25.1.08

Cérémonie funèbre

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Lentissime quadrille où s’invitent à la danse des couples déjà morts, L’Echange de Paul Claudel confronte sur un rivage du Nouveau Monde quatre personnages en déréliction – même pas en quête d’Auteur –, avec la destruction, de soi-même ou de l’autre, pour unique horizon. Louis Laine, jeune métis d’indien, est allé chercher femme en Europe; c’est Marthe, une Française, qu’il a ramené avec lui. Six mois ont passé depuis les noces, et les époux vivent pauvrement comme gardiens de la propriété en bordure d’océan du millionnaire Thomas Pollock Nageoire et de l’actrice Lechy Elbernon. Jusqu’à ce que leur soit proposé un marché...

Appartenant au ‘‘premier théâtre’’ de Claudel, L’Echange, qu’Yves Beaunesne a mis en scène dans sa première version de 1894, n’est pas, à mon avis, ce que celui-ci a fait de mieux au sein de son œuvre dramatique. L’influence du théâtre symboliste me semble s’y faire souvent sentir de façon bien pesante. Toutefois le jeune dramaturge ne s’en tient pas à ce modèle et s’aventure dans des voies originales, nourri en cela, pour l’occasion, autant de son expérience spirituelle que de son expérience de diplomate aux Etats-Unis: ainsi s’orchestre une confrontation – dont je ne vois a priori pas bien d’équivalent à cette époque – entre les valeurs à l’agonie du ‘‘vieux monde’’, incarnées par Marthe, et le nouveau modèle américain, représenté par le businessman Thomas Pollock, pour qui chaque chose et chaque être est monnayable, et par Lechy, aux allures de star hollywoodienne avant la lettre. D’où une pièce qui semble flotter entre atemporalité et actualité, à la fois ‘‘datée’’ et ‘‘moderne’’. Cette capacité qu’il semble avoir à n’être jamais de son temps – quel que soit celui-ci – n’est pas l’un des moindres traits fascinants du théâtre claudélien...

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Ceci posé, Yves Beaunesne, qui ne m’avait que partiellement convaincu il y a un peu moins de deux ans avec sa mise en scène de Dommage qu’elle soit une putain, ne m’a pas non plus entièrement convaincu cette fois-ci, quoique pour des raisons différentes. La pièce en elle-même, il est vrai, n’y est pas étrangère, dans la mesure où je n’éprouve pas le même enthousiasme pour L’Echange que pour la pièce de Ford – quoique cette dernière remarque puisse être tempérée par le fait que contrairement à la précédente, je ne connaissais pas cette pièce de Claudel avant de la voir représenter, et ne la perçoit donc qu’à travers l’image qui m’en a été donnée hier soir, ce qui peut fausser. C’est particulièrement la direction d’acteurs de Beaunesne qui se révèle problématique, surtout en ce qui concerne le couple Louis/Marthe. Si Julie Nathan, l’interprète de Marthe, sauvegarde tant bien que mal la force de son rôle – ce qui n’est pas inutile dans la mesure où il s’agit du rôle principal! – et parvient à faire ressortir par moments la beauté de quelques instants de lyrisme jaillissant, malgré une prononciation du vers claudelien qui en rend la compréhension souvent difficile, on ne peut pas en dire autant de son partenaire Jérémie Lippmann dont la diction monocorde et nasillarde aplatit tout ce qui pourrait ressembler à l’expression d’un sentiment.

Voilà qui n’est pas fait pour arranger le caractère ‘‘bavard’’ et lourd (influence symboliste, te voilà: j’ai cru relire du Maeterlinck) des dialogues – ou plutôt monologues entrecroisés – de Louis et Marthe qui occupent toute la première partie de la pièce, et où se dissolvent, en même temps que le peu qui unissait encore le couple, l’attention du spectateur le mieux intentionné, emporté dans une lente dérive de mots dont la continuité et donc le sens sont des plus difficiles à appréhender. Face à un tel marasme, l’irruption – et le jeu vif – de Nathalie Richard (Lechy) et Alain Libolt (Thomas Pollock) – dont j’avais déjà pu apprécier les qualités – font l’effet d’un salutaire appel d’air. Je suis loin d’être sûr que telle ait été l’intention de Claudel!

Contrepoint positif de tout cela, la deuxième partie de la pièce se révèle plus forte et plus convaincante. Le tête-à-tête entre Marthe et Thomas Pollock est l’un des moments les plus prenants, et de la pièce, et de la mise en scène ici proposée. Quant à la scénographie, qui de façon générale joue au mieux de l’épure – plus habilement, de fait, que pour la pièce de Ford –, elle produit, dans les dernières scènes, de saisissants effets (Thomas Pollock émergeant lentement du noir; le reflet des flammes de la maison). Mais est-ce suffisant pour ‘‘racheter’’ ce qui précède? À chacun de juger. Pour ma part, je reste, encore une fois, sur une impression mitigée, persuadé, en outre, qu’il ne s’agit ni de la pièce, ni de la mise en scène la plus appropriée pour aborder le théâtre de Paul Claudel si on ne l’a pas déjà fait par ailleurs...