19.7.07

Art mineur

Image Hosted by ImageShack.us [Scarabées, ornement de corsage, c.1897-1899]

Mineures, les œuvres exposées au Musée du Luxembourg à Paris jusqu’au 29 juillet le sont surtout par la taille, puisque – n’était la (légitime) sécurité dont elles sont entourées – on pourrait facilement emporter la plupart d’entre elles dans sa poche. Mais mineures, elles ne le sont ni par l’intérêt qu’elles représentent, ni par le talent qui présida à leur conception.

L’exposition René Lalique: bijoux d’exception (1890-1912) est l’occasion de découvrir un créateur méconnu, qui, s’il a atteint une certaine postérité dans le travail du verre, commença dans le domaine de joaillerie avant de s’épanouir dans celui de la bijouterie. Point d’orgue de cette carrière, l’Exposition universelle de 1900 est pour Lalique l’occasion d’un véritable triomphe. Dans son pavillon, les bijoux s’étalent, serrés les uns à côté des autres, formant une profusion de merveilles qui éblouissent les visiteurs venus à Paris de toute l’Europe.

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[Quatre paons blancs sur une branche de pin, broche, c.1902-1903]

Eminent représentant du symbolisme et de l’Art Nouveau, René Lalique emprunte son inspiration à des sources très diverses, du baroque français du XVIIIe aux influences japonaises, de l’observation de la nature, qu’il pratique assidûment, aux obsessions et exaspérations du décadentisme fin-de-siècle. Bref, si (comme moi) vous professez un goût pour la luxuriance des dessins de Mucha et la prose malsaine de Jean Lorrain, vous trouverez là matière supplémentaire à justifier la visite de cette exposition.

Considéré par certains de ses contemporains comme une sorte de réincarnation moderne de Benvenuto Cellini, Lalique fond toutes ces influences – et d’autres encore – dans une esthétique personnelle, une véritable petite cosmogonie caractérisée par la réutilisation, avec d’infinies variations, des mêmes matériaux (l’opale notamment) et de symboles récurrents.

Image Hosted by ImageShack.us[Collier avec deux pendants, c.1897-1899]

Filles-fleurs, femmes-insectes, nymphes, vouivres, harpies et charmeuses de serpent, la féminité et ses mystères sont au cœur de la production bijoutière de Lalique, qui n’en finit pas de célébrer sous toutes les formes imaginables la beauté de la Femme, à commencer par la sienne, Augustine-Alice, son épouse et muse de 1890 à son décès en 1909.

Parures de princesses de théâtre, de demi et de grandes mondaines. Parmi les fidèles clientes de Lalique, on trouve Sarah Bernhardt (une photo qui la montre, hiératique, dans son costume de Théodora laisse rêveur sur le pouvoir de fascination que pouvait exercer l’actrice en scène), Cléo de Mérode, Liane de Pougy, ou encore Renée Vivien (elle et son amante Nathalie Barney s’entr’offrant avec régularité les bijoux du créateur). C’est qu’arborer certaines des décorations imaginées par René Lalique n’est pas à la portée de tout le monde, il faut pour cela, disons, un certain ‘‘front’’, et «nombre de ses jolies admiratrices sont tout de même un peu effarouchées par l’originalité même qui le personnifie et qui, parfois, frise l’excentricité», comme le note son ami Henri Vever.

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[Quatre libellules, broche / pendant de cou, c.1903-1904]

Mais l’artiste d’origine champenoise est aussi un fin observateur de la nature: parcourant inlassablement, notamment, son domaine de Clairefontaine, il remplit des pages de carnets à croquis, prélude à la réinvention dans ses bijoux de tout un bestiaire – guêpes, libellules, serpents, scarabées, chauves-souris, papillons, hirondelles, cygnes, paons, poissons... – et de multiples formes végétales – aubépines, gui, prunus, lotus, œillets, orchidées, azalées, chrysanthèmes, chardons...

«C’est une connaissance aussi profonde de la vie rustique acquise dans les jardins et les bois, à l’atelier, voire même au Muséum, qui lui a permis de donner dans ses œuvres à la nature la seul interprétation qui soit propre à l’art ornemental. Ni copie servile, ni traduction littéraire au symbolisme prétentieux, telle a été sa formule.» commente à ce propos l’écrivain Pol Neveux, autre proche de Lalique.

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[Cygne, dessin préparatoire et pendant de cou, c.1899]

Le créateur contrôle toutes les étapes de la fabrication de ses bijoux, des dessins préparatoires à la réalisation. Aux côtés des bagues, bracelets, diadèmes, broches, pendentifs, colliers et autres ornements, le Musée du Luxembourg expose également un grand nombre de ces dessins, «qui sont», comme le remarquait avec justesse et raison Robert de Montesquiou, «eux-mêmes des bijoux, donnant vraiment des flammes à leurs diamants, des fleurs à leurs gemmes, du lait à leurs perles, piquant de tout un scintillement le papier diaphane.»

Devant les uns comme devant les autres, le visiteur aura l’occasion de passer de longs moments pour scruter au plus près tous les détails de ces œuvres d’art à part entière – créations d’un homme et d’une époque qui recherchaient l’unité de l’art sans se soucier de ce qui relevait du ‘‘majeur’’ ou du ‘‘mineur’’. Considéré comme «l’inventeur du bijou moderne», René Lalique est à la fois un représentant de son temps et un artiste singulier dont les œuvres continuent, à un siècle de distance, à nous émerveiller. Ce n’est que justice que le Musée du Luxembourg permette ainsi à un public plus étendu que les seuls connaisseurs en histoire du bijou d’aller à sa rencontre.

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[Fleurs d’aubépine, pendant de cou, c.1899-1901]