3.12.08

Du Feu de Dieu

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Je n’irais pas personnellement jusqu’à dire que l’édition DVD de la chose – déjà disponible pour les plus pressés – est le cadeau de Noël idéal de l’année, mais c’est en tout cas une bonne raison de se caler devant Arte tous les mercredi et samedi soirs à 21h jusqu’au 20 de ce mois. Après Corpus Christi en 1999 et Les Origines du christianisme en 2004, voici le nouveau et dernier volet de la grande entreprise du duo Mordillat-Prieur, ‘‘sobrement’’ intitulé L’Apocalypse. «La synagogue de Satan» et «L’incendie de Rome», les deux premiers des 12 épisodes de 50 minutes chacun, viennent d’être diffusés ce soir (des rediffusions sont prévus pour ceux qui ont accès à la TNT).

Dans les années 30 de ce qui deviendra ‘‘notre ère’’, un paria juif a subi, dans l’une des provinces les plus reculés de l’Empire, la plus ignominieuse des mises à mort prévues par la loi romaine. La communauté de ses disciples, aussi mal vue du reste du monde juif que des autorités impériales, attend la fin imminente d’un monde qui les ignore, au mieux, les méprise ou les condamne, au pire. Mais en un peu moins de quatre siècles va se produire l’un des plus extraordinaires retournements de l’Histoire... On connaît la boutade célèbre du théologien Alfred Loisy au début du XXe siècle: «Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Eglise qui est venue»; non seulement le monde n’a pas pris fin, mais ce qui était à l’origine une obscure secte juive s’est retrouvée à la tête de cet Empire qui la persécuta. C’est cette grande transformation qu’étudie la nouvelle série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur à travers l’étude, en guise de fil conducteur, de l’un des textes les plus fascinants, les plus célèbres et les plus méconnus du Nouveau Testament: l’Apocalypse selon saint Jean.

Comment le terme d’apocalypse en est-il venu à désigner le contraire de ce qu’il voulait dire originellement? Qui était ce Jean de Patmos son rédacteur, et que faisait-il sur cette île désertique de la mer Egée? Quelles étaient ses relations avec la communauté chrétienne? et avec la communauté juive? Quels rapports entre l’Apocalypse johannique et les autres apocalypses écrites à la même époque (de Baruch, d’Esdras...)? Pourquoi les chrétiens des premiers siècles étaient-ils généralement considérés par les Romains comme des ennemis de la société? À quel moment ceux-ci distinguèrent-ils ce groupe du reste des Juifs? Et d’ailleurs, sait-on d’où vient exactement le nom de ‘‘chrétien’’? Pourquoi l’empereur Néron les accusa-t-il d’avoir causé l’incendie qui ravagea la moitié de Rome en l’an 64? Quelles répercutions les persécutions qui s’en suivirent eurent-elles sur la rédaction de ce qui allait devenir le dernier livre du canon du Nouveau Testament, et qui est le seul texte au sein de celui-ci à attaquer directement le pouvoir politique? Voici les principales questions soulevées dans ces deux premiers épisodes. Toutes ne trouvent pas de réponse, mais le ‘‘collège’’ international d’historiens et d’exégètes de toutes confessions rassemblé une nouvelle fois par le tandem de documentaristes ouvre des horizons à la pensée, bousculant au passage quelques certitudes ou idées tenaces. Plus appréciable que le ton souvent un peu ‘‘dogmatique’’ (si j’ose dire vu les orientations retenues) que le duo a tendance à adopter dans les livres qu’il fait paraître en parallèle à ses réalisations (Jésus contre Jésus, Jésus après Jésus et maintenant Jésus sans Jésus), la polyphonie des voix et des opinions des chercheurs tient ici les neurones constamment en éveil. On convoque les écrits néotestamentaires et apocryphes, la littérature juive, les historiens latins, on examine, on compare, on n’hésite pas à passer de longues minutes sur une simple expression – telle cette mystérieuse «synagogue de Satan» (Ap. II:9) donnant son titre au premier épisode – qui se révèle clé possible de tout un monde insoupçonné. Cette vaste enquête sur la christianisation de l’Occident, et sur le paradoxal ‘‘succès’’ d’une Eglise qui s’établit dans le siècle en devant repenser à nouveaux frais l’une des certitudes les plus puissamment ancrés en elles, s’annonce hautement recommandable, tant aux croyants qui ne se limitent pas aux images pieuses qu’aux simples curieux de l’Histoire du monde et des origines de notre civilisation.


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Illustration: Dieu, anges et anges déchus, détail d’une enluminure pour la traduction par Raoul de Presles de La Cité de Dieu de Saint Augustin (BnF Fr20 Fol. 238v), XVe siècle.