22.6.07

La délicatesse

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III

Les boucles dansent, emmêlées,
Les anneaux d’oreilles se balancent,

La marque au front s’estompe
Sous les fins réseaux de sueur,

L’œil est alangui après le plaisir.
Ce visage de jeune femme
Qui, dans la volupté, a échangé les rôles,
Qu’il te protège longtemps :
À quoi bon Vişņu, Śiva, et les autres dieux ?


IV

On mord la fleur de sa lèvre,
Elle agite ses doigts tremblants :
« Non, non, laisse-moi, cruel ! »
Dans sa colère,
Elle fait danser la liane de ses sourcils ;
Elle gémit, les yeux mi-clos :
Ceux qui, tout frissonnants,
Etreignent une belle insoumise
Obtiennent l’ambroisie ;
Bien sots furent les dieux,
Qui
[pour cela] s’épuisèrent à baratter l’océan !


XXXII

« Il est endormi, mon amie, il faut dormir. »
Et mes amies sortirent à l’instant.
En proie à l’amour, toute frémissante,
J’ai posé ma bouche sur sa bouche ;
Quand je compris à ses frissons
Que le coquin feignait de fermer les yeux,
Ma pudeur s’éveilla :
Il l’anéantit, je dois dire,
En faisant ce qu’il faut en un tel moment.


XXXV

De l’étreinte ferme qui pressait son sein
Naquit le frisson ;
D’une volupté intense à l’extrême
Auprès de sa taille s’ouvrit sa robe ;
« Non, non, impudent, assez, de grâce ! »
Murmura-t-elle d’une voix langoureuse.
A-t-elle succombé au sommeil, à la mort ?
S’est-elle dissipée ou dissoute en mon cœur ?


LXXII

Désormais, la colère n’aura plus prise en moi
Contre mon bien-aimé ;
Je ne prononcerai, en somme,
Même plus le nom de cet homme
À l’esprit perfide comme un poison.
Ainsi – n’est-ce pas ? – aucune nuit
Dont le rire éclate au toucher des rayons de lune
Ni aucun jour assombri de nuages
Ne me verra sans lui à la saison des pluies.


LXXXVII

Ils ont grandi sur ma poitrine,
Puis, contre ta poitrine, mes seins se sont dressés ;
Mes propos, à côtoyer tes mots adroits,
Ont perdu leur extrême innocence ;
Laissant le cou de ma nourrice,
Les lianes de mon bras ont enlacé ton cou ;
Ah, traître ! que puis-je faire ?
Même cette rue n’est plus sur ton chemin !


XCVII

L’amant est venu dans le lit,
La boucle s’est déliée d’elle-même à l’instant ;
La robe, retenue par un cordon défait,
N’a plus que recouvert légèrement les reins.
Voilà tout, mon amie, ce que je me rappelle ;
Du moment où mon corps était uni au sien ;
Mais qui il était, qui j’étais,
Ce que fut le plaisir,
Il ne m’en reste pas le moindre souvenir.




IC

Elle n’a pas barré le seuil de ses appartements,
Elle ne s’est pas détournée,
Elle n’a pas tenu les durs propos de la colère ;
Simplement, de ses yeux aux cils si droits,
Elle a regardé son amant comme un étranger.



Extraits de La Centurie d’Amaru (VIIe siècle); traduction du sanskrit (à l’exception du passage entre crochets) par Alain Rebière. Illustration: couple princier sous un pavillon, détail d’une fresque des grottes d’Ajantâ (véranda de la grotte 17), fin du Ve siècle.