27.2.08

T'as pas perdu ta bonne humeur,
'meur meur meur meur...
(Pour le retour aux Lumières et du câble d'alimentation de mon ordinateur portable)

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Le problème avec notre président et ses agissements, c'est que plus il est énervant, plus il donne envie de s'énerver, et plus on s'énerve, plus ça l'arrange. Exemple. Pendant la campagne électorale, il y a un peu plus de neuf mois (vache, la tronche du bébé!!), il était du dernier mauvais goût de sous-entendre une parenté idéologique entre lui et Le Pen (sans même parler d'un certain homme politique moustachu allemand de la première moitié du XXe siècle célèbre pour sa politique expansionniste; outrance effectivement manifeste). Le fait même que je rappelle ceci ici maintenant peut laisser supposer que... et que... alors là oui hein... bien sûr... on t'as compris mon gars... Je pourrais bien me faire traiter, au mieux de gauchiste (ce qui n’est pas trop grave), au pire de danger pour la démocratie (ce que j’aurais tendance à prendre plus mal). Mouais. N'empêche, je me demande quelles auraient été les réactions si un Le Pen qui aurait accédé à la présidence de la République avait fait passer – à la virgule près – certaines des lois que Sarkozy a promulgué depuis son arrivée au pouvoir. M'est avis qu'on entendrait gueuler à la dérive dictatoriale depuis un certain temps... Mais là on ne peut pas, ça ne se fait pas.

J'avoue que je ne sais pas trop que dire, ni comment le dire. Par où commencer. Comment continuer, sans tomber dans le piège de tout mélanger: les immigrés expulsés en masse, ‘‘au poids’’ (25000 l'an dernier, 26000 l'an prochain), l'annonce de la suppression du droit du sol et de la mise en place de quotas raciaux, pardon, ethno-géographiques, pour les candidats à l'émigration, les cadeaux légaux faits à l'encontre des auteurs de délits financiers, la culture et le patrimoine qu'on paupérise, la mise en cause répétée du principe de laïcité, les concours nationaux pour recruter les enseignants qu'on s'apprête à supprimer d'ici l'an prochain – ne cherchez pas, il n'y a pas de lien entre tout ça (mis à part le fait que le coût moyen de la "reconduite à la frontière" d'un sans-papier correspond à près d'un an de mon futur salaire de jeune prof...), mais notre président est tellement partout – et ‘‘l'opposition’’ tellement nulle part, soit dit en passant – qu'il est bien dur de faire le tri, d'établir une hiérarchie, et on se retrouve vite à mêler tout et n'importe quoi, les atteintes à la démocratie et à notre petit pré carré, le cirque gouvernemental permanent et la défense des droits fondamentaux.

Alors voilà, la loi est passée. On peut à présent détenir – pardon, retenir – jusqu'à la fin de ses jours un homme sous prétexte qu'il pourrait commettre un crime. Punir avant l'acte, c'est bien pratique, ça permet d'évacuer de façon originale ce problème récurrent de la ‘‘présomption d'innocence’’. Mais ça ne suffit pas à notre président: il faudrait encore que l'on balaye deux siècles de droit pour que la mesure soit applicable plus vite, vite, vite. Toujours la même rhétorique: personnalisation et chantage à l'émotion pour clore la bouche aux mécontents (il ne déplairait peut-être pas à Sarkozy, qu'on imagine sans cesse à l'affût du concept à la pointe de la mode, d'inaugurer très-officiellement le storytelling bling-bling). Si ça vous choque qu'un président de la République demande au président de la Cour de Cassation s'il ne peut pas lui trouver un moyen pour se torcher le cul avec la Constitution et ainsi tenir la promesse qu'il a faite à la télé sous les jolis projecteurs, c'est que vous êtes du côté des tueurs-violeurs-pédophiles. En tout cas, il est permis de supposer que ça ne vous dérangerait pas si un récidiviste violait et assassinait votre gamin(e), mais peut-être que vous êtes vous-même un prédateur sexuel, d'ailleurs. Avez-vous la conscience bien nette? (Faites voir, un peu, votre historique de navigation Internet...) Il y a bien une raison pour que vous ne soyiez pas comme la majorité des Français. Car un sondage paru en même temps que la loi, comme par hasard dans le (décidément si mal nommé) Figaro, est formel: 80% de mes concitoyens approuvent la loi, 60% ne voient pas d'objection à ce qu'on mette au placard la Constitution pour l'appliquer sans plus attendre. - Tiens, les chiffres rappellent bizarrement ceux des Français hostiles à l'abolition de la peine de mort, il y a près de trente ans... – Dans le même journal, Etienne Mougeotte achève l'éditorial, particulièrement peu recommandé aux personnes souffrant de problèmes gastriques, gare à la nausée, en expliquant que «le premier des droits du citoyen ordinaire est d'être protégé des psychopathes et des déviants», et, en substance, laisse entendre qu'on n'a pas à respecter l'Etat de droit tant que «messieurs les assassins» ne le font pas, eux – tandis qu'un de ses journalistes, soucieux de montrer que la loi Dati n'est pas antécédent, nous ressort une loi allemande de... 1933 (tiens, revoilà le moustachu, ce n'est pas moi qui l'ai convoqué, cette fois).

Se taire, c'est laisser faire. En parler, c'est être accusé d'hurler avec les loups. S'énerver, c'est perdre sa crédibilité, expliquer (avec les moyens du bord quand on n'est pas juriste spécialisé), c'est être démago. Alors, en ce qui me concerne, dans mon petit coin au bout de l'impasse, le seul conseil que j'aie à donner pour le moment est le suivant: il est urgent de rouvrir Voltaire et Montesquieu.

Ce que je compte entreprendre de faire aussi rapidement que possible. Pour l'instant hélas, mon emploi du temps des prochaines semaines est un peu trop saturé, à l'approche des épreuves écrites du Capes et de l'Agrégation: l'exercice est donc reporté à la mi-avril. En attendant – et en espérant que je reçoive au plus vite par la Poste le câble d'alimentation de mon ordinateur portable, oublié dans l'appartement parisien de ma chère et tendre à l'issue de mes quelques jours de (studieuses) vacances, parce que là c’est vraiment pas pratique – ces modestes pages accueilleront essentiellement les billets déjà partiellement rédigés qui ne me prendront pas trop de temps à peaufiner... En même temps, par les temps qui courent dans mon pays, ne pas suivre tout à fait le rythme effréné de notre président, c’est limite si ce n’est pas déjà un acte de désobéissance civile.

19.2.08

Décidemment, ça se couvre...

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Julien Gracq, 27 juillet 1910 – 22 décembre 2007.
Alain Robbe-Grillet, 18 août 1922 – 18 février2008.

Sale temps...

14.2.08

14 février

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Je ne veux pas que mes yeux nagent dans un espace autre que celui de ses yeux
je ne veux pas pour mon amour et son univers plus de clarté
je ne veux ni appartenance ni parenté ni identité

je ne veux qu’être langage avec toi
dans l’insoumission de nous
avec nos membres pour alphabet.


Adonis, extrait de Commencement du corps fin de l’océan, 200...?, traduction de Vénus Khoury-Ghata. Photographie: Samantha Wolov, On the Roof, 2006.

8.2.08

The dear hunter

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La direction que prenait la filmographie d’Ethan et Joël Coen depuis quelques années ne laissait pas d’être un peu inquiétante. Leurs derniers films semblaient en effet s’orienter vers un passage en revue de tous les genres du cinéma dans lesquels les deux frères injectaient, en guise de signe d’appropriation, un humour de plus en plus malsain. Dans l’absolu, je n’ai rien contre le cinéma de genre (surtout intelligemment utilisé ou détourné), ni contre le ‘‘malsain’’ dans l’art, mais quand cela se réduit à un système, un simple jeu, et que cela produit des films comme, au mieux, Ladykillers, au pire, Intolérable cruauté, il n’y a pas de quoi s’enthousiasmer. C’est donc avec un plaisir non dissimulé que je joins à présent ma voix au chœur quasi-unanime qui entoure No Country for Old Men: enfin, les Coen sont de retour au sommet!

Si l’ironie acide et le goût de l’absurde qui caractérisent les œuvres des frangins pointent quelquefois le bout de leur nez, l’ensemble demeure cette fois d’un premier degré assez radical qui est sans doute ce qui pouvait arriver de mieux au cinéma des Coen après les errements des derniers temps. Fidèlement adapté du roman éponyme du récemment pulitzerisé Cormac McCarthy, dans lequel nos deux compères ont semble-t-il retrouvé l’essence de leur art, le film a des allures de table rase. Plus précisément, le monologue, en ouverture, du vieux shérif Bell (Tommy Lee Jones), héritier d’une longue tradition familiale de représentants de l’ordre dont la voix off plane sur les désertiques étendues texanes, a valeur de programme: Bell aime qu’on lui raconte les histoires des anciens (des old timers), mais dans son discours perce la claire conscience qu’il s’agit bien là d’un temps révolu, sans rien de commun avec l’époque actuelle.

Le film est à l’image de ce discours. D’un côté, il donne immédiatement l’impression d’un retour à un cinéma presque ‘‘antédiluvien’’, à mille lieux des formes qui prévalent actuellement dans les blockbusters made in Hollywood (Von Stroheim, es-tu là?...). Mais quand le couple Moss se retrouve sur un canapé face au couple d’un film des années 50 que diffuse la télé, les Coen montrent en un champ/contrechamp le contraste entre les deux groupes de personnages: le passéisme n’est pas de mise ici. No Country for Old Men est un film de son (de notre) temps, ce temps que Bell, justement, face à la rubrique ‘‘Faits divers’’ du journal qu’il parcourt en prenant son café, n’arrive plus à comprendre... peut-être parce qu’il ne semble plus régi par aucune règle d’aucun ordre.

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Parti chasser en solitaire, Llewelyn Moss (Josh Brolin) tombe sur le lieu d’un carnage entre trafiquants de drogue qui se sont selon toute apparence entretués. Laissant agoniser le dernier survivant, Llewelyn vide les lieux non sans avoir au passage récupéré une sacoche contenant deux millions de dollars – choix malencontreux qui lui vaudra d’être traqué jusqu’à la frontière mexicaine par Anton Chigurh (Javier Bardem), un tueur professionnel psychopathe et redoutablement efficace, aux allures d’ange exterminateur.

L’un est décrit par son épouse (Kelly McDonald, que c’est toujours un plaisir de retrouver), lors de sa conversation avec Bell – qui fait, lui, plus figure de chœur antique que d’enquêteur –, dans des termes qui le font apparaître comme l’archétype du héros américain classique, se dressant seul face à l’adversité... sauf que le fruit semble tombé bien loin de l’arbre: force est de constater, quel que soit le degré de sympathie que l’on peut ressentir pour lui (mais y a-t-il vraiment paradoxe ?) que ses seuls moteurs sont l’appât du gain et la volonté de survivre. S’il aime à se poser en cow-boy, son seul exploit sera d’abattre... un chien lancé à ses trousses. On est loin de John Wayne! L’autre, avec son nom improbable, sa coiffure de moine inquisiteur, son armement aux allures pour le moins étranges, sa démarche hiératique, son impassibilité terrifiante, est l’une des figures cinématographiques les plus marquantes de ces dernières années. Indestructible, imperturbable, inaltérable, Chigurh avance, en ligne droite (rétrospectivement je me demande si on le voit une seule fois prendre un virage...), traînant à côté de lui la bouteille de son pistolet à air comprimé ou précédé de son fusil à pompe à silencieux, suivant une trajectoire dont rien ni personne ne peut le faire dévier. Ceux qu’ils croisent sur sa route – la chose apparaît clairement dès le meurtre de l’adjoint du shérif, premier d’une longue série – ne sont que de pathétiques coléoptères qui gigotent, impuissants, pendant qu’ils se font écraser par une force infiniment supérieure. Comparé à la Peste par un tueur à gages concurrent (Woody Harrelson), ou encore à un spectre par le shérif Bell, Chigurh, c’est, peut-être, la Mort en personne, dernière transcendance dans un monde sans valeurs ni morale, avec tout à la fois le caractère inéluctable et l’apparente absurdité, l’incompréhensibilité, que le rôle, dans cette perspective, suppose (jouer la survie de son interlocuteur à pile ou face semble une de ses douces manies).

Avec No Country for Old Men, les Coen retrouvent la veine – et le niveau – d’inspiration de films comme Sang pour sang (Blood Simple), Fargo et Miller’s Crossing. Loin de moi l’idée de vouloir les voir se cantonner dans ce registre, mais force est de constater que la réussite est au rendez-vous. Délivrés du maniérisme qui caractérisait leurs derniers films, astreints à l’épure par la trame du roman de McCarthy, Ethan et Joël ont pu se concentrer sur la mise en scène... et quelle mise en scène! S’ajoutant à la direction d’acteurs sans faille, celle-ci est d’une intelligence et surtout d’une force à même de clouer au fond de son siège le spectateur. Utilisation de l’espace, cadrage, montage, il y a là vraisemblablement matière à une analyse poussée, mais bornons-nous en ces lieux à souligner l’impression d’ampleur et de puissance qui se dégage de tout cela. Les longs plans désertiques écrasés de soleil, la course-poursuite aux premières lueurs de l’aube, la première confrontation nocturne au motel (c’est peu dire qu’on aura rarement ressenti de cette façon la faible épaisseur d’une cloison, qui n’est, d’ailleurs, jamais montrée, séparant deux personnages), sont autant de visions qui se gravent instantanément, et a priori pour longtemps, dans l’esprit du cinéphile sidéré par ce film à l’avancée lente mais inexorable, comme la chasse à l’homme métaphysique qui nous est ici donnée à voir.

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2.2.08

La nuit. La pluie. Un ciel...

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La pluie commence à tomber –
c’est le battement
du cœur de la nuit.


Sumitaku Kenshin, traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu (extrait de l’anthologie Haiku du XXe siècle). Illustration: Kawase Hasui, Pluie nocturne à Omiya, 1930.