20.8.08

Grandeur et misère à La Roque d’Anthéron

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Si le Festival de La Roque d’Anthéron s’enorgueillit de présenter chaque année les plus grands et célèbres pianistes mondiaux, une part, moins médiatique peut-être, mais, quant à ses enjeux, non négligeable de son activité consiste également à mettre en valeur de jeunes talents. Las, on hésitera à parler de mise en valeur concernant le sort réservé à Judith Jáuregui ce dimanche après-midi: est-ce parce qu’elle n’attirait pas assez les foules sur son nom, ou ‘‘seulement’’ à cause d’un problème d’organisation interne (qu’on imagine pourtant pas improvisée à la dernière minute!) que sa prestation, initialement programmée dans le cadre du Théâtre Forbin, dans le parc du château de Florans, s’est vue délocalisée dans la salle des fêtes du village? Si les spectateurs – qu’accessoirement on n’avait pas songé, à l’ère du téléphone et d’Internet, à ‘‘avertir’’ autrement que par la mention du nouveau lieu du concert sur le billet: pratique quand on vient chercher ses billets sur place... –, si les spectateurs, disais-je, pouvaient éventuellement se dire qu’ils avaient gagné en confort des sièges une part au moins de ce qu’ils avaient perdu côté beauté du cadre, c’est surtout en confort d’écoute que la perte s’est avérée sévère, et pour le public, et pour l’artiste, tant il est vrai – on s’en serait douté! – que l’acoustique de ladite salle n’a jamais été conçue pour servir d’écrin à un concert de piano.

Tout au long d’un concert réunissant la Sonate en mi mineur de Grieg, les Scènes d’enfants de Mompou et enfin les Six moments musicaux de Rachmaninov, la jeune pianiste ibère a fait preuve d’un beau tempérament qui l’annonce comme l’une des potentielles ‘‘grandes’’ des années à venir. On en regrettera d’autant plus les quelques défauts (de jeunesse, dira-t-on) qui ternissent encore son interprétation, en particulier un jeu exagérément sec, voire parfois heurté – défauts hélas d’autant plus audibles que ce sont eux que les particularités acoustiques de la salle amplifiaient malencontreusement. Question d’affinités avec le répertoire ou adaptation progressive aux conditions du concert, ils se sont fait d’ailleurs de moins en moins entendre au fur et à mesure de l’avancée du concert. On attend donc de reprendre des nouvelles de Judith Jáuregui dans quelques temps, lorsque son jeu aura encore un peu mûri... et qu’elle pourra bénéficier de conditions d’interprétation un peu plus digne de ses potentialités.

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Frank Braley n’a, lui, pas eu à s’inquiéter d’un même traitement. À deux reprises, lundi et mardi en fin d’après-midi, il s’est produit en compagnie du chœur d’hommes du Collegium Vocale Gent, placé sous la direction de Christoph Siebert, dans la nef de l’abbaye de Silvacane pour un programme intégralement consacré à Schubert. Ce pianiste atypique à bien des égards possède toujours, outre ses remarquables qualités techniques, cet enthousiasme communicatif, cette capacité d’engagement dans son interprétation que j’avais, pour ma part, découvert l’an dernier lors du concert de clôture où il s’était produit en compagnie des frères Capuçon, et qui rendent en concert les minutes qu’il passe devant son clavier proprement magiques, donnant l’impression au spectateur d’être emporté dans un autre univers. Une véritable capacité d’enchantement qui devrait me faire continuer longtemps à rechercher ses prestations... On ne regrettera donc qu’une chose à l’issue de ce concert, la brièveté de ces moments magiques, Braley n’ayant interprété en solo que trois pièces (les Impromptus n°1 et 3 et le Klavierstück n°2), et n’ayant accompagné le Collegium Vocale Gent que pour une minorité des autres œuvres données en concert ce jour-là – concert lui-même plutôt court dans son ensemble.

Hasard du choix du spectateur, qui ne saurait rendre compte de l’intégralité de la programmation d’un festival? Certes, sans doute. Mais entre une jeune pianiste que l’on relègue dans une salle des fêtes villageoise, et un concert de moins d’une heure, dont peut-être vingt minutes de piano, dont les places étaient vendues au prix le plus fort, mes passages à La Roque d’Anthéron m’auront tout de même laissé une drôle d’impression cette année...