25.4.08

«Nous avons fait un beau rêve, voilà tout...»

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C’est par ces mots que s’ouvre et se clôt quasiment l’exposition que le Grand Palais consacre actuellement à Marie-Antoinette. Empruntés à l’une des dernières lettres de la souveraine écrites depuis sa prison du Temple, ils donnent curieusement le la d’une exposition qui semble avant tout une vaste rêverie autour du destin de la reine guillotinée.

L’exposition du Grand Palais s’articule en trois parties – structure explicitement rapprochée de celle de l’opéra –, auxquelles correspondent trois scénographies différentes, pas toujours bien adaptées, d’ailleurs, à une visée pratique de la visite (il est ainsi particulièrement difficile de se mouvoir dans les petits cabinets de la première partie de l’exposition, rendus plus exigus encore par la présence de meubles volumineux parmi les objets exposés à la foule toujours nombreuse au Grand Palais). Là se borne, ou quasiment, l’ordre mis à la chose, et ceci est tout de même regrettable.

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Un fil rouge semble pourtant parcourir au moins une partie de l’exposition: la question de l’image de la reine. Il est en effet question à plusieurs reprises dans les premières salles des insatisfactions de Marie-Antoinette vis-à-vis des portraits que l’on faisait d’elle, qu’elle ne trouvait jamais ressemblants, et ce jusqu’à la rencontre ‘‘salvatrice’’ en la matière avec Elisabeth Vigée-Lebrun. Cet aspect méconnu de la vie de la jeune souveraine entre curieusement en résonnance avec les terribles dysfonctionnements de son image publique qui marqueront la fin de son règne – et ne seront pas pour rien dans le déclenchement des évènements révolutionnaires. Il est intéressant de constater que c’est la même Marie-Antoinette qui, dans sa jeunesse, exigea que son visage soit retiré d’une statue de Vénus, estimant qu’il était indécent qu’une souveraine soit représentée nue (les temps ont bien changé, me direz-vous: la statuette en question est pourtant plus belle que la sinistre photo de Carla Bruni qui s’est arrachée 91000 dollars chez Sotheby’s!), et qui fit scandale au Salon de 1783 en se faisant représenter dans une tenue de gaulle jugée bien trop ‘‘relâchée’’ pour une monarque, que Vigée-Lebrun dut remplacer de toute urgence par une robe de cour plus protocolaire...

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Scandale bien mineur, toutefois, comparé à celui qui allait peu après éclabousser la reine (pourtant bien innocente en la circonstance), et la monarchie avec par la même occasion, avec, à terme, les conséquences que l’on sait – je veux parler bien sûr de la rocambolesque Affaire du Collier (collier dont une reproduction est également exposée). En acquittant le cardinal de Rohan en 1786, le Parlement frondeur entérine officiellement auprès du peuple l’image désormais noire de Marie-Antoinette, considérant que l’imbécile prélat n’avait aucune raison de douter, dans l’absolu, que la reine puisse acheter en cachette de son mari des parures absolument ruineuses, ou donner des rendez-vous galants en pleine nuit dans le Bosquet de Vénus! Cette fois, Elisabeth Vigée-Lebrun aura beau multiplier les portraits de la souveraine en bonne mère (de ses enfants et donc de la nation), Marie-Antoinette perd définitivement, à cette date, le contrôle de son image.

Coïncidence, comme on dit: les commissaires de l’exposition semblent perdre au même moment le contrôle d’eux-mêmes. Les deux premières parties témoignent déjà de la fascination qu’ils éprouvent pour Marie-Antoinette – et après tout pourquoi pas? (moi, mon idole, ce serait plutôt Mme de Pompadour, mais chacun ses goûts)... Même s’ils donnent parfois l’impression d’exhiber, et quelquefois un peu en vrac, tout ce qui peut avoir un rapport de près ou de loin avec celle-ci (oh regardez, les jolis petits dessins que faisait sa sœur quand elle était enfant); même s’ils prennent le risque d’être contre-productifs, les amoncellements de meubles et de vaisselles ressuscitant plus, faute d’une mise en contexte suffisante, l’image de «Madame Déficit» que celle d’une grande mécène des Arts Déco... Mais dans la troisième et dernière partie, consacrée à la fin de la reine dans la tourmente révolutionnaire, ils donnent à fond dans le pathos, et là ça devient tout de même un peu gênant.

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Loin de moi l’idée de nier le caractère tragique de cette fin sanglante et son caractère regrettable à bien des égards, mais se voir accueillir dans une salle d’exposition par un grand miroir spécialement caillassé pour l’occasion avant d’être introduit dans une pièce plongée dans les ténèbres, d’où émergent, dans des trouées de lumière ménagées par des spots, les ultimes ‘‘reliques’’ de la sainte souveraine (son dernier portrait inachevé, sa dernière chemise, une mèche de cheveux pieusement conservée, etc.) et des extraits, soigneusement choisis et reproduits aux murs, de sa dernière correspondance, tout cela donne quand même l’impression d’aller un peu loin. Pire, la distance critique, nécessaire à la rigueur scientifique, semble soudainement abolie. Il eut pourtant pu être intéressant de prolonger jusqu’à cette période la réflexion proposée avant cela sur l’image de la reine; mais en contrepoint de l’image évidemment outrancière, jusqu’à l’absurde, proposée par les caricatures et des pamphlets révolutionnaires, c’est la ‘‘vérité’’ d’un drame que l’on prétend nous montrer, sans le moindre recul. C’est passer sous silence que l’image ‘‘hagiographique’’ de Marie-Antoinette, vierge(-mère) et martyre, est également le résultat d’un travail, effectué dans les milieux contre-révolutionnaires cette fois. Présenter sans la moindre explication à ce sujet un tableau comme l’ahurissant Marie-Antoinette conduite à son exécution de William Hamilton (1794) – qui nous montre une Marie-Antoinette angélique, auréolée (ou quasiment), et rajeunie pour la circonstance, livrée à une foule de parisiennes lubriques déchaînées –, peut être perçu comme pour le moins problématique...

Au final, c’est bien avant tout à un «beau rêve» autour de figure de Marie-Antoinette que convie cette exposition – dont la richesse constitue de toute façon un évènement, quels que soient les reproches qu’on puisse lui faire du point de vue muséologique. De la cour de Vienne, territoire de l’enfance, à la prison de la Tour du Temple, en passant par le Petit Trianon et ses allures de paradis artificiel, le visiteur de l’exposition du Grand Palais se déplace comme parmi autant de restes de splendides décors, au milieu desquels l’actrice principale semble, elle, prisonnières des masques qu’on lui a fait porter, incapable, désormais et à jamais, de les enlever.

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De haut en bas: Joseph Ducreux, Portrait de Marie-Antoinette de Lorraine-Habsbourg, archiduchesse d’Autriche, 1769; Jean-Baptiste Gautier d’Agoty, Marie-Antoinette jouant de la harpe dans sa chambre à Versailles, date inconnue; Elisabeth Vigée-Lebrun, Portrait de la reine Marie-Antoinette en chemise de gaulle et en habit de cour (dit “à la rose”), 1783; Alexandre Kucharski, Marie-Antoinette emprisonnée au Temple, 1792; Jacques-Louis David, Marie-Antoinette conduite au supplice, croquis réalisé sur le passage du convoi, 1793.