8.8.07

La chambre rouge
Cris et chuchotements en faveur de Bergman

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L’extérieur est un rêve de paradis. Mais tout ou presque se passe à l’intérieur. Celui d’un manoir en Suède, à la charnière du XIXe et du XXe siècles. Tentures rouges. Tapis rouges. Rideaux rouges. Couvertures rouges. Et le tic-tac inexorable des horloges. Un enfer de maison de poupée, centré sur le visage d’Agnès (Harriet Andersson), usé par la maladie, tordu par la souffrance. Centré sur les râles et les hurlements d’agonie d’Agnès, corps martyrisé par un cancer de l’utérus, esprit dans l’attente désespérée d’un amour impossible. Autour du lit gravitent ses sœurs, Karin (Ingrid Thulin) et Maria (Liv Ullmann), et une servante, Anna (Kari Sylwan).

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Par sa mort, Agnès sert de révélateur à la vérité des êtres et des relations entre eux. Egoïsme, froideur, indifférence – au mieux –, et la détresse comme seule possibilité de communion ( «Ce jour-là, nous avons été très proches l’une de l’autre...»). Sous couvert de relais au chevet de la mourante, Maria, sensuelle, superficielle, et Karin, dure, rigide, toute de haine conçue, s’affrontent en silence. Seule Anna porte à Agnès un amour que cette singularité rend d’autant plus inacceptable. Témoin gênant plus encore qu’amante encombrante, Anna sera finalement renvoyée, chassée.

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Dans mon esprit – construction personnelle ne présumant en rien des intentions réelles du réalisateur – le film d’Ingmar Bergman est largement bâti sur l’opposition dialectique de deux images: le visage insane et barbouillé de sang de Karin, se mutilant le sexe devant son mari pour lui signifier la fin de toute relation charnelle entre eux, et la célèbre image de pietà aux accents homosexuels dans laquelle, le corps d’Agnès reposant contre les formes opulentes d’Anna, le don de soi sans calcul semble gage de repos éternel. N’oublions pas toutefois que cette dernière scène, pour pourvoyeuse de vérité qu’elle soit, est un leurre, achèvement d’une scène onirique impossible à jamais à concrétiser dans la réalité.

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Dans des décors et en des plans construits de façon très picturale – on pense souvent à l’œuvre d’Edvard Munch (et je pense en particulier, mais non exclusivement, à son Printemps) – Bergman brosse le tableau d’une humanité gangrenée. Les sœurs s’enfoncent petit à petit dans des abîmes de rancœur et d’incommunicabilité. L’apparition du médecin («Quelqu’un marche là-bas...») semble celle d’une incarnation de la Mort; ses gestes à l’égard d’Agnès ont quelque chose d’une érotique macabre. De Maria, son ancienne maîtresse, au contraire, il scrute froidement le visage pour lui en faire impitoyablement le portrait charge, révélant comment son attitude l’a progressivement enlaidie. Quant au pasteur, son discours semble plutôt celui d’un
deséspéré.


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Jai vu Cris et chuchotements comme une traversée du Mal. Celui-ci, semble rappeler Bergman, ne doit pas se résumer, pour qui en cherche la trace, à ses manifestations ‘‘historiques’’ les plus sinistrement spectaculaires. Dans ses rapports quotidiens avec les autres, l’être humain porte en lui des capacités de destruction qui ne connaissent que peu de limites. Regarder Cris et chuchotements, c’est accepter de porter sur nous-mêmes ce regard – aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner qu’on ne sorte pas indemne d’une telle vision. C’est accepter de traverser les cercles d’un enfer bâti de mains d’hommes, une heure et demi durant et sans interruption – «jusqu’à ce que l’horrible soit passé».

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