6.7.08

Don fatal

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Lourde atmosphère à la cour de Philippe II. L’infant Carlos brûle d’un amour que les circonstances rendent coupable pour Elisabeth de Valois, qui lui était promise mais a finalement été mariée à son despotique monarque de père. Rodrigue de Posa, son ami, lui propose de l’aider dans ses amours s’il s’engage en retour dans la défense des Flandres protestantes révoltées contre la couronne et martyrisées par les troupes espagnoles. Mais, tandis que Rodrigue gagne par son franc-parler l’estime de Philippe qui en fait son confident, la relation entre l’infant et la reine est dénoncée au roi par la princesse Eboli, dame d’honneur de la seconde, furieuse d’avoir été éconduite par le premier. Tout à la fois rebelle politique et rival amoureux, Carlos se trouve dans une situation qui ne peut guère lui attirer que des ennuis...

Version italienne et considérablement retravaillée d’un opéra créé deux décennies plus tôt en français, inspiré de la pièce de Schiller, lui-même inspiré d’une nouvelle de Saint-Réal, s’inspirant, enfin, du véritable destin de Don Carlos d’Espagne (1545-1568) – chaque étape prenant sa dose de liberté vis-à-vis de celle qui précède –, Don Carlo ne se caractérise certes pas par sa grande précision historique, mais peu importe, car il s’agit en revanche de l’un des meilleurs opéras de Verdi. Il est actuellement et jusqu’au 11 juillet visible à Paris dans une mise en scène et une interprétation tout à fait dignes d’éloges.

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L’ouverture de l’opéra, dans sa version en quatre actes, au cloître de Yuste que semble encore hanter le fantôme (?) de Charles Quint, et où résonne un chœur sépulcral, est particulièrement saisissante et la mise en scène de Graham Vick la tire vers une ambiance quasiment wagnérienne du meilleur aloi (que se rassurent les belcantophiles purs et durs, on est bien chez Verdi, comme suffirait à en témoigner le magnifique duo clôturant l’acte: «Dio che nell’alma infondere...»). À partir de ce point de départ, l’intrigue se développe petit à petit jusqu’à connaître un point d’orgue dans la longue ‘‘tirade’’ de Philippe dans son cabinet de travail et son entrevue avec le Grand Inquisiteur – moment à partir duquel la tension ne se relâche plus un seul instant.

Il est également remarquable que les personnages de Don Carlo, êtres de l’extrême dans la plus pure tradition romantique, ne versent pas pour autant dans la caricature manichéenne. Philippe est un despote, aussi tyrannique et vindicatif en tant que monarque qu’en tant qu’époux, mais sa misanthropie se fonde sur le spectacle de la courtisanerie qui environne le pouvoir et il n’est pas inaccessible à certains sentiments, comme, par exemple, le remords. La princesse Eboli se montre tout à fait diabolique, mais c’est avant tout une femme blessée, capable, par ailleurs, de chercher le rachat. Carlos, quant à lui, est un ‘‘héros’’ qui peine à soutenir la carrure du rôle et se fait plutôt remarquer par sa pusillanimité... Etc. Seuls deux personnages semblent échapper à ce traitement: le Grand Inquisiteur, côté ténèbres, et Don Rodrigue, côté lumière, qui pourrait passer pour le véritable héros de l’œuvre.

Sous la baguette du jeune et prometteur chef d’orchestre Teodor Currentzis évolue une distribution remarquable, au sein de laquelle se détachaient tout particulièrement, lors de la représentation à laquelle j’ai assisté (mais le casting varie selon les jours), Ferruccio Furlanetto dans le rôle de Philippe et Dimitris Tiliakos dans celui de Rodrigue. La prestation de Mikhail Petrenko en Grand Inquisiteur est également des plus marquantes et transcende la brièveté du rôle. Une production, donc, à ne pas manquer pour ceux qui croisent dans la région et pourront profiter de la fuite loin de la capitale, en cette période estivale, des ‘‘vrais’’ parisiens, ce qui se traduit par la disponibilité de plusieurs places libres qu’il serait tout à fait dommage de laisser inoccupées si l’on aime l’opéra...