10.8.07

Par-dessus les siècles

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D
Alexandre Tharaud je connaissais son superbe enregistrement au piano des Nouvelles suites pour clavecin de Rameau, mais j’ignorais qu’il avait persévéré dans cette voie en enregistrant par la suite, toujours au piano, un choix de pièces pour clavecin de Couperin. C’est donc hier soir et en live que j’ai découvert le résultat lors du concert donné par lui à La Roque d’Anthéron, dont la première partie était consacrée à Couperin et la seconde à Ravel.

Rencontre entre deux siècles (par-dessus deux autres) d’autant plus étonnante que – ceci soit dit sans remettre en question le talent d’interprétation d’Alexandre Tharaud – Couperin, à ce qu’il est apparu à mes oreilles, se prête de façon moins ‘‘évidente’’ que Rameau au jeu de la transposition au piano. Peut-être parce que Rameau lui est un peu postérieur, peut-être aussi parce que – hypothèse toute personnelle – Rameau, même si, et même quand, il donne dans la composition pour clavecin solo, est avant tout un musicien d’orchestre (les Sauvages de ses Nouvelles suites sont déjà ceux des Indes galantes) quand Couperin lui est, quasi-exclusivement et quintessentiellement, un claveciniste, plus attaché peut-être donc aux données propres à son instrument. Quoi qu’il en soit, le langage propre au clavecin classique de Couperin sonnait par moments de façon très étrange sur le piano de Tharaud. Et si ce fut pour certaines pièces, comme les célèbres «Barricades mystérieuses», l’occasion de prouver leur intemporalité, la transposition au piano de certaines autres eut ce résultat insolite de me donner l’impression d’écouter des pièces de musique contemporaine (j’ai notamment pensé aux Etudes pour piano de Ligeti, qu’il faudrait toutefois que je réécoute pour juger du bien-fondé de cette association d’idées, mais vous aurez compris le principe général...).

La seconde partie, centrée sur Ravel dont Tharaud a interprété – avec profondeur, virtuosité, en un mot: talent – plusieurs menuets, la Pavane pour une infante défunte et l’intégrale des Valses nobles et sentimentales, a rappelé ensuite que celui-ci fut un compositeur dont l’inspiration semble elle-même faire le pont, de façon singulière, entre ce qui le précédait et la modernité.

Hier soir à La Roque d’Anthéron Alexandre Tharaud ne fut pas seulement un interprète brillant et captivant – ‘‘engloutissant’’ serait peut-être même un mot plus juste, tant son jeu invitait à se plonger, à s’immerger dans la musique en dépit des conditions d’écoute parfois difficiles (un fort mistral refroidissant considérablement l’atmosphère et secouant bruyamment les arbres du parc de Florans). Par le choix de son programme, le pianiste a bâti un univers sonore où les musiques de trois ou quatre siècles différents semblaient s’entrecroiser inlassablement à partir des œuvres de deux compositeurs seulement.


Photographie: le Parc du Château de Florans un peu avant le début du concert. (Cliquer dessus donne accès à la photo pleine taille.)