22.10.07

La dictature de l’émotion




Aujourd’hui, c’est le triste anniversaire de la mort de Guy Môquet. On ne nous le laissera pas oublier. Tout à l’heure je suis même tombé, sur France 3, sur ce clip, consternant de bout en bout, tant sur le fond que sur le forme, avec Jean-Baptiste Maunier, le Farinelli des Choristes, dans le rôle du jeune ‘‘résistant’’ communiste assassiné à 17 ans et demi par l’occupant allemand. Une petite recherche sur Internet m’apprend que la chose (je ne vois pas trop comment la qualifier autrement) sera également projetée dans 2500 salles de cinéma et qu’on projette d’en envoyer 30000 copies DVD aux écoles du pays. Pendant ce temps les politiques se déchirent pour savoir à qui ‘‘appartient’’ la mémoire de Môquet, l’Humanité Dimanche (qui, comme chacun sait, paraît le jeudi) met l’icône en couverture, et les journaux télé s’affolent. Il paraît qu’un timbre à l’effigie du martyr a également été émis.

Surprenante apothéose, quand on y songe: nul en France aujourd’hui ne peut ignorer le nom du fusillé de Châteaubriant, lequel nom n’était vraisemblablement connu, il y a un an de cela, que d’une poignée de communistes et d’historiens.

On pouvait croire, lorsque Nicolas Sarkozy prononça pour la première ce nom en janvier, lors de sa campagne électorale, qu’il ne s’agissait là que d’un exemple parmi d’autres dans la grande rafle qu’opérait le candidat sur la mémoire nationale, et particulièrement sur les figures historiques de la gauche, le poussant à se revendiquer comme l’héritier de Jean Jaurès et de Léon Blum – ce qui pouvait encore pousser à rire, même si c’était pour ne pas en pleurer. Sauf que les choses ne se sont pas arrêtées là. En mai, le jour de son investiture, le président nouvellement élu fait lire la lettre de Guy Môquet à une lycéenne et déclare son intention que cette lettre soit lue, le jour anniversaire de l’exécution (aujourd’hui donc), dans tous les collèges et lycées de France. Le 8 septembre – et sans peur de l’amalgame «équipe adverse = nazis» –, Bernard Laporte, entraîneur de l’équipe de France de rugby et futur Secrétaire d’Etat annoncé, fait lire par ses joueurs, devant les caméras de TF1, la fameuse lettre, pour les ‘‘motiver’’ en prélude au match contre l’Argentine qui s’est achevé de la façon que l’on sait. Quelques jours plus tard encore, le 19, notre président reprend la balle (ce qui est déjà mieux faire que ladite équipe de France), se rend à Châteaubriant où Guy Môquet, et ses vingt-six camarades plus âgés qu’on a un peu tendances à oublier dernièrement, ont été fusillés, et se livre à l’un des Sarko-shows dont il a le secret.

Mais enfin, qu’est-ce qui fait tant courir Sarkozy après l’ombre héroïque de Guy Môquet? Pourquoi ériger ainsi en icône presqu’unique de la Résistance un jeune garçon dont la seule action d’éclat contre l’occupant, la cause de son arrestation, fut d’avoir collé des affiches du Parti Communiste; qui ne fait pas une fois allusion (et pour cause) à la résistance et au sort de la patrie dans sa fameuse lettre, quoi qu’en ait dit notre président; et qui, contrairement à ses camarades se fendant d’un dernier «Vive la France!» (et contrairement aussi à ce que montre le clip) s’évanouit sur le poteau d’exécution et fut fusillé dans cet état pathétique, certes, mais peu exemplaire? Sans vouloir à tout prix, en réaction, noircir la figure de Guy Môquet qui ne mérite pas cela, on peut tout de même s’interroger sur le choix d’une figure aussi problématique. On peut également se demander si le président, en toute logique, n’aurait pas eu intérêt, s’il tenait absolument à promouvoir une figure de la Résistance, à en trouver une ailleurs que chez les communistes: il y a pourtant bien dû y avoir aussi des résistants de droite, non? On sait que Nicolas Sarkozy a quelques problèmes avec l’héritage gaulliste (et pas seulement à cause de ses propos révisionnistes sur Vichy), mais il prend là le risque d’alimenter une vision caricaturale d’une droite entièrement collaborationniste pendant la guerre – et accessoirement je me demande comment les militants UMP ‘‘purs et durs’’ vivent cette quasi-panthéonisation de celui qui est en passe de devenir le plus célèbre colleur d’affiche de l’histoire du PC, et qui portait sur lui, au jour de son arrestation, ce quatrain (assez mauvais d’ailleurs): «Les traîtres de notre patrie / Ces agents du capitalisme / Nous les chasserons hors d’ici / Pour instaurer le socialisme».

Eh bien, je crois, en toute modestie, avoir trouvé la réponse à ces paradoxes, elle tient en un mot: l’émotion. La lettre de Guy Môquet est émouvante, et c’est là quelque chose que notre président affectionne particulièrement. Des lettres de fusillés pendant la seconde Guerre Mondiale, il y en a des tas, dont quelques-unes autrement plus admirables du point de vue du contenu ‘‘politique’’ (au sens large, ou si l’on préfère, étymologique). Je pense en particulier à ces mots de Guido Brancadoro, mort à 21 ans (guère plus âgé que Môquet, donc): «Ce sont les Français qui me livrent, mais je crie ‘‘Vive la France’’, les Allemands qui m’exécutent, et je crie ‘‘Vive le peuple allemand et l’Allemagne de demain’’.» Au lieu de quoi, on préfère nous rebattre les oreilles avec «Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, je vais mourir...».

L’émotion, c’est, et depuis longtemps, l’arme rhétorique préférée de notre président. Celle qui clôt le débat car elle est à elle seule sa propre justification. Celle qui fédère immédiatement le plus grand nombre d’auditeurs. Et accessoirement celle qui, court-circuitant la raison, anéantit le recul critique et permet de faire passer tout et n’importe quoi. On se souvient peut-être, malgré la difficulté qu’il y a à se souvenir de quoi que ce soit bien longtemps dans l’ébouriffant train des affaires présidentielles, qu’il y a quelques semaines, par exemple – et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres possibles –, le cas d’un enfant enlevé par un pédophile récidiviste fut l’occasion d’un discours où il martela à plusieurs reprises l’idée qu’un détenu ne devrait pas pouvoir «sortir de prison uniquement parce qu’il a exécuté sa peine» (sic!). Comment, vous n’êtes pas d’accord? Vous chipotez? Mais qu’allez vous me parler de Constitution, et d’autres arguties juridiques réservées à une élite intellectuelle, face à la souffrance de cet enfant violé? Et de ces parents brisés? Et de cette jeune femme brûlée vive? Et de cet adolescent grièvement blessé par un chauffard? Et de ce bébé à qui un chimpanzé a volé sa sucette alors qu’il visitait le zoo? L’émotion est la réponse à tout, puisque quelle que soit la gravité de l’acte originellement dénoncé, tout est emporté et uniformisé dans un unique mouvement: il n’y a pas d’échelle dans l’affect. Et si vous parlez de démagogie ou de populisme, on vous répondra que c’est vous qui êtes un monstre, de préférer débattre de quelques obscurs articles de loi quand la justice, la vraie, exige que les auteurs de tels actes soient mis hors d’état de nuire (ah! si ce salaud de Mitterrand n’avait pas aboli la peine de mort – contre l’avis de la majorité des Français, d’ailleurs).

J’ai beaucoup de mal à croire à la sincérité de notre président quand il nous joue ces grands moments d’émotion.

D’abord, parce que le procédé est trop efficace pour être honnête (mais là c’est peut-être en moi le lecteur de Machiavel qui s’exprime et voit le mal, ou en tout cas le malin, où il n’est pas: admettons).

Ensuite, parce qu’il arrive tout de même à notre président de se couper, même si heureusement pour lui, les médias se font alors beaucoup plus discrets. Après l’enterrement de Mgr Lustiger il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy était ainsi apparemment si ému par la disparition du cardinal qu’il a tenu à annoncer à la sortie de la messe sa volonté d’œuvrer dès l’an prochain à replacer le catholicisme au cœur de l’identité culturelle française (!!); si ému qu’il en avait apparemment ‘‘oublié’’ qu’une telle pensée – effet d’annonce à destination des électeurs cathos ultra-traditionnalistes – était à l’opposé complet des positions du défunt, fervent partisan de la laïcité républicaine, pour qui ce qui était à César et ce qui était à Dieu devait rester à bonne distance pour le bien des deux partis en présence, comme M. Sarkozy avait d’ailleurs eu amplement l’occasion de s’en rendre compte lors des longues heures de débats, paraît-il pour le moins houleux, qu’ils avaient eu ensemble sur le sujet au moment de la création du Conseil Français du Culte Musulman. Jouer de l’émotion du deuil pour trahir la pensée du mort, sur le parvis même de l’église où on l’enterre, je trouve le procédé plus dégueulasse encore que la déclaration ainsi faite n’est aberrante, et pourtant la barre est haute.

Enfin, il est assez remarquable – même si peu remarqué – que cette exigence de voir l’émotion brute prendre le pas sur toute autre considération connaît à l’Elysée, dans l’Hémicycle, et ce qui en dépend, un sérieux coup de frein dès que ladite émotion se porte contre les projets de notre président et de son gouvernement: on assiste alors à un retour du principe de Realpolitik dans ce qu’il peut avoir de plus cynique. Vous vous indignez que l’on prévoie de pratiquer massivement des tests ADN sur les candidats à l’immigration; qu’une réforme de la juridiction concernant les demandeurs d’asile politique les prive de facto de presque toute possibilité de recours en cas de refus; qu’une directive ministérielle demande aux agents de l’ANPE et des Assedic d’envoyer les papiers en leur possession concernant les étrangers aux préfectures de police; ou qu’à Limoges, lorsqu’il y a, faute de papiers d’identité, un doute sur l’âge de jeunes clandestines (ont-elles ou pas 18 ans, peut-on ou non les expulser vers l’Afrique), on les déshabille intégralement de force pour examiner en détail l’avancement de leur puberté?... Allons, allons. Il est trop facile de jeter des cris outrés et d’en appeler à la morale. Ce qui est fait doit être fait. Soyez un peu pragmatiques.

La faveur dont jouit en ce moment Guy Môquet au sein des sphères de pouvoir s’inscrit dans une logique de l’affect souverain. Le combat contre le nazisme, en particulier, et l’oppression en général, se retrouve (au passage) réduit à la lettre émouvante d’un adolescent sur le point de mourir, au pathos des derniers mots envoyés à sa «petite Maman» et son «petit Papa». Evidemment, cela impose de pratiquer une sélection dans les aspects de la personnalité que l’on veut mettre en lumière, mais c’est après tout le lot commun de toute figure historique. C’est l’énorme avantage de Guy Môquet sur la concurrence en la matière: il suffit de s’en tenir à sa propre lettre, et le tour est joué, on peut faire l’économie de toute question idéologique et de tout débat historique. Tout à la fois bon fils et pur agneau immolé, le Guy Môquet nouveau se retrouve, à son corps sacrifié défendant, proposé en image exemplaire par un gouvernement dont on se demande bien ce qu’il en aurait pensé. Ou comment bâtir une image de résistant consensuel: faire de la résistance selon les vœux de Nicolas Sarkozy, ce serait donc se soumettre à la dictature de l’émotion, du moins tant que celle-ci est du côté du gouvernement. Ecueil logique inévitable dès lors que c’est le détenteur du pouvoir qui prétend définir et faire adopter les modalités de la contestation.

Certains, peut-être, en haut lieu (ou du moins j’ose le supposer), doivent se dire qu’il faudrait se méfier, que l’émotion est une lame à double tranchant, et qu’à tout bâtir sur un élément aussi instable, déclenchable avec un peu d’art, mais fondamentalement incontrôlable, on court le risque de voir un jour l’arme se retourner contre soi.

Mais en cas de problème, il sera toujours temps de changer d’icône.

7.10.07

Sur la plage abandonnée...
(on fait parfois d’étranges découvertes)

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Capturer, collectionner les insectes qui vivent sur les dunes, l’homme n’avait pas d’autre intention. [...] Ce à quoi visent les maniaques de ce genre, ce n’est pas, en effet, à orner de brillante manière leur boîte de spécimens; pas d’avantage ne cherchent-ils à classer pour classer; et moins encore, il va sans dire, à trouver tels éléments susceptibles d’entrer dans la composition des remèdes de la médecine chinoise. Non. À chercher des insectes, il y a, en vrai, plaisir plus ingénu et plus direct: et cela s’appelle l’ambition d’être celui qui a découvert une espèce. Que le hasard accorde seulement à l’entomologiste de rencontrer ne fût-ce qu’un seul insecte jusque-là inconnu: alors, à la suite d’un interminable nom scientifique latin, écrit en italiques, son nom à lui prend place dans le Grand répertoire illustré de l’Univers des Insectes; et, pour une semi-éternité, l’un et l’autre noms demeureront là unis, là conservés. Tel est l’espoir du chercheur d’insectes.


Extrait de La Femme des sables (Suna no onna, 1964) d’Abé Kôbô, traduction de Georges Bonneau.

4.10.07

Voilà, ça c’est fait

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J’ai payé mon obole à Charon mon inscription pour une année de plus à l’Université.

On a beau savoir que c’est pour la bonne cause, ça ne fait pas franchement plaisir de voir partir un chèque de 415 euros...