7.7.06

Un Georges Braque méconnu au musée Cantini

Comment faire lorsqu’on est un musée d’art contemporain niché au cœur d’une ruelle de Marseille, que l’on voudrait bien profiter de l’année Cézanne mais qu’une grande exposition sise dans la ville voisine, la rivale historique, l’ennemie héréditaire (Aix-en-Provence en l’occurrence), draine déjà tous les visiteurs?

La réponse est simple, mais il fallait y penser: il suffit d’organiser une exposition sur un autre peintre célèbre qui a subi l’influence de Cézanne. Quitte, pour enfoncer le clou, à ouvrir l’exposition par deux grandes reproductions de Cézanne en noir et blanc...

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[Braque, L’Estaque, octobre 1906.]

Plaisanterie à part, l’exposition Georges Braque et le paysage. De l’Estaque à Varengeville, 1906-1963 que le Musée Cantini présente pendant trois mois possède surtout une particularité qui tient à la fois du défaut et de la qualité, celle de nous faire découvrir un Georges Braque méconnu. Que les deux dates du titre de l’exposition ne nous abusent pas: il ne s’agit pas de retracer l’intégralité d’un parcours, car l’exposition s’attache à deux périodes de la carrière du peintre, au début et à la fin.

Braque paysagiste: l’affirmation a de quoi surprendre si l’on pense aux œuvres cubistes puis abstraites et aux collages qui ont fait sa popularité. C’est bien pourtant par là que commença le peintre, dans des toiles où se lit sans difficulté l’adhésion à différents courants du début du siècle: la fauvisme surtout, puis un bref passage par le pointillisme avant d’en venir au cubisme cézannien. À ce sujet, une petite expérience est à conseiller au visiteur: aller faire un tour à l’étage du côté des collections permanentes, où il pourra comparer une vue de l’Estaque selon Braque (influence Cézanne) peinte en 1908 à une autre vue peinte par Raoul Dufy la même année et.... à peu près identique!

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[Dufy, L’Estaque, 1908.]

Est-ce à dire que le jeune peintre ne fait pas preuve d’une folle originalité à cette époque de sa carrière? Eh bien... c’est en effet ce qu’il semblerait. Non que son œuvre soit inintéressante, mais on est loin des qualités qui seront développées dans la suite de l’œuvre de Braque. Seulement, de cela, le visiteur de l’exposition n’aura pas forcément l’occasion de s’en rendre compte car à peine la séquence des œuvres de jeunesse est-elle finie que nous voilà face à d’autres réalisées... plusieurs décennies plus tard.

Dans les années 50 Braque revient en effet au figuratisme. Si les peintures présentées ne sont pas forcément révolutionnaires, le fait qu’elles aient été réalisées dans les années 1950 est en soi plus original, si l’on considère les critères qui avaient la côte dans le monde de l’art en ce temps-là. Prenant à rebours une modernité dont il fut l’un des piliers, le peintre se réinvente, semble chercher ses sources d’inspiration du côté des romantiques (les lavis de Victor Hugo par exemple semblent en faire partie), notamment avec des marines assez fascinantes, dont celle-ci (à laquelle la reproduction ici présentée, trouvée sur le net, ne rend pas tout à fait justice):

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[Braque, Barque sur la grève (marine noire), 1960]

Au final, que reprocher à l’exposition du musée Cantini? Peut-être, justement, d’être trop restrictive: le nombre de toiles exposées (une trentaine) n’est pas phénoménal – on peut même s’étonner de ne pas retrouver certaines toiles produites l’an dernier lors de l’exposition Sous le soleil exactement à la Vieille Charité, et qui auraient pu convenir au sujet de celle-ci –, et le fait que le choix présenté élude totalement la partie la plus connue, mais aussi sans doute la plus intéressante, de l’œuvre de Braque n’en fait pas une introduction idéale à qui ignorerait tout ou presque de celle-ci. Au prix (dérisoire) de l’entrée, on ne peut pas trop se plaindre, mais une exposition plus fournie et complète, qui aurait présenté à la fois le Georges Braque méconnu et celui de sa principale période d’inspiration, eût été d’autant plus intéressante.