31.10.08

Le Nouveau Monde et la Vieille Europe

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Il est peu de rhétoriques plus agaçantes que celle de nos ‘‘voisins’’ d’Outre-Atlantique quand il leur prend l’envie de comparer leurs USA à ce ‘‘vieux monde’’ que leurs ancêtres ont jadis quitté. Dépréciative ou laudative, qu’elle présente les Européens comme un rassemblement de has been, vieux débris à peine post-préhistoriques, ou magnifie une Europe-musée admirable, gardienne d’un art de vivre oublié, celle-ci nous donne souvent l’impression de se teinter d’une commisération plus ou moins avouée pour une population qui se serait retirée de la marche de l’Histoire et du cours des affaires du monde, qui donne très envie de répliquer méchamment. Pourtant, s’il est un jour qui appelle cette comparaison, c’est celui du mardi 4 novembre prochain.

Ce mardi, les Etats-Unis d’Amérique éliront leur président pour les quatre (voire huit) années à venir. Et celui-ci semble avoir de très fortes chances de s’appeler Barack Obama. Noir issu de l’immigration dans un pays encore fortement marqué par les antagonismes raciaux, candidat le plus à ‘‘gauche’’ qu’ait présenté le Parti Démocrate depuis longtemps dans un pays dont certains citoyens voient déjà dans la politique économique du gouvernement Bush le spectre (apparemment terrifiant) de «l’Etat Providence» (!!), se déclarant partisan d’une approche diplomatique des conflits géopolitiques mondiaux dans un pays engagé depuis sept ans dans des guerres menées de façon aberrante, le charismatique sénateur de l’Illinois a pourtant su s’imposer comme un candidat plus que crédible à la Maison Blanche. Son discours de Philadelphie, le 18 mars dernier, quel que soit le résultat de l’élection, restera probablement dans les annales, ainsi que le souvenir d’une campagne exemplaire en cela que son efficacité a priori redoutable n’aura pas reposé sur le sacrifice de la dignité, ce face à un John McCain qui s’est progressivement abaissé à tous les coups bas et à toutes les calomnies de la ‘‘politique politicienne’’. Etant donné tout ce que représente du point de vue géopolitique, culturel, et également économique, les Etats-Unis, la victoire d’un Barack Obama pourrait bien faire du 4 novembre 2008 une date historique non seulement pour son propre pays mais pour une bonne part de la planète.

Ce mardi, les Etats-Unis d’Europe l’Union européenne, que préside actuellement la France avec le succès que l’on sait – un succès tel, soit dit en passant, que Nicolas Sarkozy semble envisager tout-à-fait sérieusement de ne pas rendre les clés du pouvoir à la fin de l’année, ce qui en termes politiques s’appelle coup d’Etat ou putsch, annoncé sinon encore réalisé, et dont, très-curieusement, presque personne ne parle! –, l’Union européenne, disais-je, connaîtra une autre actualité: la Conférence des Ministres européens consacrée à ‘‘l'intégration’’ des étrangers en Europe se tiendra, sous l’égide de Brice Hortefeux, à... Vichy. On a beau vouloir tout faire pour ne pas tomber dans le piège du Point Godwin, il faut être sacrément acquis au discours gouvernemental pour admirer le choix de cette ville afin d’y tenir une conférence européenne visant à étendre à l’ensemble de l’UE la politique française en matière de ‘‘gestion’’ de l’immigration; politique inique, provoquant chaque semaine de nouveaux drames, économiquement contre-productive, et qui bafoue ce que la France pouvait représenter en matière d’idéaux; politique, enfin, dont tant les attendus que certaines méthodes proprement dégueulasses qui sont employées pour sa réalisation nous rappellent trop souvent certains aspects d’heures sombres de notre Histoire récente, que Nicolas Sarkozy tente régulièrement d’occulter depuis plusieurs années maintenant à coups de propos relevant parfois du révisionnisme pur et simple (on se souvient notamment encore de certaines formules de son discours de Caen en mars 2007), et qui se trouvent être précisément attachées à la ville de... Vichy. «Honnêtement, on en ras-le-bol de cette histoire du passé!» assurait en juin dernier, sous les applaudissements de l’UMP, le ministre de l’immigration, de l’expulsion et de la trahison de l’identité nationale pour justifier le choix de cette ville, qui viserait selon lui à la réhabiliter. Gageons que les Vichyssois se seraient bien passés, eux, d’une ‘‘réhabilitation’’ menée en ces termes, et la France d’une telle actualité.

Oui, la rhétorique de la comparaison du Nouveau Monde et de la Vieille Europe est souvent agaçante, mais en début de semaine prochaine, il n’y aura vraiment pas de quoi pavoiser de se trouver de ce côté-ci de l’Atlantique.


P.S.: Reste, bien sûr, l’hypothèse du nivellement par le bas en guise d’équilibrage et de la victoire inattendue, pour quelque motif que ce soit, du ticket républicain aux USA. Ce n’est pas tant la perspective d’une présidence John McCain qui soit alarmante – celui-ci ne serait vraisemblablement ni meilleur ni pire que d’autres présidents américains avant lui, et les USA peuvent difficilement, de toute façon, tomber plus bas qu’ils ne sont actuellement en matière politique, économique et d’‘‘image publique’’ auprès du reste du monde – que celle d’une présidence Sarah Palin, pas du tout improbable à moyen terme étant donné l’état de santé de McCain. Même pour que l’honneur de la France soit un peu moins entaché en ce 4 novembre, une éventualité aussi inquiétante, non seulement pour les USA mais pour le monde, n’aurait rien d’enviable...