14.3.09

La vie est une merveille

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Nouvelle-Orléans, été 2005. Dans un hôpital assiégé par l’ouragan Katrina, une vieille femme, Daisy, vit ses dernières heures. À sa fille qui la veille elle demande de lui faire la lecture d’un journal intime qu’elle a avec elle, tenu par un certain Benjamin, qui y a consigné le récit de sa vie pour le moins extraordinaire. Car, né en 1918, dans cette même ville de la Nouvelle-Orléans, d’une mère morte en couches et d’un père qui l’a aussitôt abandonné sur les marches d’une maison de retraite, Benjamin Button nourrisson a les rides et les problèmes de santé d’un quasi centenaire. On ne lui prédit pas une longue vie. Et pourtant, de façon étonnante, Benjamin, non seulement vit et grandit, mais rajeunit au fur et à mesure des années. Lorsqu’il rencontre la jeune Daisy, petite-fille d’une des pensionnaires de l’hospice, son apparence est encore celle d’un vieillard. Mais lorsqu’ils se retrouvent quelques décennies plus tard, les choses ont changé; ils sont tous deux «au milieu de [leurs] vies», pour la première fois coïncident non seulement leurs âges, mais l’apparence de ceux-ci, et peut-être non seulement cette apparence, mais des poids similaires lestant leurs existences: pour l’une, la vie brillante et légère d’une ballerine à la carrière internationale brusquement brisée; pour l’autre, outre l’isolement dû à sa ‘‘particularité’’, la découverte de l’amour, l’expérience de la guerre, la découverte de ses origines... Dès lors, Daisy et Benjamin forment un couple fusionnel et qui pourrait être idéal, si une question ne taraudait ce dernier: combien de temps avant que la ‘‘différence d’âge’’ ne les sépare à nouveau?

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Septième long-métrage de David Fincher, L’Etrange Histoire de Benjamin Button (en v.o. The Curious Case of Benjamin Button) n’a a priori pas grand-chose à voir avec les précédents, exception faite de Brad Pitt, interprète du rôle-titre, qui se retrouve pour la troisième fois devant les caméras du réalisateur de Seven (1996) et Fight Club (1999), et exception faite surtout... du talent dudit réalisateur. Pour le reste, pour le fond – en tant que première excursion du réalisateur hors du ‘‘film de genre’’ – comme pour la forme – du côté d’un certain ‘‘classicisme’’ hollywoodien –, la différence avec le reste de l’œuvre de Fincher peut décontenancer, et je serais tenté d’y voir une des raisons pour lesquelles le film, annoncé de longue date comme un évènement (d’autant que le projet traînait à Hollywood depuis près de quinze ans), n’a pas tout à fait connu le triomphe escompté: boudé aux Oscars où il était donné favori, le film, quoique majoritairement bien accueilli, s’est tout de même aussi attiré un certain nombre de critiques cinglantes (‘‘lourd’’, ‘‘creux’’, ‘‘morbide’’, ‘‘ennuyeux’’, etc.). Mais peu importe finalement. Comme toujours, ce sont les années à venir qui resteront seules juges – et je serais pour ma part prêt à parier que Benjamin Button est un film aussi marquant sur le long terme qu’il peut l’être pour le spectateur dans l’immédiat de sa projection; une des plus grandes réussites à ce jour d’un réalisateur qui ne compte d’ailleurs guère de baisse de régime en dix-sept ans de carrière.

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J’ai parlé plus haut de première incursion de Fincher hors du ‘‘cinéma de genre’’, on pourrait objecter qu’il repose sur le postulat fantastique d’un homme évoluant à rebours du cycle biologique normal. Certes, mais il ne fait précisément que cela: reposer dessus. À proprement parler, je serais d’ailleurs tenté de dire que L’Etrange Histoire de Benjamin Button ressort plus au registre du merveilleux que du fantastique, à en juger par les réactions pour le moins mesurées que suscite chez les différents protagonistes la ‘‘particularité’’ de Benjamin. Quelques autres éléments viendront discrètement le confirmer (les apparitions de l’oiseau-mouche, les noms de certains personnages): nous sommes fondamentalement dans l’univers du conte – dont les ressources sont ici utilisées par Fincher d’une manière qui, soit dit en passant, n’est pas tout-à-fait sans rappeler les productions du Tim Burton de la grande époque.

Mais là encore, la piste, sans être fausse, n’est pas forcément la plus importante. Très librement inspiré d’une courte nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, le film n’en retient – et encore, en y apportant de substantielles modifications – que l’idée essentielle d’un homme traversant la vie à rebours du cycle biologique normal. Mais la grande force de cette Etrange Histoire (comme de tout conte réussi?) est bien de faire oublier ce caractère merveilleux, support d’un récit qui nous touche de façon beaucoup plus directe, nous parle de nos vies et de nos sentiments, tout au long d’une fresque de deux heures et demi embrassant moins la succession des époques (façon Forrest Gump, avec qui Benjamin Button partage le même scénariste Eric Roth) que l’ampleur des existences. En définitive, c’est la vie elle-même, et rien d’autre, qui est une merveille.

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De la même façon, si l’on nous répète à l’envi que ce film n’aurait pu se faire avant (sauf à coûter des sommes astronomiques pour le moindre plan) du fait de l’évolution des effets spéciaux, ces derniers ont aussi le bon goût de se faire oublier. Ils sont mis au service de l’histoire et non l’inverse. Derrière les maquillages et les artifices numériques, Brad Pitt, qu’on sait capable du meilleur comme du pire, trouve un des meilleurs rôles de sa carrière et fait heureusement oublier tout l’aspect technique du film. Quant à Cate Blanchett, elle confirme une fois de plus qu’elle est une actrice de très grand talent... et la grâce incarnée. Les seconds rôles sont également particulièrement soignés grâce aux prestations de Tilda Swinton, Taraji P. Henson, Julia Ormond, Josh Stewart, Mahershalalhashbaz Ali notamment. À l’image d’un film qui préfère jouer de la retenue et de la pudeur plutôt que de donner dans le tire-larmes à gros violons (signalons d’ailleurs, à ce propos, la discrète et très belle partition du français Eric Desplats), David Fincher quant à lui signe une mise en scène aux images très travaillées, mais qui se démarque de la plupart de ses précédentes réalisations par un évident souci de sobriété qui, loin de nuire à l’efficacité du film, convient ici parfaitement. En définitive, le réalisateur nous offre là un classique; un grand moment de cinéma; et l’occasion de grandes émotions.