22.11.08

Là où les tigres sont chez eux

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Dans le contexte d’un syncrétisme (qui perdura jusqu’à l’avènement de l’ère Meiji) où se mêlaient shintoïsme et bouddhisme, le sanctuaire de Kotohira-gu, également appelé Konpira-san, fondé à l’ère Heian sur une montagne de l’île de Shikoku, demeura longtemps l’un des deux ou trois lieux de pèlerinage les plus importants du Japon. L’exposition Konpira-san, Sanctuaire de la mer. Trésors de la peinture japonaise, à voir jusqu’au 8 décembre au Musée Guimet, permet au public français d’avoir un aperçu de ce sanctuaire qui fut aussi, du fait de son ‘‘succès’’, un foyer de création artistique de première importance. Témoignant de la longévité de ce succès, les pièces exposées s’étalent du XVIIe siècle (superbes paravents attribués à Tosa Mitsumoto, aux motifs inspirés du Dit du Genji) jusqu’au plus récent avec les étonnants camélias peints (sur carreaux de porcelaine ou au pastel gras sur papier) entre 2005 et 2008 par l’artiste contemporain Takubo Kyôji – celui-ci, pour qui il semble que la découverte des décorations florales (également exposées ici) réalisée par Itô Jakuchû pour une salle du sanctuaire, ait joué un rôle capital dans sa vocation, dirigeant actuellement un «projet de renaissance de Kotohira-gu» visant à maintenir le lieu pleinement vivant. – Toutes les pièces exposées quittent pour la première fois l’archipel japonais.

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Mais la majeure partie – et la partie majeure – de l’exposition est consacrée aux cloisons peintes réalisées à la fin du XVIIIe siècle par le grand Maruyama Ôkyo, dans les dernières années de sa vie, pour l’Omote-shoin du sanctuaire – tout à la fois lieu de lecture pour les moines zen et lieu de réception et de célébrations. Réalisées au lavis d’encre (rehaussé de quelques couleurs légères dans le seul cas de la «salle des grues», de sept ans antérieure aux autres) et à la poudre d’or sur papier, ces décorations, tantôt animalières tantôt paysagères, nous font pénétrer dans un univers presque onirique de bambouseraies embrumées, de jungles métaphysiques et de jardins zen, magnifique et admirable même si l’on peut avoir l’impression que certains éléments échappent à notre compréhension.

On regrettera en effet, il faut bien le dire, qu’hormis une explication, dans le livret disponible à l’entrée du musée, sur la possible symbolique derrière les attitudes des grues de la première salle, il soit finalement si peu parlé de la dimension religieuse de ce sanctuaire et lieu de pèlerinage. Il faut même se reporter au site Internet de l’exposition pour avoir un aperçu de la succession des cultes qu’on y pratiqua et une explication de ses changements de nom. La chose est un peu dommage car c’est tout de même une dimension qu’on suppose importante, vu le lieu, à côté de laquelle le visiteur se retrouve à passer.

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Une autre des limites – mais celle-ci a priori inévitable – de cette exposition est qu’il reste par ailleurs et de toute façon impossible au visiteur parisien de se représenter pleinement l’effet produit par ces œuvres dans l’environnement pour lequel elles ont été pensées, tant il apparaît que l’artiste a travaillé ces décorations, d’une part en fonction de l’agencement spatial de chacune des pièces les unes avec les autres, d’autre part et de façon sans doute plus importante encore, en lien avec le décor ‘‘naturel’’ et l’extérieur du temple (ainsi, nous explique-t-on par exemple, l’eau d’une cascade sur une cloison et celle d’un étang sur une autre ‘‘encadraient’’ une ouverture donnant sur le véritable étang du lieu). On a beau être habitué à voir dans nos musées des fragments de temples grecs ou des statues égyptiennes, c’est peut-être le fait même qu’ici soit reconstituée tout une part du sanctuaire nippon qui rend presque palpable l’imperfection inhérente au fait de déplacer ce genre de pièces à plusieurs milliers de kilomètres de leur point d’origine. Reste qu’à moins que vous ayez prévu prochainement un voyage de l’autre côté du monde, cette exposition réalisée dans le cadre du cent-cinquantième anniversaire des échanges culturels franco-japonais représente une occasion assez unique. Et en définitive, si cette exposition génère quelques frustrations, on se dit que celles-ci sont l’envers de la fascinante découverte proposée ici au public, qu’elles sont à la hauteur de la puissance de ce que l’on ressent en la faisant. On a, tout simplement, envie d’en voir et d’en savoir plus. Réussite paradoxale d’une exposition dans et par l’expérience de ses limites, qui montrent du moins qu’on n’y reste pas indifférent.

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De haut en bas: panneaux de la «salle des tigres» (1794) et de la «salle des grues» (1787) de l’Omote-shoin par Maruyama Okyô; vue de la «salle surélevée» de l’Oku-shoin décorée par Itô Jakuchû, 1764; fresque au pastel par Takubo Kyôji, 2005-2007.