Génie et folie au Grand Palais Gustav Klimt, «Nuda Veritas», 1899.
[Certaines images illustrant ce post peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes internautes (ainsi que de certaines personnes chez qui une position sociale élevée se double bizarrement d’un syndrome d’immaturité intellectuelle). Merci d’en tenir compte.]Franchement ça sert à quoi d’être à Paris (lieu traditionnel des expositions les plus intéressantes du pays) avec une créature de rêve (qui adore se balader dans des expositions), si on peut pas en profiter pour visiter quelques expos, je vous le demande!
Je passerai à la vitesse grand V sur les deux expositions vues à la Bibliothèque Nationale,
Torah, Bible, Coran: Livres de Parole et
Bestiaire médiéval, non qu’elles n’en vaillent pas la peine, bien au contraire, mais je vous renvoie sur le site Internet des
expositions de la BNF, tout à fait digne d’éloges et très au-dessus de ce que je pourrais vous proposer par mes propres moyens.
Venons-en donc directement aux expositions qui nous occupèrent les deux derniers après-midi de mon plus récent séjour, sises toutes deux au Grand Palais.
Première exposition:
Vienne 1900 (Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka). Nous avons eu la chance d’arriver à un moment où il n’y avait "pas trop" de queue:
Une heure plus tard nous pouvions pénétrer à l’intérieur et... faire une deuxième queue (beaucoup plus courte heureusement) pour faire l’acquisition d’une carte Sésame, qui offre un accès prioritaire aux expositions du Grand Palais pendant une saison.
Si cette exposition est remarquable par la taille, la densité, l’intérêt de ce qui était présenté sur ses murs – en revanche, elle avait ceci de particulier que le spectacle était également dans la salle. En effet l’exposition a bénéficié d’un énorme battage médiatique, ce qui est une bonne chose, mais a eu comme effet pervers de rameuter une horde de mamies en manteau de fourrure qui étaient là parce que c’était "l’Exposition de l’Année" et que par conséquent "il fallait y être" (pas forcément pour regarder les peintures... pour pouvoir dit qu’on y avait été). Le hic, c’est qu’ils se sont vite rendu compte que les trois noms qui suivaient celui de Klimt dans le titre de l’exposition n’étaient pas là pour faire joli ("faire joli" n’est d’ailleurs pas franchement la préoccupation première d’un Schiele ou d’un Kokoschka). En gros tout le monde était venu voir le «Baiser» (1908)
...lequel (c’est pas de chance hein!) n’était pas exposé. En revanche, ils auront pu découvrir la variation – un tantinet plus scandaleuse – sur le même thème que propose Egon Schiele qui se représente ici lui-même aux côtés de sa maîtresse Wally Neuzil:
Schiele, «Cardinal et religieuse (Caresse)», 1912.
Mais commençons par le commencement. Ce sont effectivement deux toiles de Klimt que découvre d’abord le visiteur:
Klimt, «La Musique I», 1895.
Jusque là tout va bien, une allégorie, une représentation antiquisante, des dorures, c’est le Klimt qu’on connaît et qu’on aime (moi y compris, je vous rassure, je ne vais pas démolir Klimt pour le plaisir de tirer sur une partie des visiteurs, ça ferait un peu gros comme dommage collatéral et ce serait accessoirement une autre forme de snobisme). L’autre tableau,
Klimt, «L’Amour», 1895.
n’est pas non plus une œuvre fondamentalement dérangeante – surtout quand on préfère concentrer son regard sur la figure principale au centre du tableau plutôt que sur celles qui apparaissent en haut, visages fantomatiques ou franchement grimaçant...
À deux pas de là se trouve un diptyque de deux toiles de Koloman Moser, composé du «Marcheur» et de «Vénus dans la grotte» (de 1915 tous les deux).
Ici les choses commencent à se gâter légèrement, le Visiteur hésite. Il y a quelque chose de gênant dans ces toiles de Moser... mais quoi? – C’est plus tard, dans la partie de l’exposition consacré aux dessins, qu’en regardant ses esquisses préliminaire nous comprendrons la "clef" de l’œuvre picturale de Moser: il est le plus académique des quatre, il l’est même "trop" (dans le dessin des corps), et cette académisme outrancier achève d’être perverti par un emploi quant à lui résolument contre-classique de la couleur (jaunes et verts principalement qui semblent irradier des personnages).
Un peu désarçonnées tout de même par les deux toiles de Moser, les mamies en manteau de fourrure contournent un mur... et là, c’est le drame.
Schiele, «Femme couchée», 1917.
[Note: La limitation de largeur imposée par la présentation de ce blog fausse la taille des tableaux. Paradoxalement, ce sont souvent les plus monumentaux, comme c’est ici le cas, qui, étant bien souvent les plus larges, apparaissent le plus réduits sur cette page. Ce sont également ceux-ci qui souffrent le plus de la perte de détails. Afin de pallier avec les moyens du bord ce problème, l’internaute intéressé trouvera à la fin de ce post des versions de plus grande taille à télécharger.]Autant dire qu’ils n’étaient pas nombreux ceux qui s’attardaient devant ce tableau, préférant passer directement au plus poupin et inoffensif (du moins, encore une fois, si l’on est pas trop
regardant) tableau de Klimt proposé sur le mur mitoyen:
Klimt, «Bébé (Berceau)», 1917.
Pour ma part, même si une fois encore je suis moi aussi un grand admirateur de Klimt, j’avoue porter infiniment plus d’intérêt, sur le "même" thème, à ceci:
Schiele, «Mère décédée I», 1910.
Outre le fait de donner enfin accès à des artistes connus mais jamais exposés dans l’Hexagone (Gustav Klimt et Egon Schiele) et d’en faire découvrir d’autres qui étaient jusque-là à peu près
absolument inconnus du public français (Koloman Moser et Oskar Kokoschka), le moindre mérite de cette exposition n’aura pas été de re-situer Klimt dans le contexte son époque. Si la Sécession de Vienne, dont ces quatre-là furent les principaux représentants, eût lieu, précisément, où et quand elle eût lieu (Vienne, vers 1900, pour ceux qui suivent), ce n’est sans doute pas un hasard. Véritable «zone suicidogène de l’Europe», pour reprendre l’expression de Durkheim, la capitale de l’Autriche-Hongrie appelée à jouer le rôle capital que l’on sait dans le déclenchement des deux conflits mondiaux qui allaient ensanglanter le siècle, apparaît tiraillée entre une façade de haute-bourgeoisie triomphalement rayonnante et la conscience de son propre déclin. Il y a, pour emprunter un de ses titres au bon docteur Sigmund, "malaise dans la civilisation". Le bord d’un tel gouffre ne pouvait qu’attirer les artistes de toutes les avant-gardes : en musique (Alban Berg et Arnold Schönberg ouvrent la voie vers la musique contemporaine), en architecture (que révolutionnent, dans des genres très différents, Victor Horta ou Adolf Loos), dans les lettres (Musil...), et, bien sûr, en peinture. Tandis que Freud, en médecine, et Schnitzler, en littérature, se penchent sur les ténèbres de l’inconscient, Schiele lui les extériorise, projetant violemment sur ses toiles ses démons intérieurs qui sont aussi ceux de la crépusculaire apocalypse qui l’environne – Sexe et Mort, Eros et Thanatos. Si Kokoschka jouira d’une vie particulièrement longue (1886-1980) qui lui permettra de prolonger son œuvre, Klimt, Moser et Schiele mourront tous les trois en 1918 – respectivement aux âges de cinquante-six, soixante et à peine vingt-huit ans dans le cas de Schiele – et sont donc intimement liés à cette période.
À l’époque leurs œuvres font scandale (Schiele sera même brièvement incarcéré pour «diffusion de dessins immoraux»). Aujourd’hui il est de bon ton d’aller les voir exposées. Or, Sade même entré dans la Pléiade ne sera jamais un "classique" que l’on lit tout à fait comme on lirait Voltaire, Chateaubriand, Balzac; et il en va de même pour ces quatre gugusses dont l’œuvre garde aujourd’hui toute sa puissance de provocation. Que les dignes mémères tiquent encore devant leurs toiles, quelque part, c’est bon signe: signe que leur œuvre ne s’est pas affadie, qu’elle résiste au temps et à la récupération.
Aux côtés des visiteurs "normaux" (rassurez-vous, il y en avait tout de même un certain nombre!) – j’entends par là ceux qui sont venus voir l’exposition par ce que ça les intéressait, et qui face à des œuvres qui certes les désarçonnent (c’est fait pour ça!) regardent la toile et essayent de comprendre –, se pressait donc une faune un peu désorientée, bel échantillon de ce que le snobisme – voire carrément, pour emprunter une expression à Sophie, le snobinardisme – parisien allié au philistinisme petit-bourgeois face à l’art peut – encore aujourd’hui – produire.
La méthode n°1 est la plus simple: elle consiste à passer DEVANT les tableaux de Schiele, Moser ou Kokoschka, SANS LES REGARDER (surtout), en se tenant la main à la rampe qui borde les murs et en fixant déjà les yeux sur le Klimt le plus proche devant lequel on ira par la suite s’agglutiner, comme en un havre de sécurité où le troupeau peut reprendre des forces. Et à vider les lieux le plus dignement et le plus rapidement possible (allez comprendre pourquoi, les manteaux de fourrure étaient de moins en moins visibles au fur et à mesure de l’exposition…). On pourra par la suite dire
qu’on y était, et qu’il y avait de beaux Klimt.
– Klimt, pour revenir à lui, est peut-être celui qu’on aurait le plus tendance à considérer comme un "classique", le plus acceptable, le plus
regardable. Bien sûr, tant qu’on fixe ses regards au "bon endroit" (la douce figure féminine au centre des «Trois âges de la vie» plutôt que la vieille femme déformée à sa gauche) ou qu’on ne (se) pose pas "la question qui tue" (où, et sous quelle forme, tombe exactement la pluie d’or de sa «Danaé»?). Klimt est traître, bien sûr; peut-être le plus insidieux des quatre. Le scandale qui a entouré son œuvre s’est pas mal estompé. À se fixer sur ses dorures, on en a oublié (un peu) l’érotisme morbide qu’il sertit; or les deux voisinent. Revoir Klimt à la lumière (noire…) des autres acteurs de la Sécession viennoise, c’est lui rendre l’éclairage pour lequel il fut conçu. Pour qui veut bien regarder, bien sûr. –
L’autre méthode est plus risquée. Elle consiste à regarder,
malgré tout, les œuvres. Il s’agit ensuite de parvenir à se donner une contenance. Le plus sûr moyen est de faire un
commentaire. Selon le bon principe (valable dans n’importe quelle exposition, et sans doute ailleurs encore) que si quelqu’un éprouve le besoin de faire un commentaire, moins celui-ci sera intéressant, plus il le dira fort pour en faire profiter tout le monde – à l’exposition de la BNF sur les livres sacrés j’ai pu ainsi profiter de l’érudition d’un monsieur qui expliquait doctement à sa femme que non la pierre de Rosette déchiffrée par Champollion n’était pas rédigée en une seule langue… mais en deux: égyptien et latin (sic).
Plusieurs possibilités:
1/ le commentaire fin: par exemple, devant un dessin obscène de Schiele, une remarque du genre «Ah, elle doit pas avoir froid, celle-là»; ce type de commentaire, un peu vulgaire, reste cependant rare: même pour se donner une contenance, on n’est pas sensé s’abaisser au même niveau que Schiele;
2/ le commentaire autorisé: par exemple, face à «l’Annonciation» version Kokoschka, remarquer qu’«il y a quelque chose de gênant dans ce tableau… sans doute les proportions»; Marie est renversée en arrière, un trait rouge barre verticalement le bas de son visage comme si on lui avait éclaté le nez, l’ange est nu et semble s’apprêter à lui sauter dessus, derrière eux il y a une baraque en flamme et ce qui ressemble fort à un volcan prêt à entrer en éruption, mais OUI, effectivement, les proportions AUSSI peuvent apparaître gênantes!
3/ la recherche désespérée: consiste à pointer un détail d’un paysage absolument morbide de Schiele en disant «ça, c’est joli!», ou encore à émettre un soulagé «ça, c’est moins pire!» devant «Véronique et la Sainte Face» de Kokoschka (hum, êtes-vous sûr d’avoir bien regardé la Sainte Face?...).
Je ne sais pas trop comment classer ce commentaire entendu devant le «Tristan et Iseult» de Moser: «T’as vu, c’est vachement moderne, Tristan il est en panty…».
(On aura remarqué qu’aucun des commentaires que je viens de citer ne concerne un tableau de Klimt. Klimt, c’est Beau. Donc on n’a pas à le commenter. CQFD.)
Cette exposition était vraiment bien faite. Elle permettait de découvrir un grand nombre de tableaux et à travers eux de se faire une idée de tout un courant artistique, annonciatrice des débuts de la modernité esthétique. Et elle permettait également de rentrer dans la vision du monde de ces artistes: après une heure passée à se faire alternativement obstruer la vue et bousculer par des gens qui ne regardent ni les tableaux, ni où ils vont, on en vient à se dire, sans doute comme un Schiele en son temps, que puisqu’il est interdit de sortir une arme pour décimer toutes les rombières en manteau de fourrure, les voir choquées est encore ce qu’il y a de plus
légalement réjouissant…
Bien sûr, il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse (pas si inverse que ça peut-être, d'ailleurs). Schiele, Klimt, Kokoschka et Moser n'ont pas pour objectif premier de choquer le bourgeois (même si je reste persuadé que de temps en temps, ça les amuse) et leur oeuvre va bien plus loin que ça. Chacun à leur manière, ils forgèrent de nouvelles formes d'expressions picturales pour jeter sur la toile les démons intérieurs, les obsessions morbides, les plus viles réalité du monde et la difficile recherche d'une transcendance qui leur échappe, tout ce que qu'on ne voulait pas voir dans un milieu auto-satisfait et aveugle qui courait droit au cataclysme annoncé...
Kokoschka, «Couple d’amants (nus)», 1913.
Schiele, «Ermites» [portraits de Schiele et de Klimt], 1912.
Klimt, «Pallas Athéné», 1898.
Kokoschka, «Véronique et la Sainte Face», 1909.
Schiele, «Agonie», 1912.
Moser, «Judith et Holopherne», 1916.
Klimt, «Judith II» (dit aussi «Salomé»), 1909.
Schiele, «Visionnaire II (Un homme et la Mort)», 1911.
Moser, «Trois femmes accroupies», c.1914.
Klimt, « Les trois âges de la vie»
Kokoschka, «Double portrait (Kokoschka et Alma Mahler)», 1912-13.
Moser, «Deux jeunes filles», 1913-1914.
Klimt, «Danaé», 1907.
Schiele, «Nu à la pantoufle à carreaux», 1917.
Moser, «Tristan et Iseult (Philtre d’amour)», 1913-1915.
Kokoschka, «L’Annonciation», 1911.
Schiele, «Jeune fille agenouillée, appuyée sur les coudes», 1917.
Klimt, «Femme nue», c.1912-1913.
Schiele, «La danseuse Moa», 1911.
Kokoschka, «Trois études pour la fille d’un saltimbanque», 1908.
Klimt, «Dame à la cape et au chapeau», 1897-1898.
Schiele, «Le combattant», 1913.
Kokoschka, «Assassin, espoir des femmes» I et II, 1910.
Schiele, «Portrait d’Edith Schiele debout», 1915.
Klimt, «Portait de Joseph Pembauer», 1890.
Moser, «Portrait d’Anna Bahr-Mildenburg», 1913.
Klimt, «Dame avec chapeau et boa à plumes», c.1910.
Schiele, «Autoportrait aux alkékenges», 1912.
Moser, «Autoportrait», c.1916.
Schiele, «Nu masculin assis (Autoportrait)», 1910.
Kokoschka, «La poupée (Alma Mahler)», 1918.
Schiele, «Portrait de l’éditeur Eduard Kosmack», 1910.
Klimt, «Portrait de Mäda Primavesi», c.1912.
J’ai volontairement laissé de côté, dans ce "petit" échantillon (l’adjectif est tout relatif, mais il m’eût été difficile de ne présenter qu’un ou deux tableaux d’une exposition si riche, qu’à titre indicatif nous avons mis plus de quatre heures et demi à "traverser"), j’ai laissé de côté, disais-je donc, la section de l’exposition consacrée aux paysages. En bref, si Klimt fait le choix du lumineux et de la prolifération végétale
Klimt, «Sur l’Attersee», 1901.
Klimt, «Jardins et sommets de montagne», 1916.
...si Moser semble s’apaiser devant le spectacle de la Nature
Moser, «Vue sur le Rax» (s.d.).
Moser «Vue sur Payerbach avec le Rax à l’arrière-plan», 1912-1913.
...Schiele, lui, reste irréductible :
Schiele, «Paysage aux corbeaux», 1911.
Schiele, «Ville morte III», 1911.
Schiele, «Sanctuaire forestier», 1915.
Schiele, «Quatre arbres», 1917.
L’exposition
Mélancolie (sous-titrée
Génie et folie en Occident) qui se tenait également au Grand Palais était tout de même plus consensuelle (quoique... l’autel baroque avec des squelettes de fœtus... hum...). Un peu moins de publicité ayant été fait directement autour, le syndrome de la peau de fourrure joua moins. Toutefois (était-ce le fait que l’exposition fermait ses portes quelques jours à peine après notre passage?) nous n’étions, une fois de plus, pas vraiment seuls.
Sur la photo ci-dessous, vous pouvez voir, de gauche à droite: la file pour ceux qui avaient précédemment acheté une carte Sésame, la file de ceux qui avaient réservé leur billet à l’avance, et la file de ceux qui n’avaient rien de tout ça:
Mais me direz-vous, pourquoi payer un billet coupe-file si c’est pour se retrouver aussi dans une file d’attente? C’est très simple. Nous avons dû attendre un peu plus de quarante minutes avant d’entrer; ceux qui n’avaient rien prévu, eh bien... vous voyez cette queue qui fait le tour du petit espace vert et qui longe tout le trottoir?...
La Mélancolie a ses figures obligées, la plus courante étant celle qui représente un personnage mélancolique (ou la Mélancolie elle-même) obligé d’appuyer sa tête trop lourde de pensées sur son bras replié… En conséquence de quoi l’exposition
Mélancolie présentait ce qui est sans doute à ce jour – et pour quelques temps encore – la plus grande réunion de têtes appuyées sur un bras replié. Mais la Mélancolie a aussi connu bien des formes et bien des variations au cours des millénaires – ce qui donna parfois à ladite exposition des petits airs de bric-à-brac (quelqu’un peut m’expliquer la présence de la corne de narval? et des polyèdres géométriques?...). Impression renforcée par le fait que bien que le parcours soit organisé de façon globalement chronologique, les commissaires de l’exposition n’ont pourtant pas hésité à créer ça et là de surprenants raccourcis, en faisant voisiner un tableau (forcément surréaliste) de Max Ernst avec la statuaire médiévale ou au contraire une sculpture de Picasso avec des peintures du XVIIe siècle…
D’Ajax qui chez Sophocle se suicide en découvrant qu’il a, dans son délire, massacré un banal troupeau de bœufs au lieu des chefs de l’armée achéenne, à David Nebreda, photographe madrilène schizophrène et paranoïaque qui met en scène la terrifiante auto-destruction de son corps,
[David Nebreda, «Le miroir la cendre et l’alpha brûlé sur le front» (détail), 1989.]
...de l’incontournable Dürer
[Albrecht Dürer, «Melencolia I», 1514.]
...à Music
[Zoran Music, «Le fauteuil gris», 1998.]
...de l’acédie qui frappe les ermites dans leur retraite désertique (à commencer par Saint Antoine) et les moines médiévaux à l’ultra-moderne solitude de nos sociétés sous prozac, mélancolie, folie, spleen et psychose, petit florilège de ces fleurs malades – et, pour certaines d’entre elles, célèbres (nul doute que vous en reconnaîtrez quelques-unes au passage) – écloses à la lumière de Saturne:
Gérard de Saint Jean, «Saint Jean-Baptiste au désert», c.1480-1485.
Giorgione, «Double portrait», c.1502.
Dürer, «Le chevalier, la Mort et le Diable», 1514.
Lucas Cranach l’Ancien, «La Mélancolie», 1532.
Nicholas Hilliard, «Portait d’Henry Percy, 9e comte de Northumberland», c.1594.
Domenico Fetti, «La Mélancolie», c.1614.
Georges de La Tour, «Madeleine à la veilleuse», 1630-1635.
Francisco de Zurbaran, «La maison de Nazareth», c.1635-40.
Jean-Antoine Watteau, «Deux cousines», c.1716.
Johann Heinrich Füssli, «Ezzelin Bracciaferro, songeur, devant Méduna qu’il a tuée pour son infidélité lorsqu’il était en Terre Sainte», c.1780.
William Blake, «Nabuchodonosor», 1795.
Francisco de Goya, «Le pavillon des lunatiques», 1793-94.
Goya, «Le sommeil de la raison produit des monstres (Caprice n°43)», 1797-1798. (Bon, là je triche un peu car c’était une esquisse préliminaire qui était exposée au Grand Palais.)
Goya, «Portrait de Don Gaspar Melchior de Jovellanos», 1798.
Goya, «Le Temps» (dit également «Les Vieilles»), 1798.
Caspar David Friedrich, «Lever de lune sur la mer», 1822.
Eugène Delacroix, «Autoportrait en Hamlet», c.1821.
Delacroix, «La mort de Sardanapale», 1827. (Même remarque que pour «le Sommeil de la Raison...» de Goya.)
John Martin, «Le dernier homme», 1833.
Charles Baudelaire, Autoportrait, c.1860.
Fernand Khnopff, «En écoutant du Schumann», 1883.
Arnold Böcklin, «L’Ile des Morts», 1883.
Odilon Redon, «La fleur du marécage, une tête humaine et triste», 1885.
Odilon Redon, «Les yeux clos», 1890.
Vincent Van Gogh, «Portrait du Docteur Paul Gachet», 1890.
Thomas Eakins, «Le penseur (Portrait de Louis N. Kenton)», 1900.
Giorgio De Chirico, «Mélancolie hermétique», 1918-1919.
Edward Hopper, «Cinéma à New York», 1939.
Hopper, «Une femme au soleil», 1961.
...et pour conclure ce post sur un chef-d’œuvre d’absolu (c’est mon avis et je le partage):
Friedrich, «Moine sur le rivage», 1809.