En attendant les barbares
Il faudra que je trouve l’astuce miracle pour glisser discrètement le contenu de tous les posts potentiels en retard depuis septembre (anniversaire de Sophie, Journées du Patrimoine, pendaison de crémaillère d’Hervé et Marie, et je ne parle même pas de la possibilité de remonter jusqu’à l’expo Cézanne ou de glisser une critique de film), mais d’ici là en voici toujours un, court, pour témoigner d’un coup de cœur.
En attendant Musset, Brecht, Shakespeare et les autres, le Théâtre de
Devant l’impossibilité représentée par l’adaptation du roman entier – soit un millier et demi de pages dont l’action s’étale sur une quinzaine d’années d’Histoire russe et européenne –, Fomenko a finalement décidé de se concentrer sur “l’ouverture” du roman, qui se déroule en 1805 et présente les personnages principaux tandis que l’ombre de la guerre se fait de plus en plus nette. De cette première moitié de la première partie du matériau original, Fomenko a tiré un spectacle de plus de trois heures, interprété par quinze comédiens à qui sont dévolus une bonne trentaine de rôles, au centre desquels on retrouve les personnages de Pierre (Andreï Kazakov) et du prince Andreï (Ilia Lioubimov).
Dans un décor dépouillé – une grande carte d’Europe en guise de toile de fond, des chaises, des échelles, des tréteaux métalliques –, l’adaptation se concentre sur les scènes essentielles et les personnages-clés du roman, passant à la trappe la continuité narrative au risque de paraître parfois inintelligible à qui n’aura pas lu Tolstoï. Mais le plus étonnant dans tout cela est que quand la pièce s’achève, après 3h40 de représentation en russe (avec traduction surtitrée), la première réaction est de s’étonner que cela soit déjà fini. Mené tambour battant par une exceptionnelle troupe de comédiens à peu près capables de tout (des différents registres de jeu aux acrobaties les plus étonnantes, en passant par le chant, la danse, l’interprétation musicale…), ce Guerre et Paix conjugue sans temps mort la comédie de mœurs grinçante, voire féroce, et ce qu’on pourrait appeler la “tragédie in progress”, la mise en place des éléments qui conduiront inévitablement à la catastrophe (quelque part hors du champ représenté sur scène). Fomenko prouve ainsi que l’on peut faire de l’épique avec une grande économie de moyens, et surtout que « mise en scène contemporaine et originale » n’est pas obligé de rimer avec « vaste n’importe quoi ». À la fin des longues salves applaudissements, on quitte la salle avec le regret qu’il n’ait pas poussé plus loin son adaptation, et l’envie de se plonger dans le roman.
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