4.8.07

Trois poids deux mesures

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Il y a un peu moins d’une semaine maintenant, on apprenait coup sur coup la mort de Michel Serrault – parti rejoindre Noiret, Cassel et Brialy, tous disparus ces derniers mois – et celle d’Ingmar Bergman, suivies le lendemain par celle de Michelangelo Antonioni. Il y a comme ça des moments de séries noires, aussi funestes qu’inexplicables.

Seulement, je ne peux pas m’empêcher de remarquer que le traitement médiatique, sur les chaînes de télévision nationales, de la disparition du comédien français et de celle des deux réalisateurs semble curieusement déséquilibré.

Cela fait une semaine que nous croulons sous les hommages à Michel Serrault. Ne boudons pas notre plaisir: ce fut l’occasion de revoir Le viager génialement hilarant de Tchernia (et Goscinny), le sublime Garde à vue de Miller, le délicat Nelly et Monsieur Arnaud de Sautet, sans oublier sa prestation en Fontenelle dans le téléfilm Un cœur oublié (justement). Ce fut aussi pour moi l’occasion de découvrir sa Mortelle randonnée, sur les traces d’Adjani et toujours devant la caméra de Claude Miller. Mais la liste ne s’arrête pas là. Il y a eu aussi les rediffusions de La cage aux folles 1 et (hélas) 2 sur M6, du Bonheur est dans le pré de Chatilliez, côté cinéma; des téléfilms Monsieur Léon sur TF1 (pas vu) et L’avare d’après Molière sur France 3 (adaptation que je finirais par croire être le seul à trouver calamiteuse); d’une longue émission-interview faite l’année dernière, et rediffusée deux fois, un soir sur France 3 et le lendemain après-midi sur France 5. Enfin (?), hier, sur France 5 toujours, l’excellente émission quotidienne de débats C dans l’air, généralement consacrée aux sujets politiques et de société, revenait sur la carrière du comédien et posait avec une anxiété non dissimulée la question de la ‘‘relève’’ dans le cinéma français actuel. Et j’en oublie peut-être encore. C’est tout juste après ça si on ne s’attend pas à ce qu’on nous annonce le retour en gloire de Saint Michel Serrault, revenu d’entre les morts à la suite d’une rediffusion du Miraculé de Mocki.

Ingmar Bergman, lui, a eu droit à une rediffusion de Sonate d’automne en troisième partie de soirée sur France 2 jeudi soir, et Persona sera présenté dans la nuit de dimanche dans le cadre du «Cinéma de Minuit» de France 3. Quant à Antonioni... pour l’instant, il n’y a rien à l’horizon.

Et la disproportion, à dire vrai, avait commencé plus tôt: elle était déjà perceptible dans le traitement des nouvelles par les journaux télévisés. Non seulement Bergman et Antonioni n’avaient eu droit qu’à un ‘‘sujet’’ classique de 2 minutes et quelques chacun, alors qu’un bon tiers de la durée des JT de TF1 et France Télévision était consacré à la disparition de Serrault, mais dans ces 2 minutes, on avait tout de même trouvé le temps, à chaque fois, de glisser que si d’aucuns considéraient Bergman et Antonioni comme des génies, d’autres trouvaient leurs films exagérément lents, pesants, ‘‘exigeants’’.

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D’aucuns se réjouiront peut-être de ce qu’ils considèreront comme un coup de griffe salutaire à l’hypocrisie des réconciliations post-mortem – car après tout, il est vrai qu’on n’est pas obligé d’apprécier Bergman et/ou Antonioni. Allons plus loin: ce genre de diktats du bon goût cinématographique peut même avoir les conséquences les plus contre-productives, par exemple sur le spectateur qui veut s’essayer à un cinéma un peu plus évolué que le blockbuster U.S. type, se trouve déboussolé de rester hermétique à ce qu’on lui dit qu’il doit apprécier, et se dit que si c’est ça le ‘‘cinéma d’auteur’’, autant retourner tout de suite au reste. Je pense, au moment où j’écris ces lignes, à mon amie Amandine qui s’essaye en ce moment à la cinéphilie et me confiait, affolée, sur MSN il y a quelques semaines qu’elle s’était profondément emmerdée devant Le Satiricon de Fellini, qu’elle voulait bien, à la limite, trouver ‘‘intéressant’’ du point de vue d’une réflexion sur l’adaptation littéraire, mais très, très en dessous de la force comique du roman de Pétrone. Du coup, elle se pensait incapable d’apprécier les ‘‘grands réalisateurs’’.

Or, il n’y a pas de raison de s’auto-flageller parce qu’on n’aime pas Fellini, ou Bergman, ou Antonioni, ou d’autres. Dans le Septième Art comme dans les autres, le goût personnel, ça existe, et ça compte. En qui me concerne, et pour s’en tenir aux deux derniers disparus en date, j’avoue n’avoir jamais rien vu, à l’heure actuelle, d’Antonioni (et ce n’est pas la ‘‘programmation’’ télé qui comblera ce manque), et j’éprouve des sentiments assez ambivalents pour le cinéma de Bergman dont je me garderais bien de me définir comme un inconditionnel.

Ce qui me gêne en revanche, fut-ce ‘‘pour le principe’’, c’est qu’on trouve le temps, dans des ‘‘notices nécrologiques’’ de deux minutes, de minorer ainsi l’importance d’œuvres qui – même si elles ne sont pas goûtées de tout le monde (et pas aussi ‘‘accessibles’’ à une certaine partie du public que La cage aux folles) – n’en restent pas moins d’une importance majeure, ne serait-ce que du point de vue de l’Histoire du cinéma, alors que pendant tout le temps consacré dans ces mêmes JT à Michel Serrault, je n’ai entendu personne remarquer que ce dernier n’avait, tout de même, pas que des chefs-d’œuvre à son actif.

Qu’on me comprenne: j’ai le plus grand respect pour Michel Serrault, même si je ne me lancerais pas, ni ici, ni ailleurs d’ailleurs, dans un panégyrique (ne serait-ce que parce que d’autres l’ont fait mieux que moi, par exemple Ludovic Maubreuil sur son blog «Cinématique», par là). Mais allez jeter un coup d’œil à la filmographie complète du bonhomme: est-ce un blasphème que de remarquer qu’on trouve, dans ces quelques 145 films, au moins autant de nanars estampillés (du Fou du labo 4 à Albert est méchant en passant par La cage aux folles 3: elles se marient) que de chefs-d’œuvre, et entre les deux extrêmes une énorme quantité de films totalement tombés dans l’oubli? Après tout, la force de Serrault fut peut-être de s’imposer comme une ‘‘figure’’ incontournable de notre patrimoine et de notre imaginaire collectif, au-delà des films eux-mêmes dans lesquels il est apparu. Cette capacité explique sans doute l’avalanche inouïe d’hommages que nous avons pu constater cette semaine, dont je n’ai pas mémoire d’avoir connu l’équivalent suite à la mort d’un autre acteur (encore moins d’un metteur en scène).

Aussi ne s’agit-il
pour moi pas tant de déplorer cette surenchère médiatique autour de Michel Serrault, que de regretter qu’Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni n’aient pas été invités à la fête. Je ne réclame pas des rétrospectives intégrales sur les chaînes publiques, du drame existentiel en v.o. sous-titrée tous les soirs en prime time, je sais bien également que les considérations sur l’audimat sont de la partie, mais tout de même, en comparaison du festival Serrault qui a lieu en ce moment, ce silence quasi-total les concernant est assourdissant (si vous me passez l’expression). Et d’ailleurs, histoire de ne pas tomber moi-même dans le piège, je vais essayer de vous parler prochainement de Cris et chuchotements, sans doute le film de Bergman qui m’a le plus profondément marqué.