25.10.05

J’ai un emploi du temps de ministre...
D’accord, mais à quel poste ??


Je viens de faire une découverte abracadabrantesque : figurez-vous que quand vous enchaînez en trois jours une conférence, un film au cinéma, une pièce de théâtre, un colloque à quelques centaines de kilomètres de chez vous et une soirée entre amis, sans oublier l’ordinaire de votre vie d’étudiant – composé d’un cours (passionnant d’ailleurs) et d’une après-midi chez votre imbécile heureux d’employeur –, le tout mixé avec le minimum légal d’heures de sommeil... ben au final vous êtes fatigué ! Si si ! Dingue non ?

Donc en résumé :

- Mardi soir, conférence de Gilles Dorival (professeur aixois que j’estime beaucoup) au couvent des dominicains de Marseille sur la résurrection de la chair de Paul à Origène... Oui car si tout le monde à l’époque, païens compris, est globalement d’accord sur l’immortalité de l’âme, le concept de "résurrection de la chair" lui s’avère beaucoup plus problématique dans les détails ! Détails dans lesquels je ne rentrerai pas, pour ceux que ça intéresse une captation audio de la conférence sera sans doute mise en ligne d’ici peu sur le site Internet du couvent : <http://www.marseille.dominicains.com>. En fait j’y étais allé l’an dernier pour une conférence sur le renouveau catholique au XIXe siècle, sujet qui intéressait directement mon mémoire de cette année... Et en fait ce mois-ci ils m’ont renvoyé le programme, donc pourquoi se priver d’aller à une conférence quand elle est intéressante (et gratuite) ? Bon l’an dernier le thème était l’histoire de l’Eglise, là ça tourne plutôt autour des concepts de vie, mort, résurrection... Et même que si c’était pas marqué en titre sur la plaquette, suffit de regarder les sujets des conférences : «Résurrection de la chair? de Paul à Origène», «Images de la mort dans l’Antiquité chrétienne», «Vie et mort dans les Psaumes», «Vie et mort chez Saint Paul», «Vie et mort dans la mystique rhénano-flamande», «Vie et mort dans l’art», «La mort et l’au-delà dans la pensée de Joseph Ratzinger» (tiens Joe ! ça faisait longtemps !), etc. ...bon je vais sans doute pas me les faire toutes parce que là ça fait un peu obsessionnel tout de même ! :D

- Mercredi matin, séminaire sur la modernité. Texte étudié : «L’albatros» de Baudelaire. Tout le monde arrive en tirant une tronche de six pieds de long, persuadé que si ce texte avait quelque chose d’intéressant à dire, on s’en serait déjà rendu compte quand on l’a étudié et réétudié et re-réétudié dans nos vertes années de collège et de lycée. Entrée du prof... suivie de deux heures de décorticage en règle ; métrique, images, intertextualité, calembours, j’en passe et tout y passe. But du jeu : nous faire nous rendre compte que le sens du poème est tout sauf celui qu’on nous rabâche habituellement. Et là ce texte qui répugnait même les plus baudelairophiles d’entre nous devient subitement passionnant. Saupoudrez le tout de quelques anecdotes sordides sur Mme de Staël pour relever un petit peu, et hop : dégustation. Chapeau l’artiste !

- L’après-midi, cinoche. Film étudié – pardon – film visionné : Les frères Grimm de Terry Gilliam. Bon alors là, que dire, et surtout comment le dire ? Car croyez-moi ça me fait vraiment mal de dire du mal d’un film de Gilliam. Parce que là on parle du gars qui a réalisé Sacré Graal, Brazil, Les aventures du baron de Münchausen, Fisher King, L’armée des douze singes (petite baisse de régime sur celui-là mais on va pas chipoter) et Las Vegas Parano. Parce que Lost in la Mancha ne nous as pas consolé du dépit de ne jamais voir L’homme qui tua Don Quichotte, sans parler de l’abandon du projet de Good omens (je m’étais éclaté à lire le livre il y a bien des années et la perspective de le voir adapter par Gilliam me faisait sauter de joie, ou peu s’en faut). Parce qu’il fait partie des artistes qui tentent encore et toujours, malgré tout, de résister au Grand Méchant Système Hollywoodien. Pourtant j’ai la tenace impression que Les frères Grimm est son moins bon film depuis Bandits, bandits. Hélas. L’idée de départ pouvait paraître séduisante (et n’était pas sans rappeler Munchaüsen) : imaginons que les frères Grimm, avant de devenir les célèbres conteurs que l’on sait, aient commencé comme escrocs parcourant la campagne allemande en se faisant payer pour débarrasser les villageois crédules de monstres, fantômes et autres sorcières, tous mis en scène par des complices. Jusqu’au moment où, dans un village où les fillettes se font enlever les unes après les autres, ils se retrouvent confronté à la "réalité" d’un conte de fées macabre...

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Hélas le scénario cafouille. Gilliam bascule de la fantaisie baroque au caricatural grotesque. On ne s’attache à aucun moment aux personnages, pas aidés d’ailleurs par un miscasting évident : si Monica Belluci est sublimissime (comme souvent me direz-vous) et colle parfaitement à son personnage de sorcière immortelle et narcissique, si on sent bien qu’avec un meilleur texte et une meilleure direction d’acteurs Jonathan Pryce aurait pu faire quelque chose d’intéressant de son rôle d’infâme gouverneur français, aucun des deux frangins (Heath Ledger et Matt Damon) n’est crédible une seule seconde, Peter Stormare en maître ès tortures italien encore moins, et ce n’est pas Lena Heady avec ses allures de top-model égarée dans un rôle de bouseuse sans peur et sans reproche qui va sauver l’affaire. Le salut ne viendra pas non plus du côté de la réalisation, tant on a également connu Gilliam – ô combien – plus inspiré. Bref, alors que le voir s’intéresser au thème du conte était plus que prometteur, Gilliam nous livre avec Les frères Grimm un film qui dans ses meilleurs moments ne fait que nous rappeler le Sleepy Hollow de Tim Burton ou même le Village de M. Night Shyamalan comme pour mieux souligner vis-à-vis d’eux sa propre infériorité. Heureusement, on nous annonce pour dans quelques mois la sortie d’un nouveau film, Tideland, qui pour le peu que j’en sais a l’air de lorgner plutôt du côté de Fisher King : croisons les doigts...

- Mercredi soir : théâtre. Au programme du Jeu de Paume à Aix une pièce méconnue d’Alexandre Dumas, Angèle, mise en scène par Gilles Gleizes dont j’avais déjà pu apprécier le travail il y a quelques années sur Gabriel(le) d’après George Sand : le petit malin s’est fait une spécialité de l’exhumation de pièces oubliées, et, n’ayant pas à supporter le poids de multiple prédécesseurs, n’a pas non plus à se croire obligé de faire assaut d’originalité à tout prix dans sa mise en scène (toute personne qui fréquente un peu régulièrement les théâtres voit de quoi je veux parler : ça peut parfois être très bien... mais ça peut aussi être atroce). Celle-ci sera donc sobre, efficace, élégante : rien à redire. Quant à la pièce, dégagée par quelques invisibles coups de burin de ses répliques les plus mélodramatiques qui auraient pu faire gangue, c’est un véritable petit bijou, froid et brillant, cruel et drôle.

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Ruiné par un procès injuste après la mort de son père, et ayant vérifié par lui-même l’impossibilité de refaire sa fortune par des moyens que la morale approuve, Alfred a décidé, comme tant de Rastignac et autres Bel-Ami de l’époque, de parvenir dans les plus hautes sphères de la société par les femmes. Hélas, la Révolution de Juillet et les changements politiques qui en découlent ont en trois jours seulement ruiné cinq ans d’échafaudages savants. En véritable homme d’action, Alfred réévalue aussitôt ses projets et abandonne sa dernière maîtresse en date, une aristocrate qui a perdu toute influence, pour entreprendre la conquête d’Angèle, 16 ans, fille de la veuve d’un général d’Empire. En abusant l’adolescente fraîche sortie du couvent, il espère forcer la mère à accepter le mariage, puis utiliser belle-maman, à qui la nouvelle donne politique promet un fulgurant retour en grâce, pour obtenir une situation. Mais il découvre un peu tard que cette dernière est encore relativement jeune (elle n’a qu’une trentaine d’années) et bien séduisante... Changeant à nouveau ses projets, Alfred laisse là Angèle et s’envole pour Paris aux côtés de sa mère. Tout semble s’ouvrir à lui... à moins qu’il n’ait déjà, sans le savoir, semé les graines de sa propre destruction.

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Comme un certain nombre de personnages de Dumas, Alfred est un héros noir mais fascinant. Seul un vieux reste d’honneur mal placé viendra mettre un terme à sa carrière, que rien sans cela n’aurait contrarié. Du reste, sans qu’on puisse réellement parler d’adaptation ou de transposition, on retrouve dans Angèle un grand nombre d’éléments (types de personnages, situations) qui rappellent furieusement Les Liaisons dangereuses. Mais les temps ont changé et l’appât du gain et du pouvoir ont désormais remplacé des passions plus charnelles – puisque, comme dirait M. V***, avec la Monarchie de Juillet nous sommes entré dans la modernité (private joke...).

[Les photos sont extraites de ce site que je ne saurais trop vous encourager à visiter : <http://photosdespectacles.free.fr/sujets/angele>]

- Jeudi je passe, j’en ai marre de dire du mal de mon patron, c’est déjà assez répétitif à vivre...

- Vendredi, colloque international «Voltaire et l’hybridité des genres» à Nice. Bon, en temps normal, je n’aurais pas fait plusieurs centaines de kilomètres pour aller assister à un colloque, a fortiori à un colloque qui n’a que peu de rapports (osons le dire : même aucun !) avec mon sujet de mémoire. Mais Mme K***, ma directrice de recherche, qui à quelques années de la retraite se considère elle-même comme un dinosaure, a décidé que le système actuel ne valait pas tripette et que réforme ou pas, elle se débrouillerait pour mettre en place un séminaire "à l’ancienne", c’est-à-dire 1/ qui nous aide concrètement pour nos mémoires, et 2/ qui nous ouvre l’accès au monde de la recherche. C’est dans cette dernière optique qu’elle nous a fait inviter à ce colloque par le CAER-18 (la société savante des dixhuitièmistes de l’Université).

Ceci inclut :

...la prise en charge du déplacement – sous forme de co-voiturage avec la prof, mais bon, en même temps on allait pas louer un bus pour cinq personnes ! Seul prix à payer : se lever avant l’aurore et se faire questionner pendant le trajet sur l’avancée (très limitée) de ses recherches quand on est encore à moitié endormi. «Concrètement, vous pensez à quoi pour votre plan ?» – «Euh... eh bien... il y aurait une partie consacrée au thème du secret... euh... une à la notion d’ordre... et une... euh..........» – « Parce que si vous traitez, comme nous l’avons dit, de l’influence des Lumières, vous ne pouvez pas passer à côté de la question de l’éducation.» – «L’éducation! Voilàààà! c’était ça mon troisième thème dont je ne me souvenais plus! D’ailleurs rappelez-vous, je vous en avais parlé quand je vous avais présenté mon projet...» – «C’est vrai... Bon, mais alors quand vous me parlez de l’ordre, vous pensez à quoi, exactement?» – «Euh...........» Sous-entendu : mais comment vous voulez que je définisse un plan alors que je n’ai même pas encore lu toutes les œuvres de mon corpus qui reste d’ailleurs à définir ??!

...la participation au colloque : même sans rapport direct avec mon sujet de recherche, écouter les plus grands noms de la recherche voltairienne mondiale (comme Jean Dagen, Nicholas Cronk, Patrick Lee...) est toujours fort instructif et pas déplaisant du tout !

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...enfin, la prise en charge du repas sur place entre midi et deux, dans un "petit" restaurant de la Promenade des Anglais (je connais un responsable de l’Université qui va être content quand il va voir arriver la facture! :D) à discuter gaiement avec lesdits plus grands noms de la recherche voltairienne mondiale. Le must c’est quand même quand votre prof vous présente vous et votre sujet de recherche, et que Patrick Lee vous demande si ce n’est pas de vous cet article qu’il a lu la semaine dernière justement sur ce sujet-là... Euh non, moi y en n’être encore qu’un humble étudiant de master, je ne publie point encore d’article!! :-D

En bref une journée fort agréable et instructive, qui nous aura permis, non seulement de faire une zolie promenade à Nice, mais de suivre un colloque enrichissant, de rencontrer des chercheurs de renom, et incidemment de faire avancer nos propres recherches (car une fois sorti du coma, les discussions avec la prof ont pu être plus constructives), le tout tous frais payés par l’Université de Provence que je peux remercier ici, depuis le temps que je décris ses dysfonctionnements, il est juste que je note aussi quand elle fait quelque chose de bien pour ses étudiants (bon pour ceux qui se demanderaient où nous en sommes des problèmes d’inscription évoqués dans les posts précédents, ne craignez rien, rien n’a changé ni ne s’est arrangé, nous sommes toujours en train d’errer dans les ténèbres, là où il y a des pleurs et des grincements de dents...).

- Vendredi soir, une fois raccompagné à Aix à la nuit tombée, je consulte mon portable à la recherche d’un message d’un ami qui devait organiser une soirée le soir même et me communiquer dans la journée le point de rendez-vous. Précisons pour la bonne compréhension de ce qui va suivre que l’ami en question, dont je tairai le nom, était dans un état de grosse, très grosse, hénaurme déprime suite à la phase finale du lent et douloureux naufrage d’une histoire sentimentale passablement compliquée et surtout mal gérée (ou comment faire en sorte qu’une relation commencée sous les meilleurs auspices prenne brutalement fin au bout de 48h puis se traîne pendant plus d’un mois dans les limbes génératrices de souffrance du «soyons amis mais téléphonons-nous tous les soirs pour nous dire que ah si on pouvait on voudrait tous les deux être bien plus que ça»). Autant dire que, même non-officiellement, la soirée entre amis avait des allures fortement marquées d’opération de remonte-moral manu militari. Je consulte donc mon portable : pas de message. J’appelle : répondeur. Oulah, ça commence mal. Alors que je me demande que faire, l’ami en question me rappelle et m’explique que finalement, n’ayant pu se décider à choisir un restaurant, il a décidé de laisser tomber la soirée. En oubliant juste d’avertir les personnes qui devaient venir... Huuuuuuuuuuum... C’est pas grave, super-Léo est là pour tout organiser et tout coordonner avec son portable en direct live depuis sa voiture garée sur le parking du resto-U à 8h du soir! Super-Léo, le partenaire indispensable de vos soirées réussies! Super-Léo, celui qui quand il part, complètement crevé à minuit et demi, a super trop l’air d’un zombie!