième constatation, sur le plan de la mise en scène pure. Avec un plateau de bois nu pour unique décor, la scénographie d’Yves Beaunesne joue la carte de l’austérité. – Est-ce ce choix d’austérité qui fait à plusieurs reprises lorgner la mise en scène du côté de l’Extrême-Orient?... en tout cas cela donne parfois des résultats surprenants, pour ne pas dire à la validité douteuse (par exemple dans l’épisode du Masque). – En contraste, le jeu des acteurs se situe plutôt du côté du maniérisme. Côté paroles, ça déclame à plusieurs reprises, et côté jeu, on n’hésite pas à se rouler par terre à tout bout de champ (le roulage par terre, c’est la patte d’eph’ du théâtre contemporain, ça revient à la mode périodiquement; et en ce moment, c’est à la mode). Le plus problématique est que le jeu des acteurs semble de plus en plus artificiel au fur et à mesure de l’avancée de la pièce, ce qui conduit inévitablement à ôter une grande part de sa force au final de la pièce, là justement où cette force devrait le mieux apparaître... (Autre exemple des mauvais résultats des procédés de mise en scène appliqués ici: l’hilarité de la salle lors de la mort de la nourrice; gênant, n’est-il pas?)

De même qu’Hamlet, Giovanni est à l’origine un brillant étudiant. Mais alors que le prince danois continue longtemps d’essayer d’appliquer ses raisonnements à un monde en débandade, Giovanni, lui, délaisse dès le début de la pièce les leçons de la Raison, réduites à une sophistique ironiquement spécieuse pour justifier ses actes, pour s’abandonner à ses pulsions. Yves Beaunesne aurait peut-être dû faire lui aussi ce parallèle, cela l’aurait incité à respecter la pulsion et la force du texte plutôt de se perdre dans une dialectique du contraste scène/jeu qui finit par tourner court, et dans de fausses audaces de mises en scène dont aucune n’est vraiment innovante mais qui affaiblissent petit à petit la portée de l’œuvre.

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À lire ce qui précède, on pourrait croire que mes impressions sur la mise en scène ne furent pas seulement mitigées, comme je le disais plus haut, mais carrément désastreuses. Une telle affirmation serait exagérée. Disons que ma déception a été à la hauteur de mon attente. Et que l’attente était grande.

Bon, dans l’absolu, j’ai déjà subi nettement pire en tant que spectateur (avant d’en arriver au degré de nullité de cette mise en scène de Marivaux que j’avais vu quand j’étais au lycée, y a de la marge...). Il y a même, il faut être honnête et le reconnaître, de bonnes idées. Je pense, par exemple, au rôle joué par le drap, et en particulier à la répétition de la même configuration: le drap, représentant le lit, au centre de l’espace scénique, et recouvrant un couple (Annabella et Giovanni, puis Annabella et Sorenzo) pendant que les autres acteurs jouent: voilà une idée forte, très visuelle et qui en même temps fait sens en jouant du contraste (eh oui encore, mais cette fois ça marche) entre les différentes attitudes des acteurs au sortir dudit lit: la première fois, Annabella et Giovanni conservent leur nudité, jouent ensemble et renouvellent leur serment, alors qu’à la seconde occurrence, Annabella et Sorenzo, remettant hâtivement en place des vêtements à peine en désordre, laissent éclater à voix haute leur rancœur et leur dégoût mutuels.

Reconnaissons-le également, on ne peut pas dire que l’on s’ennuie devant la mise en scène proposée par Yves Beaunesne (bon en même temps, avec une pièce raccourcie aux deux tiers... oups, pardon, j’avais dit que je critiquais plus, désolé). Seulement voilà, on ne sursaute pas non plus de stupeur et l’on n’est pas pris d’un enthousiasme tétanisant. Au final, on a plus l’impression que c’est la force intrinsèque de l’œuvre de Ford qui "survit" à la mise en scène plutôt que l’inverse. On l’aura compris, il n’est pas sûr (quoique, allez savoir avec la postérité, mais bon...) qu’Yves Beaunesne intègre pour cette fois la liste des grands noms de la mise en scène qui ont déjà proposé des visions marquantes de Dommage qu’elle soit une putain ces dernières décennies – les Luchino Visconti (en 1961), Roland Joffé (1972), Stuart Seide (75), Jérôme Savary (97)... mais sa mise en scène n’étant pas non plus un naufrage total, que ça ne soit pas une raison pour fuir la représentation d’une pièce encore trop largement méconnue.

Dommage, simplement, que ça manque un peu de punch.

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NOTA BENE : pour ceux que ça intéresse, pas moins de trois versions de la pièce existent en poche; une chez Gallimard, en «folio théâtre», une chez Actes Sud, «Papiers», qui propose l’adaptation qu’en avait fait Jérôme Savary, et une aux éditions des Solitaires Intempestifs qui reprend l’adaptation proposée par Yves Beaunesne. Si vous vous intéressez au théâtre élisabéthain en-dehors de Shakespeare, les éditions de poche ne sont pas légion. C’est bien sûr Christopher Marlowe qui se taille la plus grande part des restes. Son Edouard II est disponible chez Gallimard, dans la collection «Le Manteau d’Arlequin», son Tamerlan le Grand chez Circé, Massacre à Paris aux Solitaires Intempestifs; quant à sa pièce de loin la plus connue, je veux bien sûr parler de son Docteur Faust, vous la trouverez en édition bilingue, soit en GF chez Flammarion, soit dans la collection «Classiques en poche» des Belles Lettres. Après avoir été longtemps consacrée exclusivement à la littérature de l’Antiquité, c’est maintenant, justement, le théâtre anglais de la Renaissance qui a les honneurs de la collection avec, outre le Marlowe cité, et bien sûr plusieurs titres de Shakespeare, Volpone ou le Renard de Ben Jonson (histoire de changer de la tragédie...), et récemment La duchesse d’Amalfi de John Webster et La tragédie de Sophonisbe, ou la merveille des femmes de John Marston.

12.5.06

Splendeur et misère des étudiants

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En bref car je n'ai pas trop le temps, et à destination de ceux à qui je ne l'ai pas déjà expliqué sur MSN, voici le résumé de ma situation actuelle:

Début mars, juste avant de partir pour Paris, et la fac étant bloquée, c'est par courriel que j'ai envoyé (en pièce-jointe) la première partie de mon mémoire principal à ma directrice de recherche, Mme K***. J'espérais qu'elle la lirait pendant mon séjour parisien et que nous pourrions nous voir à mon retour, malheureusement un courriel en réponse m'informa que je ne devais pas y compter car quelques jours après mon retour Mme K*** s'envolait pour l'autre côté de l'Atlantique où elle devait participer à un colloque; il lui était apparemment impossible de me rencontrer dans la demi-semaine qui séparait mon retour de son départ et il fallait donc attendre son retour à elle, début avril, pour envisager de se voir.

Ladite date de retour début avril étant passée, et ne voyant toujours rien venir, je profitai à la mi-avril du prétexte de mon changement de fournisseur d'accès internet pour lui envoyer ma nouvelle adresse dans un message qui cherchait à lui signifier à mots couverts ma désorientation de ne toujours pas avoir de ses nouvelles (rappellons qu'à ce moment-là plus d'un mois s'était écoulé depuis la remise cybernétique de la première partie du mémoire). Pas de réponse. La date de la fin de l'année s'approchant à grands pas, surtout si l'on considère que j'avais encore plus d'une centaine de pages à rédiger, je décidai alors de continuer ma rédaction en me disant que pas de nouvelle, bonne nouvelle, et que si mon mémoire partait fondamentalement dans une mauvaise direction l'on pouvait résonnablement supposer que ma prof aurait pris la peine de m'en avertir.

Accessoirement, pendant les vacances de Pâques, je croise à la B.U. Véronique, qui a elle aussi Mme K*** en directrice de mémoire, et qui m'indique qu'elle non plus n'arrive pas à la joindre, pas plus d'ailleurs que d'autres personnes travaillant en thèse avec Mme K***.

Au début de cette semaine, je reçois un mail de Véronique qui m'invite à lui téléphoner, ce que je fais. Elle m'informe qu'elle a réussi à coincer Mme K*** à la sortie d'un de ses cours et à obtenir quelques informations, notamment sur les dates des prochains cours. Elle m'informe également d'une chose que Mme K*** avait... hum comment dire... omis de signaler deux mois plus tôt jour pour jour, à savoir que la boîte mail de cette dernière, suite à je ne sais quel dysfonctionnement, NE LIT PAS les pièces jointes.



.....

Je pouvais toujours attendre d'avoir un avis sur un texte qu'en conséquence elle n'a jamais lu.

J'envoyais aussitôt un mail à Mme K*** pour lui proposer de lui remettre une version papier... mais Mme K** partant le lendemain pour Paris, elle me conseillait plutôt de lui envoyer par la poste à son domicile... ce qui lui permettrait de le lire..... d'ici la fin de la semaine prochaine.

Envoi que je fis le lendemain... en résistant (héroïquement) à la tentation de rajouter de l'anthrax dans l'enveloppe.

Et maintenant, après avoir perdu plus d'un mois à ne pas rédiger mon mémoire principal parce que j'attendais l'avis de ma prof, je suis reparti dans une bonne semaine de rédaction intensive pour essayer de boucler une version à peu près présentable de ma deuxième partie pour ladite fin de semaine prochaine.

Je ne peux m'empêcher toutefois de me poser une question.

C'est moi qui collectionne les directrices de recherche fugueuses, ou le problème est-il plus général?

5.5.06

And the winner is Quelqu’un ! ça change

Alors que je commençais à désespérer de voir quelqu’un s’intéresser à ce concours qui n’était pourtant pas d’une difficulté extrême, Il est arrivé, comme tombé du ciel dans les commentaires de mon blog. Il, c’est Yves, et si je ne peux pas vous affirmer qu’Il vient du ciel (et les étoiles entre elles..... désolé), il semblerait qu’Il vient de Montpellier. Yves passait donc par là, a vu de la lumière, est entré, et il a bien fait.

Yves a donc gagné un carambar virtuel

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(ouais je sais j’ai fauché l’idée à la boîte à images) pour avoir trouvé l’une des deux bonnes réponses!

Pour cette photo-là, donc,

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le cadrage était inspiré de deux toiles de Corot, à savoir principalement celle-ci, qu’Yves a correctement identifiée:

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Florence, Vue prise des Jardin Bomboli (1835-1840)

La présence du personnage sur sa balustrade rappelait plutôt (bien involontairement de la part de la personne photographiée, bien sûr!) cette toile-là:

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Les jardins de la villa d’Este à Tivoli (1843)

...mais j’avoue que quand j’ai pris la photo j’avais amalgamé les deux dans ma tête et que c’est donc surtout la première toile (avec la position de la balustrade et des bâtiments) que j’avais à l’esprit! Comme quoi...

En tout cas félicitations Yves, qui que tu sois et merci aussi pour le petit conseil-ballade!

Voilà, et puis ça n’a rien à voir, mais pendant que j’y suis, merci à Hervé pour ces deux excellents fakes réalisés à partir de photos prises ce dimanche [cliquez sur les images pour les voir en grand]:

Free Image Hosting at www.ImageShack.us et Free Image Hosting at www.ImageShack.us

(Pour ceux qui veulent les photos du double-anniversaire d’Eliz et d’Anne à St Pons dimanche, tout est à télécharger par là; allez-y si ça vous tente, y en a jamais que pour quelques 90 mégas sans compter les photos d’Hervé, moi j’avoue que j’ai la flemme de les mettre en ligne une par une!)

2.5.06

Le bocal à bulles # 1: Lone Wolf and Cub

Premier numéro du « bocal à bulles », section spécialement consacrée à la bande dessinée qui reviendra de façon euh... vraisemblablement irrégulière, comme toujours, sur ce blog. Séries cultes ou à découvrir sont appelées à y tenir leur place. Et pour commencer, cette première livraison prend la direction de l’Extrême-Orient à l’occasion de la sortie il y a quelques jours chez les bons libraires hexagonaux de Lune à l’Est, Soleil à l’Ouest, 13e volume de la série Lone Wolf and Cub (Kozure Ôkami en v.o.) signée Kazuo Koike et Goseki Kojima.

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Dans le Japon du début de l’ère Edo (17e siècle), une période sombre où le pouvoir despotique du shogunat Tokugawa fait régner la terreur tandis que les valeurs traditionnelles se perdent dans le chaos ambiant, Ogami Itto forme avec son fils Daigoro, trois ans, un redoutable duo d’assassins connu sous le nom de Kozure Okami, c’est-à-dire "le loup solitaire et son petit" (lone wolf and cub en anglais). Anciennement exécuteur (kaishakunin, c’est-à-dire véritable "second") du shogun, Ogami est à présent un ronin, un samouraï sans maître qui erre à travers le pays en proposant ses services comme tueur à gage pour 500 ryos, poussant devant lui le landau de son enfant. Mais derrière les actions d’Ogami se cache un plan méthodique pour se venger de ceux qui lui ont fait perdre sa femme, son rang et son honneur.

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Publié entre 1970 et 1976 au Japon, Lone Wolf & Cub ne nous parvient qu’aujourd’hui. C’est ce qu’on appelle se faire attendre. D’autant qu’entamée en 2003, la publication française n’a pas encore tout à fait atteint le milieu de la série (qui compte au total 28 tomes, la traduction du 13e venant de paraître). Si vous êtes pressés de connaître la fin, il va falloir apprendre la patience... Quoiqu’il en soit, l’œuvre a eu le temps de devenir non seulement culte dans son pays d’origine, mais aussi de s’imposer comme une référence, une des grandes dates quasi-incontournables de l’histoire du manga. Car si les films inspirés de Lone Wolf & Cub – la célèbre série des Baby Cart – ont tout de même pas mal vieilli, ce n’est pas du tout le cas de la version papier qui, elle, a traversé les décennies sans prendre une ride.

Tout d’abord, il y a le style graphique assez atypique de Gôseki Kojima (ne vous fiez pas aux illustrations de couvertures, qui reproduisent l’édition américaine dont le design est l’œuvre de Frank Miller, le papa de Sin City et du Dark Knight, et fan de premier plan de la série), un style graphique réaliste, fouillé, bref, tout le contraire du style d’Osamu Tezuka et de nombre de ses disciples, plus proche, en fait, du canon occidental. Par ailleurs, son dessin fait souvent la part belle à des effets visuels surprenants. D’ailleurs le "scénario" et le "montage" qui jouent du contraste entre des moments assez contemplatifs et de fulgurantes scènes de violence (parfois extrême) ne sont pas sans rappeler le travail effectué "chez nous" à la même époque par un Hugo Pratt, ou encore par Sergio Leone derrière sa caméra quelques années plus tôt.

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Il y a ensuite, les scénarii, signés, eux, Kazuo Koike, autre grand nom du manga (également connu en France pour la série Crying Freeman, le monsieur est professeur à l’Univerité des Arts d’Osaka et toujours en activité dans le genre aujourd’hui). On peut dire schématiquement que l’action de Lone Wolf and Cub se situe sur deux plans:

– D’une part, la "trame principale", qui n’apparaît pas tout de suite. Dans les premiers volumes, deux chapitres, disséminés parmi les autres, reviennent sur la déchéance d’Ogami («La route de l’assassin», chapitre IX, à la fin du premier volume, et «Le chemin blanc entre les fleuves», ch. XVII, vol. 3). – À signaler que «La route de l’assassin» contient l’une des scènes les plus traumatisantes psychologiquement qu’il m’ait jamais été donné de lire en BD, celle où Ogami place son fils quasiment nouveau-né devant une balle et un sabre, le choix du bambin entre les deux devant décider de son sort: suivre son père sur la voie de l’assassin, ou être tué et rejoindre sa mère dans l’au-delà... – L’histoire de la vengeance d’Ogami Itto contre le clan Yagyu, responsable de son sort, occupe une place de plus en plus importante à partir de la fin du volume 9 (qui voit notre héros s’emparer d’un courrier secret du clan), et devrait logiquement occuper la première place du récit dans la seconde moitié de la série.

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– D’autre part, les "contrats" exécutés par le tueur à gages: ce sont des histoires courtes, sans lien entre elles. Cas exceptionnel: la prostituée sauvée par Ogami dans «À l’oiseau les ailes, à la bête les crocs» (ch. VIII, vol. 1) initie indirectement l’action de «Chat roux» (ch. X, vol. 2) en lui présentant une nouvelle commanditaire. En dehors de cet exemple limité, les chapitres sont parfaitement indépendants. Dès lors, on peut craindre la répétition puisqu'un même schéma est repris ad libidum: passage du contrat, affrontement à l’issue prévisible (Ogami étant immortel et invulnérable, ou quasiment), et éventuelles conséquences. Mais Kazuo Koike parvient toujours à se renouveler et fait qu’aucune histoire n’est exactement le double d’une autre. D’une part, il varie les approches et les points de vue: le récit n’est pas toujours linéaire, on ne découvre parfois qu’à la fin les motivations d’Ogami. Dans «Fleur d’hiver» par exemple (ch. XIV, vol. 2), tout est vu par le prisme du regard d’un metsuke (disons pour faire simple un enquêteur) confronté à un double-meurtre ainsi qu’à un suicide: on ne comprend qu’au fur et à mesure qui a commandité l’action d’Ogami et, en dernier ressort, pourquoi. Le rôle joué par Daigoro varie également d’un chapitre à l’autre, parfois témoin passif des événements, il lui arrive de participer pleinement aux pièges montés par son père – car "le petit du loup est lui aussi un loup"... La taille des chapitres n’est pas fixe non plus: certains peuvent être très courts, d’autres occuper jusqu’à près du tiers du volume (comme «Saltimbanque», ch. XXIII, vol. 4, ou «Treize cordes», ch. LVII, vol. 11), etc.

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Ce qui permet aussi d’éviter la lassitude, c’est que ces histoires sont le prétexte à une exploration très réussie du Japon de l’ère Edo. Les personnages traversent non seulement le pays mais aussi toutes les couches de la société. Des palais des puissants aux maisons de passes des bas-quartiers, Ogami et son fils côtoient aristocrates, prostituées, moines, guerriers et paysans, fonctionnaires, artisans, voyageurs et membres de la pègre – les comportements les plus "honorables" n’étant pas toujours forcément du côté qu’on croirait –, traversant un monde en crise où le vacillement des valeurs condamne les plus faibles, quel que soit leur rang social, à devenir des victimes ou des bourreaux. L’approche documentée, voire documentaire, de Kazuo Koike et Gôseki Kojima permet une véritable immersion dans le monde de cette période. Le résultat, très réaliste, est passionnant, même si le lecteur occidental risque d’y perdre quelquefois son latin. À ce sujet, signalons que l’édition française met au service du lecteur un glossaire fourni (trois pages minimum) et détaillé en fin de chaque volume, où sont répertoriés et clairement expliqués la majorité des termes japonais utilisés, ainsi, dans certains des premiers volumes, que des notes d’éclaircissement historique.

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[On en regrettera d’autant plus les quelques (rares) défauts de l’édition française, qui ressortissent pour l’essentiel du choix de l’éditeur Panini de suivre l’édition américaine plutôt que l'édition nippone. Cette dette se voit dès la couverture, qui, comme je l’ai déjà mentionné, est calquée sur la version U.S. Or, si le fait de garder le titre américain se comprend car la réputation de la série est déjà faite, et notamment grâce à son succès outre-Atlantique, conserver l’expression anglaise "lone wolf and cub" à l’intérieur même des pages du manga donne un résultat assez absurde, alors qu’il aurait été facile de traduire en français, ou même, mieux, de garder, moyennant une note de bas de page, l’original "Kozure Okami", qui peut passer pour un vrai nom en japonais et joue sur l’homonymie Ogami (le vrai nom du héros) / Okami (le loup). Lone Wolf and Cub, ça sonne bien pour un titre, mais franchement, au milieu d'une œuvre qui nous immerge autant dans le Japon médiéval, voir des personnages se faire appeler par un sobriquet anglo-saxon, ça le fait pas (et ne parlons pas de sa version franglicisée: "lone wolf et cub", horresco referens). Les puristes noteront que les onomatopées sont également les onomatopées américaines, et non la version japonaise ni leurs équivalents français, ce qui donne parfois, là encore, des résultats surprenants et contestables. En revanche le sens de lecture original japonais (de droite à gauche) été conservé.]

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Pour revenir à la série proprement dite, Lone Wolf and Cub est une vaste épopée, la tragique quête de vengeance d’un homme traversant, aux côtés de son fils, un monde où la notion d’honneur (si essentielle au Japon) semble avoir de moins en moins de sens, réinventant ses propres codes de conduite pour y survivre. Je parlais tout à l’heure de Sergio Leone, mais n’oublions pas que la fin des années 60 fut également pour le cinéma japonais l’heure de films très sombres, bousculant le genre du chambara en cassant l’image "romantique" du samouraï sans peur et sans reproche, privilégiant une approche à la fois plus sombre et plus (violemment) réaliste: champ du cygne crépusculaire pour le genre, qui sera quasiment enterré – avec les honneurs, comme on dit – en 1969 par Goyokin d’Hideo Gosha, mais je m’égare. En tout cas il ne semble pas aberrant de penser que cela ait pu jouer un rôle dans la genèse de la série (même si le personnage d’Ogami Itto, et ce malgré ses déclarations répétées sur son renoncement au code d’honneur du guerrier, est loin du nihilisme absolu d’un Ryunosuke Tsukue, interprété par Tatsuya Nakadai, dans Le sabre du mal d’Okamoto en 66, par exemple). Comme vous vous en serez peut-être douté à la lecture de tout ce qui précède, la série ne brille pas franchement par son humour – à ce jour je n’ai guère trouvé que deux ou trois répliques pouvant (attention, j’ai bien dit "pouvant"!) être lues comme des traits humoristiques. Elle se caractérise plutôt par son univers très sombre, image du Meifumado (l’enfer bouddhique) qu’Ogami et son fils ont choisi de parcourir en quittant la voie du samouraï (Bushido).

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Mais si la violence est très présente – les scènes de combat étant d’une intensité qui graphiquement confine parfois à l’abstraction –, il serait faux d’imaginer que la série se résume à cela. Outre ses qualités quasi-documentaires, déjà citées, sur le Japon du début de l’ère Edo, Lone Wolf and Cub se distingue par l’intelligence et il faut bien le dire (mais ce n’est pas un défaut!) parfois la complexité de ses intrigues, jouant à l’envi des différents ressorts que permettent l’architecture sociale elle-même pas simple de l’archipel à l’époque et les différents codes de conduite qui sont attachés à chaque état. La (ou plutôt les diverses) philosophie(s) orientale(s) – domaine dans lequel j’avoue humblement mon à peu près complète ignorance – joue(nt) également un grand rôle dans la série, guidant les actes des personnages et justifiant certains comportements, voire à l’occasion (heureusement rare pour le lecteur occidental lambda qui n’y entrave que pouic) constituant le sujet même d’un épisode comme par exemple «La barrière sans porte» (ch. XIII, vol. 2). Bref on est loin d’une série bourrinne où les personnages passeraient tout leur temps à s’affronter les uns les autres sans autre forme de scénario (je ne cite pas de titre). ;-)

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Signalons également que, sans tomber pour autant dans le mélo, la série sait aussi faire la part belle, entre deux tranchages sanglants, à l’émotion la plus délicate. «En attendant la pluie» et «Vent noir», dans les volumes portant les mêmes titres, en sont deux bons exemples, même si je me garderais bien ici d’en dévoiler les intrigues...

Enfin, l’évolution du personnage de Daigoro, qui grandit avec comme unique modèle un assassin aussi impitoyable que taciturne, fait par ailleurs également l’objet de l’attention du scénariste comme du lecteur, fournissant parfois la trame d’épisodes entiers, comme «Frère et sœur» (ch. XII, vol. 2) ou «Code pénal, article 79» (ch. XXXVIII, vol. 7), dans lequel on le voit calquer son comportement sur celui de son père. Parfois séparé de celui-ci, le petit Daigoro n’a pas plus sa place dans la société que son terrifiant géniteur. Son comportement, ou même tout simplement son regard, dénotent voire dénoncent son caractère hors-norme. – En effet, Daigoro possède le regard "Shishogan", le regard de détachement parfait et absolu sur toutes choses à commencer par la mort (y compris la sienne propre), que seuls quelques guerriers particulièrement avancés dans la compréhension de la Voie du Sabre parviennent à posséder après toute une vie passée à traverser massacres et mares de sang ; bref un regard qu’il ait pour le moins inhabituel de croiser dans les yeux d’un enfant de trois ans... – Et on se demande bien, après une telle "enfance", ce qu’il adviendra du personnage à la fin de la série (personnellement je l’imagine bien devenir moine, mais ça n’engage que moi).

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En résumé et pour conclure, Lone Wolf and Cub est une œuvre aux multiples facettes, caractérisé notamment par une intrigue prenante, un graphisme de grande qualité, une sombre grandeur épique, et, ce qui ne gâte rien, une grande intelligence dans les scénarios. Si sa violence et sa complexité n’en font pas précisément une lecture "tous publics", Lone Wolf and Cub n’en est pas moins une référence que je ne peux que chaudement recommander à toute personne qui s’intéresse à la bande dessinée en général, au manga en particulier et/ou au Japon (médiéval ou pas)... et prête à se lancer dans l’aventure.

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FICHE TECHNIQUE
Scénario: Kazuo Koike
Dessin: Goseki Kojima
Parution originale: de 1970 à 1976 au Japon (éditions Futabsha), sous le titre Kozure Ôkami (28 volumes).
Parution française: depuis septembre 2003 aux éditions Marvel Panini France (collection «Génération Comics»), 13 volumes parus à ce jour.

La prochaine édition du Bocal à Bulles sera consacrée à la série de Joann Sfar Le chat du rabbin.