21.11.08

Sadiens, encore un effort...

J’ai eu la surprise de trouver aujourd’hui sur ma table, en rentrant de la fac où je m’étais livré à de roboratives activités grammaticales, un hors-série du Magazine Littéraire consacré – mais non, je ne rêve pas – au marquis de Sade.

Précisons à l’intention de ceux qui ne sont pas familiers dudit magazine que ses hors-séries, qui paraissent, depuis 2000, au rythme de deux ou trois par an, sous le titre de «Collections du Magazine Littéraire», regroupent, autour d’une personnalité (Proust, Nietzsche, Céline, Lévi-Strauss, Vian, Sartre, Heidegger...) ou d’une thématique (le nihilisme, les écritures du Moi, la solitude, la passion...), des articles pour l’essentiel repris dans divers numéros anciens. Sous le joli titre de Sade, les fortunes du vice on trouvera donc dans tous les bons kiosques une sélection d’articles parmi ceux parus sur notre marquis au sein de la revue entre 1968 et 2003, parmi lesquels un entretien avec Roland Barthes, et des textes signés entre autres Philippe Sollers, Alain Robbe-Grillet, Annie Le Brun, Henri Lafon, Patrick Wald Lasowski, Pascal Pia, ou encore, et je serais tenté d’ajouter bien sûr, Michel Delon (quatre articles à lui tout seul: que ceux qui me connaissent suivent mon regard) – tous noms qui ne surprendront guère les personnes qui se sont déjà penchés sur l’œuvre de Sade et sur sa réception critique –, auxquels il faut ajouter trois articles inédits. Seules vraies fausses notes du volume (au regard de ce qu’on est en droit d’attendre de lui, s’entend, c’est-à-dire du public auquel il s’adresse), la mention un peu attrape-couillon en couverture de Jorge Luis Borges parmi les auteurs des textes, alors que de celui-ci on ne présente qu’un court encart d’une demi-page où il est question de la censure en général mais pas de Sade lui-même, et surtout la large publicité en 4e de couv’ pour le dernier pensum de Michel Onfray, visant visiblement toujours aussi caricaturalement à côté de la plaque pour nous vendre sa daube.

Pourquoi m’attarder en ces lieux à souligner la publication de ce numéro, fût-il hors-série, du Magazine, sujet dans l’absolu pas des plus passionnants? La surprise première de voir Sade se retrouver le sujet d’une telle ‘‘anthologie’’ doit être tempérée par la constatation – fruit, de ma part, d’une fréquentation de désormais longue date de cette revue et de quelques activités d’indexation des articles – que non seulement «l’auteur de Justine» avait déjà fait l’objet en 1991, à l’époque de la parution d’une partie de ses œuvres dans la Pléiade, d’un dossier complet sous le titre-manifeste Sade, écrivain, mais qu’il est, au moins depuis cette époque (mes archives ne remontant pas beaucoup plus haut), l’un des auteurs les plus souvent convoqués dans les pages du magazine, certes loin derrière Flaubert, véritable ‘‘chouchou’’ de la publication à la l’écrasante présence, mais, d’après mes petites statistiques artisanales (et pour ce qu’elles valent, à ce titre), à l’égal d’un Proust et d’un Rousseau, ‘‘devançant’’ pêle-mêle Baudelaire, Chateaubriand, Hugo, Montaigne, Nietzsche, Perec, Sartre, Stendhal ou Virginia Woolf... Lui consacrer un numéro hors-série apparaît donc dans le fil logique de cette place qu’il occupe déjà dans les pages du magazine; mais il y a un pas entre les pages et la couverture, et je ne pense pas que celui-ci ait été franchi par simple opportunisme financier misant sur quelque (d’ailleurs douteux) parfum de scandale. Compte tenu, je le répète encore une fois, du public auquel s’adresse majoritairement le Magazine Littéraire, ce que ce numéro entérine calmement du haut de sa petite centaine de pages, c’est peut-être bien, tout simplement, la reconnaissance de ce dont je suis intimement persuadé depuis des années: par quelque bout qu’on aborde la question, par quelque terme qu’on veuille employer pour définir le concept (hormis peut-être son étude dans les collèges et lycées, pour laquelle je ne milite certes pas), Sade est, bel et bien, un Classique.