2.8.09

Élémentaire mon cher Max Ernst

(Je plaide coupable pour le caractère nullissime de ce titre mais eh, oh, c’est l’été. Et puis vous êtes contents de me revoir, non?)

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Au sortir d’un certain nombre de journées de recherche dans les entrailles de la BnF pour les articles que je devais dois toujours boucler (mais ce sera fait avant que je m’envole pour le Portugal dans quelques jours, de toute façon j’ai pas le choix) – travail qui constitue sans doute la raison la plus avouable de l’apathie de ce blog ces dernières semaines, une autre étant la chaleur lénifiante et... bon je vais pas faire une liste –, j’ai pu, avant de reprendre le train et de laisser la ville-lumière aux touristes estivaux, faire un saut matinal au Musée d’Orsay pour muser devant l’exposition des collages originaux d’Une semaine de bonté de Max Ernst. Et j’en fus fort ravi. D’une part, ça faisait des années que je n’étais plus allé au Musée d’Orsay, alors que je l’aime beaucoup, et pour ce qui y est exposé, et pour le cadre qu’il constitue. D’autre part, parce que l’été est généralement une morte-saison en termes d’expositions à Paris, les musées préférant, je suppose, se reposer sur l’arrivage de toutes façons massif des touristes précédemment cités (j’ai tout juste eu le temps de foncer à l’expo William Blake au Petit Palais quelques jours avant la fermeture lors de mon précédent passage à Paris pour la soutenance de thèse d’une amie), et que donc l’initiative de tenir une exposition du 30 juin au 13 septembre est plutôt une heureuse exception. Et enfin, last but bien évidemment not least, pour le sujet même de cette exposition Max Ernst.

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Quatrième ‘‘roman-collage’’ surréaliste de Ernst après Les Malheurs des Immortelles (1922, en collaboration avec Paul Éluard), La Femme 100 têtes (1929) et Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel (1930), Une semaine de bonté, ou les sept éléments capitaux (1933) est également le plus célèbre. Il se compose, fort logiquement, de sept ‘‘journées’’ réparties, un peu moins logiquement, sur cinq cahiers. La semaine de cinq jours, ce n’est pas surréaliste, c’est juste une question de budget – en l’occurrence la raison financière contraignit Ernst à revoir à la baisse ses projets et à réduire la taille des jeudi, vendredi et samedi pour les caser dans un seul volume, leur donnant du coup, il faut bien le dire, un côté nettement moins convaincant que les précédents ‘‘jours’’ faute de l’ampleur nécessaire à leur développement. Chaque journée est présentée sous le signe d’un élément (la boue, l’eau, le sang, etc., jusqu’à l’«inconnu» du samedi) et d’un «exemple»: «Le Lion de Belfort», «La Cour du dragon», «Œdipe», «L’Île de Pâques», «La Clé des chants», etc. Hors les pages de titre, pas de texte mais des planches constituées à partir de collages d’éléments disparates, très-majoritairement empruntés aux illustrations des romans populaires du XIXe siècle, découpées et ‘‘réarrangées’’, ouvrant à l’imagination les portes de mondes nouveaux, peuplés de créatures étranges, souvent cruelles, parfois troublantes, dans une visée en tout cas bien claire de mise à bas de l’ordonnancement soi-disant ‘‘rationnel’’ de la société ‘‘bourgeoise’’.

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Comme son titre l’indique, lui, très ‘‘rationnellement’’, l’exposition Max Ernst: ‘‘Une semaine de bonté’’. Les collages originaux présente essentiellement, c’est-à-dire à peu près strictement... les collages originaux d’Une semaine de bonté. Soit tout de même 184 planches, réparties dans des salles repeintes au couleur de chaque cahier qu’elles ‘‘reproduisent’’ ainsi. En dehors de ça, en tout et pour tout, une pincée de planches inédites, une demi-poignée de gravures ‘‘sources’’ en regard de leur ‘‘reformulation’’ par Ernst, et une projection vidéo – qui, soit dit en passant, n’est pas la scène du bal du Judex de Georges Franju (1963) à laquelle je m’étais attendu, mais une autre séquence s’inspirant d’Une semaine... de façon encore plus directe, puisque Ernst lui-même y a participé en tant que conseiller et qu’acteur, et que l’on y retrouve presque à l’identique tout le début de «L’eau»: il s’agit de la première séquence d’un film à sketches de 1947 intitulé Rêves à vendre (Dreams that money can buy), supervisé par Hans Richter et auquel ont collaboré, outre Max Ernst, Fernand Léger, Marcel Duchamp, Man Ray, Alexander Calder et, côté musique, John Cage, excusez du peu. Une très belle découverte que je vous invite à faire à votre tour et en intégralité, puisque depuis quelques jours un autre admirateur a posté la chose sur TonTube, c’est par ici (profitez-en avant que ça ne soit retiré).

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Pour en revenir à Une semaine de bonté, cette exposition des collages originaux est (presque) une première puisque une seule autre semblable (mais il manquait quelques planches) a été organisé par le passé, en Espagne en... 1936 – et apparemment pour des raisons essentiellement politiques. La rareté de l’évènement n’est pas à chercher bien loin puisqu’il s’agit de l’opposition que Max Ernst lui-même a toujours manifesté à voir dévoiler au public les originaux de ses collages. Le Musée d’Orsay s’est permis une double transgression puisque non content d’exposer ces originaux, l’édition du catalogue les reproduit en ‘‘couleurs’’, c’est-à-dire en laissant apparaître les disparités des différents papiers utilisés dans une même planche, ce que Ernst tenait précisément à éviter. On peut ajouter encore que cet ‘‘avantage’’ censé justifier le prix proprement prohibitif dudit catalogue – conseil d’ami, pour une version papier préférez l’édition américaine Dover, conforme à la volonté de l’artiste et beaucoup plus abordable financièrement (et, guys, c’est quand vous voulez pour les autres romans-collages de Ernst, devenus, eux, introuvables) –, on peut ajouter, disais-je donc, que cet ‘‘avantage’’ reste d’un intérêt très mineur, le génie combinatoire de Ernst apparaissant nettement plus clairement dans les quelques exemples que proposent l’exposition des matériaux utilisés par l’artiste, permettant de savourer tout son art du détournement. Reste, donc, dans les salles, le sentiment que procure le face à face avec chacune de ces planches, devant lesquelles chacun sera libre de chercher à reconstituer une histoire ou de simplement se laisser porter par les plaisirs esthétiques ou de l’imaginaire... C’est déjà amplement suffisant pour justifier d’aller perdre ses pas à Orsay. Allez-y, et après cela voyez si vous regardez toujours le monde comme avant...


Cadeau bonus : puisque le Musée ne daigne...