31.3.08

La troisième venue

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«
And what rough beast, its hour come round at last, / Slouches towards Bethlehem to be born?»... Il paraît que la guerre en Irak a fait redécouvrir outre-Atlantique The Second Coming de Yeats, poème dans lequel certains se sont piqués de voir une prophétie. Que l’on pense à l’Irak en regardant There will be blood de Paul Thomas Anderson, rien de plus normal, tant l’équation pétrole+religion qui est l’une des thématiques principales du film éveille de résonnances contemporaines. En revanche, et même en faisant la part de la subjectivité et de mes obsessions particulières, on peut légitimement se demander ce qui m’a fait irrésistiblement songer à un poème aussi mystique devant les dernières images d’un film où la religiosité est si malmenée… Mais commençons par le commencement.

Le commencement, les premiers plans, c’est une inscription du film dans la verticalité. Ascensions et chutes, l’une procédant parfois de l’autre, seront le schéma fondamental de ce qui suivra. Un homme, Daniel Plainview – incarné (c’est peu de le dire) par Daniel Day-Lewis – en est tour à tour l’acteur et l’ordonnateur. Il semble une illustration vivante du principe aristotélicien selon lequel «l’homme seul est soit un monstre, soit un dieu». Tout, ou presque, est déjà joué dès les premiers plans, y compris le sort de cet enfant baptisé d’une onction de pétrole, qu’on fait passer de main en main, qu’on met à l’écart. Seul au début de sa ‘‘carrière’’, Daniel Plainview finira également seul, ayant rejeté loin de lui tous ses proches plus sûrement que son éternel rival Eli Sunday ne rejetait hors de son église le démon censé martyriser les mains arthritiques de ses paroissiennes.

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D’un côté, Daniel, l’«oil man», un fauve constamment aux aguets, guidé par la seule soif de réussite (sur autant de plans que possible) et de pouvoir, ne sortant de son mutisme que pour dérouler un discours préfabriqué, immuable, qu’il assène à une population crédule et réduite à son tour au silence. En face, Eli, le prédicateur, que l’on peut voir, soit comme un arriviste, voire un escroc, soit, si l’on veut croire à sa sincérité, comme un illuminé et un fanatique. Pas de héros ‘‘positif’’, donc, dans cet affrontement dont le champ et l’enjeu en même temps est la petite bourgade de Little Boston, Californie. L’un convoite les terres et l’«océan de pétrole» qui gît en dessous, l’autre les âmes et l’argent des habitants pour son «Eglise de la Troisième Révélation». Parallèlement aux relations de Daniel avec les différents membres de sa ‘‘famille’’, l’affrontement de ces deux-là constitue la trame essentielle du film, chacun profitant du moindre revirement dans le jeu des positions de supériorité pour humilier l’adversaire, jusqu’au final de film.

La plongée dans le grotesque qui s’opère clairement au moment du final en question en gênera sans doute quelques uns. Je serai pour ma part d’avis que c’est au contraire de là que le film tire la majeure partie de sa force. Tout converge vers cette dernière séquence, et, osons le dire, les dix dernières minutes et les deux heures vingt qui précèdent – estimation à la louche – vaudraient nettement moins les unes sans les autres. En dépit de la richesse des thématiques abordées – la trinité famille/pétrole/religion et les jeux de pouvoir qui régissent les relations entre ces trois termes –, There will be blood donne un peu trop souvent l’impression de se borner à vouloir réécrire le western à l’aune des codes formels du nouveau cinéma ‘‘indépendant’’ américain; et si le film est globalement une très très bonne surprise pour moi – qui depuis un certain Magnolia de sinistre mémoire considérait Paul Thomas Anderson comme l’un des cinéastes les plus surestimés de notre temps –, il me semble tout-à-fait exagéré d’y voir, comme l’ont fait certains journalistes outre-Atlantique, un équivalent ‘‘moderne’’ (?) de Citizen Kane!

Annoncée par la grand-guignolesque scène de la ‘‘conversion’’ dans l’église, l’ultime confrontation entre Daniel et Eli se distingue au contraire par sa prise de risque formelle (cette plongée dans le grotesque ci-dessus évoquée), et le résultat – ‘‘porté’’ il est vrai par Daniel Day-Lewis: on n’imagine personne d’autre capable de ça – est absolument sidérant, légitimant définitivement tout ce qui précède. La bête se proclame dieu, ou plutôt maître d’un monde sans dieu («I AM the Third Revelation!»), l’homme entre dans les temps modernes. La modernité, c’est un homme d’affaires fou et meurtrier enfermé dans une maison vide. Condensé explosif des forces lentement mises en place tout au long du métrage, cette dernière scène et sa glaçante réplique finale (cet «I’m finished» qui sonne presque comme un «tout est accompli») parachèvent le film, en effacent les faiblesses, et l’inscrivent selon toute vraisemblance comme l’une des œuvres marquantes de ce début de XXIe siècle.

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16.3.08

Promenades dans Rome

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Sainte-Marie Majeure brille de tous les feux de la Contre-Réforme. Valeur sûre de l’architecture baroque, la basilique papale ne lésine pas sur les splendeurs. Est-ce la fatigue du voyage? Ce déferlement ne me touche in fine que relativement peu (et seulement sur le plan esthétique), comparativement à la somme des efforts déployés. Et si c’était, au regard de notre époque, dans cette dépense pour rien – ou quasiment – que se situait sa grandeur?

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Impression sensiblement égale, dans un premier temps du moins, à Saint Jean du Latran, que compense cependant la blancheur immaculée de la nef, espace éthéré où l’on peut prendre un peu de distance par rapport aux cascades de dorures du chœur. La garde en est confiée à des statues des apôtres, aux airs d’équivalents marbrés et auréolés des soldats de terre cuite de Qin Shi Huangdi. C’est définitivement un chouette endroit pour regarder ses SMS. (Nicolas à Jésus: «Si tu reviens, j’annule tout»?)

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Certains esprits chagrins reprochent à Venise
d’être une ville-musée. Rome – pour le meilleur et pour le pire – semble protégée de ce destin. Pour le meilleur, car je ne sais pas si beaucoup d’autres villes peuvent procurer le type de sentiments qu’on éprouve à regarder le Colisée, monument de la ville antique, depuis le trottoir d’en face, par-delà la rue moderne où se pressent voitures et autobus. Pour le pire, entre autres pièces à charge au dossier, pour la mafia organisée qui quadrille les lieux, guettant les touristes auxquels, par groupes aux tâches soigneusement réparties, on tentera de vendre les mêmes produits tous les quatre mètres exactement. Aux Indiens et Pakistanais revient la charge des gadgets ridicules faisant du bruit, de la lumière ou des bulles, aux Orientaux les étoffes, foulards, tissus, aux Noirs les amas de sacs de contrefaçon. À les voir ainsi chargés, ils donnent également l’impression que la cité du XXIe siècle n’est pas si loin de l’Urbs des Césars. Rome, ou la capitale du télescopage des époques...

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En passant à côté des restes du Forum antique, on a la bizarre impression d’être à côté du nombril du monde, en tout cas du monde occidental.

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Les plus anciennes ruines exhumées de Rome – l’Area Sacra du largo Argentina – sont devenues le territoire des chats. J’ai pu en compter une vingtaine. Un panneau devant l’une des enceintes de la colonie indique que les services vétérinaires y ont placé là, après les avoir vaccinés et stérilisés, pas moins de 350 félins abandonnés, qui vivent maintenant de la charité publique. Au sommet d’une colonne tronquée par le temps, l’un d’eux joue les stylites, mais son gabarit n’est guère celui d’un ascète.

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La longueur de la file d’attente ne m’ayant pas permis d’entrer dans le Vatican dans le temps laissé libre par le colloque sur l’imaginaire de la papauté dans la littérature des Lumières (raison de ma présence à Rome), je suis resté sur la place Saint-Pierre, l’espace laissé sur celle-ci à la déambulation étant lui-même bien rétréci par les préparatifs du dimanche des Rameaux. Regardant les fameuses colonnades du Bernin – dont on sait que la nature triple disparaît si l’on se place au point d’observation obligeamment indiqué au sol –, me vient l’idée qu’il puisse s’agir là d’une représentation symbolique de la théologie catholique. Le problème, c’est que je n’arrive pas à me décider s’il serait plus juste de l’interpréter comme le signe d’un univers en apparence irrégulier se résolvant en une admirable simplicité (motif baroque), ou, inversement, d’un système en apparence ordonné et harmonieux mais cachant une complexité redoutable et plus ou moins anarchique. Evidemment, pour ça aussi, tout dépend du point de vue.

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Les rues sont un dédale, et l’on y croise partout des monuments de toutes les époques du passé.
Si j’ai cru un temps qu’il fallait être romain pour comprendre comment fonctionnait le réseau des bus, dépourvu de tout plan de ligne apparent, ma conversation avec un professeur local m’a détrompé: même les romains n’y comprennent rien. Reste donc, comme plus sûr moyen de découverte, la promenade au hasard. Pratiqué en solitaire, l’exercice peut toutefois engendrer une sombre mélancolie, tant sont pénibles à affronter, entre deux églises où l’on entre comme dans un refuge, la foule compacte des autres touristes et la milice des marchands ambulants précédemment évoqués. Dans les moments les plus extrêmes, on a parfois l’impression d’être moins à Rome qu’à Calcutta. Excepté que la rue est pavée et bordée de magasins de vêtements de luxe. Et puis on rentre dans Saint Ignace, et on retrouve, quelques minutes, la paix.

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Le Panthéon est officiellement devenu depuis le Moyen Age une église dédiée à la Vierge et aux Martyrs. Mais la transsubstantiation ne prend pas. En dépit des haut-parleurs répétant en boucle qu’il s’agit d’un lieu de culte, des panneaux à l’entrée demandant de ne pas visiter les lieux aux moments où on y célèbre la messe, la présence d’un autel chrétien dans un lieu si manifestement païen semble une incongruité. Au-dessus du dôme, par l’ouverture, brille un croissant de lune qui semble plus propre à préluder à l’apparition de Salammbô qu’à celle de la Vierge Marie.

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Initialement construite pour Jules II au milieu du XVIe siècle, et quelque peu remaniée depuis, la villa Giulia, en plus d’abriter les magnifiques collections du Musée national d’art étrusque (dont quelques trésors absolus comme le ‘‘Sarcophage des Epoux’’ ou l’Apollon de Veïes), demeure un magnifique exemple d’architecture Renaissance – auquel ont notamment contribué Vasari, Michel-Ange et Vignola –, et a de plus l’énorme avantage de se trouver à l’écart des grands sites touristiques envahis. Quand tombe le soir, les lieux, déjà splendides, deviennent proprement féériques.

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Image Hosted by ImageShack.us Un clin d’œil à Camille
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Loin de l’agitation de la ville, les jardins de la villa Borghese en constituent le contrepoint idéal. Au long des allées, fréquentées essentiellement par les couples d’amoureux et les familles venues faire jouer les enfants, on s’immerge dans le calme. Au terme du parcours, la galerie Borghese attend le visiteur, pour un autre type d’immersion, parmi les chefs-d’œuvre du Bernin, du Caravage, du Titien, de Raphaël, du Dominiquin et de quelques autres encore... Finalement, Rome est toujours dans Rome. Encore faut-il l’y trouver.