16.7.07

La Roque, avant-première

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Cette année en recevant nos places pour les concerts du Festival de La Roque d’Anthéron, nous avons eu la surprise d’y trouver avec une invitation pour un concert gratuit qui s’est déroulé hier soir dans le parc du Château de Florans.

Ça fait bizarre de se promener à La Roque avant l’ouverture du festival. Il n’y a encore qu’une demi-douzaine de tables devant le Temps des Cerises (l’un des seuls restaurants du village), alors qu’en temps ‘‘ordinaire’’ elles occupent toute une rue coupée à la circulation; il y a des barrières sur le terrain qui sert d’habitude de parking, en revanche il n’y en a pas à l’entrée du parc du château (puisqu’il n’y avait pas de billet à contrôler), tout comme il n’y a pas non plus de stand de disques dans l’allée et de foule compacte devant.

Passons rapidement sur la grossièreté du public se permettant des choses qu’il ne ferait jamais lors d’un concert normal (et payant) du Festival, comme se promener devant la scène pendant que les artistes jouent pour prendre des photos, ou se lever et partir en cours de concert, voire pendant l’interprétation même d’un morceau (sachant, de plus, que les gradins métalliques sont particulièrement bruyants…).

Le concert en question, donc, se composait de deux parties. Si vous le voulez bien (et même dans le cas contraire), je commencerai par évoquer la seconde. Il s’agissait, si j’ai bien compris, de la réitération d’un récital déjà donné à Marseille dans le cadre de l’année de l’Arménie en France. Des œuvres de musique de chambre de deux compositeurs arméniens du XXe siècle furent présentées par l’ensemble Pythéas, avec au piano Marie-France Arakelian qui en avait supervisé la programmation. Il y eut tout d’abord le Trio pour clarinette, violon et piano (1932) de Khatchatourian, compositeur dont je ne connaissais guère que la «Danse du Sabre» de Gayaneh, qui ne m’avait pas vraiment donné envie d’en connaître plus, impression confirmée à l’écoute de ce trio: la tentative de ‘‘mélange’’ qu’opère dans cette œuvre Khatchatourian entre le langage de la musique ‘‘classique’’ moderne et celui de la musique traditionnelle arménienne était certes intéressant, mais ne m’a guère procuré d’émotions, en dehors peut-être du dernier mouvement (Moderato). J’ai été plus touché, en revanche, par l’Elégie et le Trio pour piano, violon et violoncelle d’Arno Babadjanian, un compositeur dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Ces œuvres étaient également, sans doute, plus ‘‘accessibles’’ (attention, je ne prétends qu’il y ait un lien de cause à effet nécessaire!) – je me suis même demandé, faute d’information dans le programme, s’il s’agissait bien d’un compositeur du XXe siècle, et pas d’un compositeur romantique ou post-romantique du précédent, seules quelques dissonances de temps en temps mettant à mal cette thèse, du moins jusqu’au presque gershwinien Allegro vivace qui concluait le trio.

Mais la véritable surprise de la soirée avait eu lieu avant, en première partie, lorsque l’organisatrice du concert se présenta sur scène pour nous présenter les artistes, et nous appris que la première interprète que nous allions entendre avait onze ans et demi et le second vingt-trois. Léger flottement dans le public, assailli peut-être de réminiscences de soirées de fin d’année d’école de musique, où les parents sont priés d’applaudir les prestations des enfants des autres, majoritairement fort médiocres musiciens il faut bien le dire (et je le dis d’autant plus librement que je fus de ces derniers, et ce pendant un certain nombre d’années). On nous rassure en nous parlant des prix obtenus par les deux concertistes en herbe, qui se sont même déjà produits dans le cadre d’autres festivals. Bon.

Paraît la première, Elsa Bonnet. À onze ans, donc, la ‘‘petite’’ est certes mignonne comme tout, et fait preuve d’une virtuosité technique indéniable, qu’il n’est il est vrai pas donné à tout le monde de posséder à son âge; seulement, pour un être un grand musicien, la technique compte mais n’est pas tout. Sur une Partita de Bach, ça peut encore prétendre passer, mais quand on en vient à du Mozart, compositeur chez qui, me semble-t-il, l’émotion prime sur la technique qui est priée de ‘‘s’effacer’’, le bât blesse un peu plus encore. Elle se rattrape tout de même un peu avec une Etude et une Nocturne (si ma mémoire est bonne) de Chopin – et pourtant je suis à peu près hermétique à Chopin, notamment parce que je considère que, justement, il se contente bien trop souvent de donner dans le pur jeu virtuose, sans aucune autre considération. Mais tout cela manque encore de maturité, d’engagement et d’émotion. On ne peut que souhaiter à cette jeune, si jeune, trop jeune sans doute pianiste d’évoluer en ce sens. Le destin des ‘‘enfants prodiges’’ n’étant pas toujours facile, difficile de savoir pour l’instant si elle poursuivra une carrière brillante ou de troisième zone, voire si elle arrêtera tout d’ici quelques années, ou si elle se rebellera en plein succès contre la vie menée jusque là et finira par balancer son piano dans un lac suisse devant les caméras.

Je serais beaucoup plus affirmatif par contre quant au destin du second interprète de la soirée, j’ai nommé Emmanuel Despax. Deux-trois imperfections encore à épousseter, et je lui prédis d’ici cinq ans une renommée égale à celle d’un Nicholas Angelich, dans dix ans à celle d’un Evgueni Kissin. Ancien élève du conservatoire d’Aix-en-Provence, Emmanuel Despax revenait pour la première fois donner un concert en France. Lauréat du concours Yehudi Menuhin, il est en effet parti en Angleterre où il a, entre autres, était primé deux fois par le Royal College of Music et reçu la Tagore Gold Medal des mains du Prince Charles. La scène – tout nouvellement refaite – du château de Florans aura eu la primeur du come back sous nos latitudes de ce jeune talent à qui il ne manque vraiment plus grand-chose pour faire partie des grands. Virtuosité, puissance, engagement, émotion, le jeune homme a prouvé hier soir qu’il avait tout ce qu’il fallait pour cela, entraînant ses auditeurs dans de folles courses à l’abîme, creusant les basses comme des tombeaux, avant de s’élever vers des vertiges cristallins ou de proposer quelques brefs temps de repos soyeux, tout au long de la Chaconne en ré mineur BWV 1004 de Bach (arrangée par Busoni), de la Fantasia quasi sonata «Après une lecture du Dante» extraite de la deuxième des Années de pèlerinage de Liszt, et d’un double bis aussi long et passionnant que ce qui précédait. Gageons, si les organisateurs du Festival font bien leur métier – et il n’y a aucune raison d’en douter –, qu’on ne tardera pas à le revoir à La Roque d’Anthéron, et cette fois-ci ce ne sera plus dans le cadre de concerts gratuits.