27.7.08

Danse macabre

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Il va (m’) être difficile de beaucoup écrire sur Valse avec Bachir, alors qu’à la sortie de la salle il nous a fallu plusieurs minutes pour pouvoir à nouveau émettre un mot...

Le point de départ du film est la discussion du réalisateur israélien Ari Forlman avec un ancien compagnon d’armes lors de l’invasion du Liban de 1982 (la plutôt mal nommée ‘‘Opération Paix en Galilée’’). Celui-ci lui raconte faire depuis plusieurs années, de façon récurrente, un cauchemar où il est poursuivi par une meute de chiens, ceux-là même qu’il a eu, deux décennies plus tôt, pour tâche d’abattre afin de préserver l’incognito des soldats à l’entrée d’un village. En retour, Forlman nie avoir, lui, le moindre souvenir de cette période. Mais peu de temps après cette conversation, le voilà lui aussi en proie à une troublante vision, dans laquelle il sort de la mer avec d’autres hommes, prend pied dans Beyrouth, sous un ciel nocturne qu’illuminent des fusées éclairantes, puis y croise la route d’une masse de femmes en pleurs. Sur les conseils d’un ami psychanalyste, Ari Forlman décide alors de retrouver et d’interroger d’autres soldats qui ont fait la guerre en même temps que lui, pour reconstituer ses souvenirs occultés.

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Le choix de Forlman de réaliser son film entièrement en animation fait le lien entre souvenirs plus ou moins précis, d’une part, et songes et cauchemars, de l’autre, traités comme autant de faces, dans une égalité de valeur, de la (mauvaise) conscience d’une génération que le réalisateur choisit ici d’explorer à partir de sa propre expérience personnelle. Si certains ‘‘personnages’’ sont doublés pour rendre le caractère vivant de certaines discussions, d’autres témoignages ressortissent de l’interview pure, l’image ayant alors simplement été transformée par ordinateur pour ne pas rompre l’unité du film.

À quelques exceptions près (le fantasme d’un jeune soldat sur une sorte de géante aquatique venue le rassurer sur sa virilité...), ce sont logiquement les souvenirs les plus traumatiques qui remontent à la surface, ceux des atrocités de la guerre, observées ou commises. De traversée de la campagne libanaise, mitraillant non-stop un ennemi absent ou imaginaire, en partie de cache-cache meurtrier dans un verger avec un enfant porteur de lance-roquette, en passant par l’attaque d’un régiment de blindés ou encore l’expérience de la permission dans un Tel-Aviv qui semble ignorer royalement le sort de son armée sombrée dans la folie, le fil des évènements, vus à travers le prisme de ces (ex-) jeunes soldats perdus, se reconstitue peu à peu – jusqu’au point où tout converge: les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, perpétrés par les phalangistes chrétiens ivres de rage après l’assassinat de Bachir Gemayel, avec la bénédiction plus ou moins tacite du haut-commandement israélien, dont les forces encerclaient les camps et restèrent passives tandis que les miliciens libanais, sous prétexte de ‘‘nettoyer’’ ceux-ci de la présence de terroristes, y tuaient sans discontinuer, un jour et une nuit durant, hommes, femmes, enfants et vieillards.

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Sur un sujet plutôt casse-gueule et en faisant le choix d’une forme inédite qui pouvait potentiellement l’être encore plus – le ‘‘documentaire d’animation’’ –, Ari Forlman signe un film marquant, magnifique et dur, dont les réelles qualités esthétiques et l’originalité formelle, plongeant le spectateur dans un univers fascinant, entre onirisme lancinant et hyper-réalisme cru, ne sont pas là de façon purement gratuites mais s’imposent immédiatement comme un medium idéal pour, tout à la fois, donner corps à cette exploration des consciences et des inconscients, pallier la sécheresse du documentaire ‘‘pur’’, et reconstituer à partir des témoignages des évènements qui ne pouvaient évidemment pas faire l’objet d’une captation pour de futures images d’archive...

Bien qu’ils n’aient pas à proprement parler été des ‘‘victimes’’ dans ce conflit, les anciens jeunes soldats mobilisés que montre Forlman – et lui-même en premier lieu – illustrent le traumatisme que représente toute confrontation directe avec l’univers insane de la guerre, quel que soit le camp dans lequel on est placé par les évènements (on pardonnera aisément, de ce point de vue, la redondance de plusieurs séquences un peu ‘‘clipesques’’ au milieu du film, qui montrent d’ailleurs bien une certaine ‘‘imagerie’’ de la guerre qui s’est développée ces dernières décennies...). Discours déjà entendu ailleurs peut-être, mais qui se leste ici du poids de l’expérience vécue, et qu’il est, quoi qu’il en soit, toujours bon de rappeler – même si l’on sait que cela n’empêchera pas la répétition des mêmes terribles actions dans l’avenir, comme en témoigne, hélas, le nouveau conflit israélo-libanais survenu pendant la préparation du film. Grand oublié du dernier palmarès cannois, Valse avec Bachir, réalisé à hauteur d’homme, ne tient pas de grand discours théorique: il témoigne, tout simplement, de la façon dont un conflit peut être perçu – y compris par ceux qu’on n’aurait pas le plus spontanément pensé à plaindre –, et livre ce témoignage d’une façon qui résulte visiblement aussi d’une réflexion sur la (mise en) forme cinématographique, laquelle n’est pas ici l’opposée de la représentation de la réalité, mais la porte et l’accompagne.

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