16.2.10

Plaidoyer pour une hibernation bloggesque
à l’usage d’éventuels lecteurs passant encore par là



Je n’aime pas les gens qui sont si fort maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent: «Aujourd’hui je ferai trois visites, j’écrirai quatre lettres, je finirai cet ouvrage que j’ai commencé.» – Mon âme est tellement ouverte à toutes sortes d’idées, de goûts et de sentiments; elle reçoit si avidement tout ce qui se présente!... – Et pourquoi refuserait-elle les jouissances qui sont éparses sur le chemin difficile de la vie? Elles sont si rares, si clairsemées, qu’il faudrait être fou pour ne pas s’arrêter, se détourner même de son chemin, pour cueillir toutes celles qui sont à notre portée. Il n’en est pas de plus attrayante, selon moi, que de suivre ses idées à la piste, comme le chasseur poursuit le gibier, sans affecter de tenir aucune route. Aussi, lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite: je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin; de là je pars obliquement pour aller à la porte; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façon, et je m’y arrange tout de suite.


Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre, 1795. Photographie sans titre de Lee Miller, c.1930.

30.11.09

Nuits d’ici et là-bas

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Le crépuscule tombait à la même heure toute l’année. II était très court, presque brutal. À la saison des pluies, pendant des semaines, on ne voyait pas le ciel, il était pris dans un brouillard uniforme que même la lumière de la lune, ne traversait pas. En saison sèche par contre le ciel était nu, découvert dans sa totalité, cru. Même les nuits sans lune étaient illuminées. Et les ombres étaient pareillement dessinées sur les sols, les eaux, les routes, les murs.

Je me souviens mal des jours. L’éclairement solaire ternissait les couleurs, écrasait. Des nuits, je me souviens. Le bleu était plus loin que le ciel, il était derrière toutes les épaisseurs, il recouvrait le fond du monde. Le ciel, pour moi, c’était cette traînée de pure brillance qui traverse le bleu, cette fusion froide au-delà de toute couleur. Quelquefois, c’était à Vinhlong, quand ma mère était triste, elle faisait atteler le tilbury et on allait dans la campagne voir la nuit de la saison sèche. J’ai eu cette chance, pour ces nuits, cette mère. La lumière tombait du ciel dans des cataractes de pure transparence, dans des trombes de silence et d’immobilité. L’air était bleu, on le prenait dans la main. Bleu. Le ciel était cette palpitation continue de la brillance de la lumière. La nuit éclairait tout, toute la campagne de chaque rive du fleuve jusqu’aux limites de la vue. Chaque nuit était particulière, chacune pouvait être appelée le temps de sa durée. Le son des nuits était celui des chiens de la campagne. Ils hurlaient au mystère. Ils se répondaient de village en village jusqu’à la consommation totale de l’espace et du temps de la nuit.



Marguerite Duras, L’Amant, 1984. Vincent Van Gogh, Nuit étoilée au-dessus du Rhône, 1888.

11.11.09

Vous avez demandé la Police de la Pensée? Ne quittez pas

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Il ne suffit pas au gouvernement d’agir comme il le fait depuis deux ans et demi maintenant, il semble qu’il lui faille encore être sûr de ne pas se l’entendre trop vivement reprocher. Le petit ballet médiatique soigneusement orchestré la semaine dernière autour de l’aveu par Nicolas Sarkozy, en tout-petit-comité, sans doute soigneusement choisi, de quelques erreurs politiques tout aussi soigneusement choisies, situe apparemment la limite de ce que le pouvoir peut tolérer. Et s’il faut inventer des lois pour garantir que l’on n’aille pas plus loin, eh bien, dans la logorrhée législative actuelle, on n’est plus à ça près, semblent bien se dire certains députés avides de brosser le pouvoir dans le sens du poil.

Dont acte avec Éric Raoult, député UMP de Seine Saint-Denis, qui vient à l’Assemblée d’«attire[r] l’attention de M. le ministre de la Culture et de la Communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du Prix Goncourt. En effet, estime M. Raoult, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. À ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l'image de notre pays.»

En cause, une interview donnée (en août, pour ajouter au caractère ubuesque de la chose) par Marie NDiaye, lauréate lundi du fameux Goncourt pour son roman Trois femmes puissantes. Au cours de cette interview, donc, donnée aux Inrockuptibles, et disponible intégralement par là, Marie NDiaye, interrogée, entre autres questions plus littéraires et culturelles, sur ce qu’elle pense de «la France de Sarkozy», a répondu la trouver «monstrueuse», expliquant que le fait qu’elle ait choisi «juste après les élections» de déménager à Berlin avec homme et enfants était «loin d’être étranger à ça». «Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité... explique Marie NDyiaye. Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. [...] Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible.» Et de conclure sur le sujet en disant que si le gouvernement de l’Allemagne où elle habite à présent est également à droite, celle-ci «n’a rien à voir avec la droite de Sarkozy: elle a une morale que la droite française n’a plus».

Des propos inacceptables pour Éric Raoult, qui estime qu’«Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions, plus de respecter le rôle et le symbole qu’elle représente. C’est pourquoi, il me paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité.» et en appelle à Frédéric Mitterrand – lequel n’a pas encore donné de réponse, tout occupé qu’il doit être depuis un certain temps maintenant à se mordre consciencieusement et très-régulièrement les doigts d’avoir abandonné la Villa Médicis pour entrer dans ce gouvernement (ah! traîtresse Carla!!).

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À défaut de réponse ministérielle, nous nous joindrons humblement à ceux qui rappellent et rappelleront à M. Raoult les éléments suivants:

– il n’existe pas dans le droit français de ‘‘devoir de réserve’’ pour les écrivains, qu’ils aient ou non reçu un prix littéraire;

– outre que de façon générale le ‘‘devoir de réserve’’ n’a aucune existence dans le droit administratif français, mais seulement jurisprudentielle, l’État ne saurait de toute façon l’invoquer pour interdire à ses fonctionnaires l’expression de leurs opinions politiques, expression garantie à tout citoyen depuis la Déclaration de 1789 (voir ici);

– enfin, pas plus que recevoir le Goncourt ne fait de vous un fonctionnaire français, il ne va de pair avec une quelconque obligation de ‘‘défendre les couleurs de la France’’. Un écrivain n’a à défendre que son œuvre propre, et, éventuellement, la vision du monde qu’il aurait choisi d’y exprimer.

On notera d’ailleurs que l’Académie Goncourt couronne des romans d’expression française, ce qui signifie qu’il n’est pas même besoin que ces romans soient écrits par des Français, comme l’a encore prouvé en 2006 le cas des Bienveillantes de l’Américain Jonathan Littell (mais on pourrait aussi évoquer le récemment disparu Jacques Chessex, Suisse et Goncourtisé en 73 pour L’Ogre, sans parler des auteurs à double nationalité comme Amin Maalouf ou l’an dernier Atiq Rahimi...).

L’appel d’Éric Raoult cumule donc, à première vue, contre-sens et aberrations. Mais peut-être est-il symptomatique d’autre chose. Adoptons une perspective supérieure. Il y a peu, notre Prince-Président affirmait avoir assisté sur place à la chute du Mur de Berlin, alors que tout – les faits (et les archives) sont têtus, sauf pour TF1 – tend à prouver qu’il n’a mis les pieds dans la capitale allemande qu’une semaine plus tard. Lors de la commémoration de cette même chute, il a déclaré que l’évènement avait ouvert la voie à la démocratisation de différents pays de l’Est dont... la Pologne, dont nous pensions jusque-là benoîtement que c’était, a contrario, la démocratisation qui avait été un signe avant-coureur de la chute du Mur. Bourdes? Contre-vérités – voire, dirons peut-être les plus venimeux, mensonge? Point! Soyons-en persuadés: visionnaire, notre Président transcende désormais les lois de la physique, et la chute du Mur de Berlin représente le point dans l’espace-temps à partir duquel Nicolas Sarkozy explore les chemins des passés possibles, réécrivant l’Histoire à l’envers. Ça devait bien finir par arriver: Éric Raoult ne fait que poursuivre dans la voie tracée par notre glorieux leader, en ramenant la France... dans l’URSS d’avant la perestroïka.



***
Post-scriptum n°1: à ceux qui s’inquiètent de la façon dont sont défendues les couleurs culturelles de la France, par ceux à qui il revient, cette fois, de le faire, on conseillera de se pencher sur le cas des dernières nominations aux titres de chevaliers et de commandeurs de l’ordre des Arts et Lettres, nominations signées le dernier jour de son mandat par la Ministre de la Culture Christine Albanel et concernant, ô surprise, exclusivement des membres de son cabinet, «conducteur d’automobile» et personnalité suspendue dans le cadre de ‘‘l’affaire’’ TF1-Bourreau compris. Dévoilée la semaine dernière par le blogueur (et parlementaire) Autheuil, l’information commence à filtrer à travers la toile même si on peut douter qu’elle atteigne jamais les ‘‘grands médias’’.

Post-scriptum n°2: à l’heure où j’écris ses lignes, j’apprends que Nicolas Sarkozy aurait poursuivi sa remontée dans le temps, en ayant fait jouer devant Angela Merkel, conviée aujourd’hui aux célébrations de l’armistice de 1918, Deutschland über alles, version de l’hymne allemand qui n’est plus pratiquée par les principaux intéressés depuis 1991 et est généralement perçue par eux comme un rappel à l’époque du IIIe Reich. Mais où s’arrêtera-t-il?...

6.11.09

Dans le parfum désert de ces anciens rois...

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Plan fixe. «Jeanne» (Moreau) soliloque seule attablée à une grande table dans un salon Napoléon III, quand elle est rejointe par «Fanny» (Ardant), qui a elle aussi reçu une invitation. Au bout d’un moment, «Nathalie» (Baye) sort de dessous la table, très contrariée d’avoir perdue une boucle d’oreille en forme de crabe, à laquelle elle tient beaucoup puisque, explique Jeanne, elle-même est du signe du Cancer. Au bout d’un moment, comme aucune des trois ne sait pourquoi elles ont été invitées, qu’il n’y a ni domestique, ni hôte, ni autres convives en vue, elles décident de se servir à boire en attendant. Un peu plus tard, on retrouvera le même cadrage sur la table désormais vide tandis que résonneront, hors champ, les voix des trois dames fredonnant l’air du «tourbillon de la vie» en le jouant très approximativement sur un piano tout aussi approximativement accordé.

Cette réunion, dépourvue de sens et de finalité, de gloires qui n’ont jamais parues si vieilles et passent le temps présent en songeant au temps passé, constitue la scène qui peut-être résume le mieux Visage, le dernier film de Tsai Ming-liang. Bien mieux, en tout cas, que le pitch officiel du film, qui – avec quelques détails dont je vous fais grâce, puisque de toute façon on n’en voit pas le premier centimètre de l’ombre dans le film proprement dit – évoque, grosso modo, le tournage d’une adaptation du mythe biblique de Salomé dans le Musée du Louvre. Pour être tout à fait juste, ce résumé pourrait convenir, si l’on n’est pas trop regardant, aux vingt dernières minutes du film. Mais avant ces vingt minutes, il y a deux heures. Deux (longues) heures essentiellement constituées de successions de séquences en plans fixes, scènes tour à tour banales, absurdes ou plus ou moins oniriques, dont un certain nombre semblent essentiellement reliées entre elles par le principe de la kyrielle (marabout, bout d’ficelle...), visuelle et non syllabique: tandis que, hors champ, un homme tente de joindre par téléphone portable un acteur nommé Antoine, la caméra fixe un homme assis à une table, qui ramasse par terre une plume de pigeon et la pose sur la table; la séquence suivante s’ouvre sur des plumes de pigeon à la fenêtre d’un appartement, où a lieu une inondation qui envahit bientôt tout l’espace, tandis que las de la combattre, le protagoniste finit par s’en aller plutôt prodiguer des caresses intimes à une femme enceinte allongée sur un lit, et qui est peut-être sa mère (?), tandis que l’eau continue de monter; le plan suivant est centré sur de l’eau coulant dans un caniveau, le long d’un trottoir où marche Fanny Ardant, qui va sonner, vainement, à une porte; puis on retrouve la même Fanny Ardant qui va s’assoir au Père Lachaise; et au plan suivant c’est Jean-Pierre Léaud qu’on trouve assis, mais dans le Jardin des Tuileries cette fois... etc.

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Quelques séquences, vers le milieu du film, tournent autour d’un non-dit: la mort de la mère du réalisateur. Mais un non-dit, c’est déjà, même dans sa négativité, quelque chose qu’on peut appréhender. Le plus souvent, Tsai Ming-liang donne surtout l’impression de n’avoir rien à dire. Ni même, à défaut, rien à raconter. Seulement voilà, parvenir à faire tenir une œuvre uniquement par la force du ‘‘style’’, de l’esthétique, à l’exclusion de tout autre facteur, suppose un talent nettement supérieur à celui dont le réalisateur fait preuve dans ce film (n’ayant vu aucun des précédents, je n’émettrai pas de jugement définitif, mais enfin je ne compte pas me précipiter pour découvrir le reste de sa filmographie...). Tel quel, Visage a surtout l’allure d’une juxtaposition de courts-métrages: tiens, j’ai une idée, filmons, les estampilles ‘‘auteur’’ et ‘‘art et essai’’ feront passer. Notons que dans le lot, certains, d’ailleurs, auraient pu être intéressants, et qu’il arrive qu’on finisse par brièvement se laisser prendre, un peu, au jeu hypnotique. Mais l’accumulation produit surtout un effet de délitement, de déréliction, d’ennui et de consternation.

Tsai est visiblement fasciné par Truffaut, et ne rate pas une occasion de nous le faire savoir: en convoquant les stars de l’époque, en faisant lire (longuement) à l’une un livre sur le réalisateur, en faisant évoquer à l’autre le souvenir de «François», en faisant fredonner à plusieurs reprises la rengaine de Jules et Jim... Mais qu’il y a loin de la vitalité qui se dégage des films de la Nouvelle Vague, à la production languide de Tsai Ming-liang! – De même, on sera prié de se garder de toute référence au surréalisme authentique. – Il ne suffit pas de faire citer en boucle dans une scène à un acteur les noms de Pasolini, Welles, Chaplin et consorts, pour se mettre à leur niveau. Il ne suffit pas de convoquer brièvement Nathalie Baye, qui fit l’une de ses premières apparitions dans le rôle d’une scripte dans La Nuit américaine, dans un film où il est (vaguement) question de tournage cinématographique, pour faire de celui-ci un équivalent de celui-là. Tsai, ‘‘auteur’’ étranger, reçu régulièrement à Cannes, convoque ‘‘nos’’ étoiles devant sa caméra: voilà peut-être le principe qui explique les éloges, au ton souvent un peu trop visiblement forcé, que j’ai pu lire du film, de la part de critiques qui auraient probablement descendu en flammes un cinéaste français qui se serait permis la moitié de ce que se permet le Taïwanais. Hélas! comme il est des amis qui nous passent le besoin d’ennemis, il est des hommages qui valent les pires enterrements. C’est peu dire que les célébrités réunies ici ne sortent pas grandies de l’exercice – singulièrement Jean-Pierre Léaud, présenté comme une sorte de débile cacochyme, à moitié fou, qui fait peine à voir, et même à entendre (on comprend à peine plus ce qu’il dit que le reste du film...).

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On demeure quelque peu gêné en pensant au nombre de financements privés et surtout publics, en provenance de plusieurs gouvernements, monopolisés, au détriment d’autres cinéastes, par l’entreprise d’auto-scrutation/exhibition de nombril de Tsai Ming-liang, avec son parterre de stars entraînés dans la galère et son tournage entre Paris et Taipei – dont le peu que l’on voit à l’écran (l’intérieur d’un crematorium, l’intérieur d’un appartement, un bout de périphérique) pourrait tout aussi bien appartenir à la banlieue parisienne, d’ailleurs. Le film est l’«opus 1» d’une série intitulée Le Louvre s’offre aux réalisateurs (on imagine que le verbe s’offrir est une vue de l’esprit...): quand il en accepte le principe – c’est-à-dire, comme mentionné plus haut, dans les vingt dernières minutes du film –, Tsai n’en filme quasiment que les sous-sols, égouts et conduits de chauffage, le seul plan à montrer le musée proprement dit étant l’avant-dernier du film, lorsqu’un Léaud en costume d’Hérode et en rupture de tournage débarque devant le Saint Jean Baptiste de Léonard de Vinci (attention: idée). De la figure de Salomé censée fournir le sujet du film, on ne retrouve pas grand-chose non plus hors la danse des sept voiles, jusqu’au nu intégral – mais dont l’outrance et le kitsch désamorcent totalement la charge érotique –, exécutée par Laetitia Casta devant un Lee Kang-sheng (alter ego du réalisateur) entravé et barbouillé de sauce tomate. Encore cette scène constitue-t-elle, pour la caution ‘‘jeune’’ star bankable du film, le sommet de sa prestation, un cran au-dessus des précédentes scènes musicales, chantées en playback, où l’actrice devait se livrer, dans d’improbables costumes Christian Lacroix, à des chorégraphies signées Philippe Découflé, le tout ayant irrésistiblement l’allure de spots de pub pour parfum ou galerie marchande chic démesurément étendus – et sans que l’on en saisisse le rapport avec le reste du film, bien entendu. Enfin, je suis mauvaise langue, il y avait aussi toutes les scènes où elle s’appliquait à couvrir méthodiquement (et longuement, oui) des fenêtres et des miroirs avec du ruban adhésif noir...

Si l’on ajoute qu’une part non négligeable des rares lignes de dialogue du film semble renvoyer à la situation d’une salle de cinéma appelée à se vider avant la fin, on concevra qu’il n’est pas absolument impossible de percevoir, derrière la pose arty du réalisateur, quelque chose comme du foutage de gueule. Rien, dans l’absolu, n’empêche un film d’avoir un rythme très lent, peu de dialogues, une construction non-linéaire se détournant de la narration classique, et de rester passionnant. Tout à son petit plaisir de faire tourner dans son manège Léaud, Ardant, Casta et les autres, Tsai Ming-liang n’a pas retenu cette option pour ce film-ci, se contentant, apparemment, de diluer indéfiniment quelques plutôt pauvres idées pour aboutir finalement à un pensum prétentieux et très peu fascinant.

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24.10.09

Souvenirs d’un été
(Poussières sauvées... de la rentrée)


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– Mes premières recherches pour mes premiers ‘‘vrais’’ articles publiés (prochainement...), recherche incluant une semaine et demi assez intensive dans les entrailles de la BnF début juillet (parce-que-pas-d’hébergement-possible-au-delà) et la chasse de quelques textes fantômes (le prochain que je croise, j’en fait un bibendum-chamallow). Comment? Si je veux en faire d’autres? Oui bien sûr! Mais euh... pour quand?.....

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– Quelques retours vers le sud dont un ayant permis de retrouver des amis plus vus depuis un bon moment, au sommet de Notre Dame de La Garde pour assister au feu d’artifice du 14 juillet. Coïncidence: à l’arrivée à Marseille quelques jours plus tôt, le moteur de (feue) ma voiture était lui aussi brusquement parti en flammes alors que je la conduisais.

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– Entre guerre froide et partie de cache-cache, tout un été et un début d’automne de relations d’un nouveau type avec les différents acteurs de mon nouveau destin administratif (université, rectorat, IUFM, ministère(s)), sur le mode apparemment immuable du ‘‘on vous fait lanterner pendant un mois et demi minimum, mais après ça si vous, vous ne réagissez pas dans les cinq jours, vous êtes un homme mort’’. Avec sa variante: ‘‘ça fait trois mois qu’on vous annonce (/ou: demande) ça, mais hier on a décidé de changer d’avis’’. Qu’est-ce qu’on se marre.

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– Trois journées à Lisbonne avec ma Sophie et un couple d’amis, à se dépayser la tête pour en apprécier, entre visites et simples déambulations, côté ancien et côté moderne, et de petites rues en grands monuments, les hauts lieux, les trésors artistiques, l’atmosphère générale, la gastronomie locale, etc., toutes choses qui font éminemment du bien.

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– Une chaleur étouffante, liquéfiante, très peu compatible avec une activité neuronale intense, ou ne serait-ce qu’un tant soit peu productive. Et pourtant, maintenant qu’il fait moche, froid, et qu’il pleut, on regrette déjà l’été fini. Vous savez quoi? l’être humain est un éternel insatisfait (ou alors c’est juste moi?).

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– Les premières pages de ma thèse à rendre à la rentrée – oui, déjà, bon, rien de définitif mais un ‘‘exemple’’ concret... ce qui peut déjà devenir une entreprise très divertissante quand votre serviteur décide à cette occasion, avec une totale inconscience, de se plonger dans l’œuvre proliférante d’un auteur majeur et de (tenter de) faire avec celle-ci ce qu’aucun autre critique n’a, a priori, fait avant lui. Ahah.

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– Une nuit magique à La Roque d’Anthéron, en bonne compagnie devant le duo formé par Frank Braley et Renaud Capuçon pour l’intégrale des sonates pour piano et violon de Beethoven. Un an plus tôt je me plaignais, en ces lieux, de la brièveté du concert de Braley dans le cadre du même festival. Cette fois-ci, après six heures de musique, eh bien... eh bien j’en aurais volontiers repris deux ou trois, encore, en fait.

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Et puis maintenant, on va essayer de reprendre les choses sérieuses dans ces pages-ci aussi, au cas où il resterait quelques lecteurs que mon silence estival n’aurait pas totalement poussés à la désertion...

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(Photographies : Lisbonne, pour ceux qui n’auraient pas suivi... Images cliquables comme d’habitude.)

13.9.09

Au revoir Willy

Le photographe Willy Ronis s’est éteint hier soir. D’autres, professionnels de la nécrologie, ou plus immergés dans le monde argentique, exposent et exposeront ailleurs, mieux que je ne saurais le faire, son parcours, des manifs ouvrières des années 30 aux nues auxquelles il consacra ses dernières années, en passant par les ruelles inlassables explorées d’un Paris qui n’était pas encore ‘‘pittoresque’’. Analyseront, peut-être, ces images lumineuses.

Je ne saurais même pas par quel cliché illustrer ce billet. La légèreté de ces jambes féminines enjambant une flaque d’eau près de la place Vendôme? La délicatesse diaphane des adieux du permissionnaire capturés au travers d’un rideau? Cette photographie de syndicaliste haranguant la foule, qu’il disait préférer entre toutes, ou cette autre d’une foule bien différente, se fondant avec celle peinte par David pour le sacre de Napoléon, un dimanche au Louvre où il avait ses habitudes? Paysage bucolique et calme, ou inquiétante étrangeté d’une station de RER à la fin des années 70? Frénésie de New York, ou Provence des joueurs de pétanque? Ou le charme indicible du dos nu de Deena, visage tourné vers on ne sait quel ailleurs – cet ailleurs vers lequel vogue, peut-être, aussi, la péniche aux enfants?...

Finalement, je me contenterai de dire que c’est en découvrant son œuvre, via une sélection regroupée pour Reporters sans frontières, il y a une huitaine d’années, que j’ai vraiment, je crois, découvert que la photographie était aussi un art.

Willy Ronis a fermé les yeux. Son regard nous reste.

24.8.09

IV

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Et tant pis pour les râleurs, je maintiens la tradition, fût-ce en version courte. :-D

18.8.09

Sîtâ par-ci, Sîtâ par-là...

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Nous reportons momentanément la répétition virtuelle de la ballade lisboète pour un cas d’urgence cinéphilique. Si mon silence juilletiste n’a pas fait fuir tous mes lecteurs, que ceux qui restent, s’ils ont la chance d’habiter à une distance raisonnable d’une des neuf (!!) salles françaises diffusant pour l’heure le long-métrage d’animation Sita chante le blues (Sita sings le blues, 2008), se ruent au plus vite à l’intérieur de celle-ci tant que celui-là y est encore à l’affiche. Et gageons que même si le film n’est sorti que mercredi dernier, cela ne durera pas longtemps, si j’en juge par la publicité quasi inexistante autour de lui et par le vide absolu de la salle autour de Sophie et moi hier soir. Quant aux autres, qu’ils ne perdent pas totalement espoir, il leur reste du moins la possibilité de visionner voire de télécharger le film aussi gratuitement que légalement (et avec des sous-titres s’il-vous-plaît) sur le site où Nina Paley, sa scénariste / réalisatrice / chef décoratrice / directrice de l’animation / interprète / monteuse / productrice et-toute-autre-fonction-sauf-spécification-contraire, l’a mis elle-même à la disposition de tout un chacun, sous licence Creative Commons. À défaut de permettre de profiter du film dans les meilleures conditions (qui restent bien sûr celles de la projection en salle, est-il besoin de le dire?), ça poilagratterra un peu Frédéric Mitterrand, c’est toujours ça de pris. Mais revenons à nos moutons dessinés.

Nina Paley, donc, est une dessinatrice et réalisatrice de courts-métrages d’animations. En 2002, elle a vécu la très-désagréable expérience de voir son compagnon, parti travailler en Inde, lui signifier par mail, de là-bas, la fin de leur relation. Elle rapproche alors sa propre histoire de celle de Sîtâ, dans le Râmâyana, répudiée sans raison par son époux Râma à qui elle voue pourtant un amour inconditionnel. À la découverte de ce texte, s’en ajoute bientôt une autre: celle d’Annette Hanshaw, une des premières grandes chanteuses de jazz et de blues, qui connut son heure de gloire entre la fin des années 20 et le début des 30, avant de mettre un terme à cette carrière pourtant assez brillante pour se consacrer à la vie maritale. Ces trois éléments – le texte hindou plusieurs fois millénaire, les chansons d’Annette Hanshaw et l’histoire personnelle de la réalisatrice – se mêlent dans le film que Nina Paley a mis cinq ans à mener à terme.

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Les courtes séquences autobiographiques se superposent donc à une relecture du Râmâyana vu, en quelque sorte, du point de vue de Sîtâ, épouse aimante et docile du divin prince Râma, enlevée et séquestrée par un ennemi de celui-ci, puis délivrée par son époux avec l’aide du dieu-singe guerrier Hanouman, mais répudiée alors au motif que Râma a des doutes sur le fait qu’elle ait pu rester ‘‘pure’’ durant sa captivité. Cette (majeure) partie est assurée de deux façons distinctes: d’une part, une narration reconstituée de façon quelque peu fantasque par des marionnettes traditionnelles de théâtre d’ombre, d’autre part des scènes de ‘‘comédie musicale’’ qui presque toutes construites sur des enregistrements d’Annette Hanshaw.

Tout cela est fort peu orthodoxe (quelques fondamentalistes hindous ont visiblement cru de bon ton de grincer des dents), mais hautement réjouissant. Car si ce projet avait clairement une dimension de catharsis pour son auteure, le résultat final est le meilleur gage de sa réussite. À l’image des chansons d’Annette Hanshaw, toujours entraînantes même quand le sujet ne semble guère s’y prêter, Sita chante le blues dynamite le pathos qui pouvait coller aux basques du désastre sentimental personnel comme de la relecture ‘‘féministe’’ du ‘‘plus grand chagrin d’amour jamais conté’’. Sans empêcher l’éclosion de passages marqués par l’émotion (le choix final de Sîtâ) voire un certain sens de la grandeur (les ‘‘visions’’ mystiques), le film privilégie très-nettement le décalage ironique et les jeux de l’absurde, ne reculant devant aucun doux délire (l’«entracte» durant lequel tous les personnages vont se chercher des popcorns et des sodas!...) et n’hésitant pas non plus à égratigner les figures mythiques (voir notamment l’hilarante séquence du ‘‘dérapage’’ des louanges que les fils du «parfait» Râma sont censés chanter de leur père).

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Au fractionnement des séquences narratives répond un patchwork graphique, incluant principalement (mais ne se limitant pas à) trois styles: un style d’apparence un peu ‘‘brouillon’’, parfois agrémenté de collages, pour la partie autobiographique, un autre reposant sur des emprunts aux différentes traditions picturales indiennes classique et moderne, pout la ‘‘narration’’ de l’histoire de Râma et Sîtâ, et un style ‘‘naïf’’ d’aspect assez géométrique pour les séquences musicales. Le résultat à l’écran désarçonne un peu au début mais la juxtaposition des différents graphismes donnent des effets non seulement plaisants, mais réellement magnifiques par moments. La séquence ‘‘illustrant’’ (si l’on peut encore user du terme en pareille circonstance) le sentiment vécu au moment de la rupture amoureuse est, notamment, une véritable splendeur. Dans la forme comme dans le fond, les disparités apparentes des éléments convoqués se fondent dans le résultat final. Car si l’originalité de la démarche de Nina Paley est à saluer, on retiendra surtout du film, au sortir de la salle, la façon non seulement souriante mais véritablement vivifiante avec laquelle la réalisatrice transfigure une expérience douloureuse propre à toutes les cultures, à l’intimité de tout un chacun comme aux grands mythes immémoriaux.

11.8.09

Partance

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Quero ir convosco, quero ir convosco,
Ao mesmo tempo com vós todos
Pra toda a parte pr’onde fostes!
Quero encontrar vossos perigos frente a frente,
Sentir na minha cara os ventos que engelharam as vossas,
Cuspir dos lábios o sal dos mares que beijaram os vossos,
Ter braços na vossa faina, partilhar das vossas tormentas,
Chegar como vós, enfim, a extraordinários portos!
Fugir convosco à civilização!
Perder convosco a noção da moral!
Sentir mudar-se no longe a minha humanidade!
Beber convosco em mares do Sul
Novas selvajarias, novas balbúrdias da alma,
Novos fogos centrais no meu vulcânico espírito!
Ir convosco, despir de mim – ah! põe-te daqui pra fora! –
O meu traje de civilizado, a minha brandura de acções,
Meu medo inato das cadeias,
Minha pacifica vida,
A minha vida sentada, estática, regrada e revista!

No mar, no mar, no mar, no mar,
Eh! Pôr no mar, ao vento, às vagas,
A minha vida!
Salgar de espuma arremessada pelos ventos
Meu paladar des grandes viagens.
Fustigar de água chicoteante as carnes da minha aventura,
Repassar de frios oceânicos os ossos da minha existência,
Flagelar, cortar, engelhar de ventos, de espumas, de sóis,
Meu ser ciclónico e atlântico,
Meus nervos postos comos enxárcias,
Lira nas mãos dos ventos!

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Je veux m’en aller avec vous, je veux m’en aller avec vous,
En même temps avec vous tous
Dans tous les lieux où vous êtes allés!
Je veux affronter moi-même les dangers que vous avez connus,
Sentir sur mon visage les vents qui ont buriné les vôtres,
Recracher par mes lèvres le sel des mers qui ont embrassé les vôtres,
Avoir des bras pour partager votre besogne et vos tourments,
Comme vous, enfin, gagner des ports extraordinaires!
Fuir avec vous la civilisation!
Perdre avec vous la notion de morale!
Sentir au loin se métamorphoser mon humanité!
Boire avec vous dans les mers du Sud
De nouvelles sauvageries, de nouveaux branle-bas de l’âme,
De nouveaux feux au centre de mon esprit volcanique!
M’en aller avec vous, quitter – ah oui! hors de ma vue! –
Mon costume de civilisé, la douceur de mes actions,
Ma crainte innée de la prison,
Ma vie pacifique,
Ma vie assise, statique, réglée, révisée!

À la mer, à la mer, à la mer, à la mer,
Ah! Jeter à la mer, au vent, aux vagues,
Ma vie!
Saler mon appétit pour les grands voyages
De l’écume soulevée par les vents.
Fustiger d’eau cinglante les chairs de mes aventures,
Inonder de froids océaniques les os de mon existence,
Flageller, sectionner, buriner à coups de vents, d’écume, de soleil,
Mon être cyclonique et atlantique,
Mes nerfs disposés comme des agrès,
Lyre dans les mains des vents!



Extrait de l’Ode maritime (Ode marítima, 1915) de Fernando Pessoa (‘‘Alvaro de Campos’’) et traduction de Michel Chandeigne et Pierre Léglise-Costa. Photos personnelles, Lisbonne, vues sur l’embouchure du Tage, août 2009.

7.8.09

Hommes, femmes: modes d’emploi

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La pousser dans ses retranchements, exploiter ses plus tragiques fêlures, l’acculer jusqu’à l’hystérie et s’ériger en Inquisiteur pour qu’elle se reconnaisse Sorcière, devenir sa victime pour mieux l’en punir et renaître Messie (Antichrist de Lars Von Trier).

Risque pour le couple: divorce par mutilations diverses et immolation par le feu. Risque cinématographique: voir un de ses films les plus inspirés se faire huer par le même festival qui a palmedorisé l’indigent Dancer in the Dark (2000) et être traité de machiste par ceux qui se sont endormis en court de projection.

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Être le désir et la proie, mettre les pieds dans le plat, puis dans un deuxième plat, puis encore un troisième, sans oublier le vase de Chine. La maladresse peut être touchante: encore faut-il vouloir être touché en retour (Fais-moi plaisir! d’Emmanuel Mouret).

Risque pour le couple: devoir assumer ses erreurs mais aussi celles de l’autre. Risque cinématographique: devoir assumer la comparaison avec The Party de Blake Edwards (1968); mais pour la fraîcheur de cette réjouissante résurrection du burlesque dans le cinéma français – et les jolis minois dont Mouret ne cesse de s’entourer (trop dure la vie) –, on peut bien être indulgent.

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Jouer l’improbable attirance des contraires, ne pas reculer devant le cliché pour mieux dynamiter les codes, garder une «vision globale» du joyeux bordel où tout ça conduit et finir par croire, encore une fois, qu’il faut jouir de la vie parce qu’elle n’a aucun sens (Whatever Works de Woody Allen).

Risques pour le couple: mourir de rire ou sauter par la fenêtre; se coltiner la belle-famille. Risque cinématographique: se faire entendre dire par les ‘‘pro’’ comme par les ‘‘anti’’ qu’on fait toujours le même film, mais eh! «tant que ça fonctionne»!! (et ça fonctionne fichtrement bien encore, en dépit des défauts du film).

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Facturer l’ultramoderne solitude, tarifer la simulation d’intimité en sus de la passe, faire du corps et du cœur des produits comme les autres, se cuirasser en vue du passage des crises financière et existentielle (The Girlfriend Experience de Steven Soderbergh).

Risque pour le couple: le même que pour l’humanité autour, la marchandisation des rapports humains est pour tout le monde. Risque cinématographique: surcompenser par une totale gratuité des tics du cinéma indépendant-intello-pseudo-avant-gardiste qui plombent le film plus qu’ils ne rendent à son auteur sa crédibilité.

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Passé le temps de l’orage des passions, accepter la révélation par des éclaircies inattendues d’autres territoires, marqués par le poids du passé individuel et peut-être de l’Histoire collective. Une vie entière peut n’être pas de trop (The Reader de Stephen Daldry).

Risque pour le couple: pour l’un des deux au moins, passer son existence à tenter de comprendre. Risque cinématographique: restreint au minimum, d’aucuns diront que c’est peut-être là le problème, mais le classicisme formel choisi par le réalisateur s’accorde bien, au final, avec une certaine pudeur bienvenue pour le sujet.