7.9.07

L’absence de Pénélope

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Le titre du nouveau film de Claude Chabrol, La fille coupée en deux, pourrait laisser supposer une construction bien symétrique: une femme (tiraillée, déchirée) entre deux hommes. La chose tient non seulement du trompe-l’œil (et Chabrol semble s’en amuser dans l’énigmatique séquence finale du film), mais aussi, on en jurerait à voir cette configuration s’afficher sur un écran de télévision – institution que le réalisateur ne cesse de railler dans le film, y dénonçant inepties (l’interview de l’écrivain dont on n’a pas lu le livre) et vulgarité (le présentateur de JT ne reculant pas devant un jeu de mot alors qu’il commente un drame) –, d’une ficelle scénaristique facile, dénoncée comme bonne pour les téléfilms à destination de la ménagère de plus de 50 ans. Au lieu de quoi, le réalisateur nous entraîne en terrain perpétuellement mouvant, la façon dont il développe les relations entre ses personnages étant à l’image du labyrinthe des passions dans lequel il s’agit ici de se glisser.

Soit, donc, trois personnages. Charles Saint-Denis, écrivain à succès qui vit à l’écart du ‘‘monde’’ parisien, dans la campagne lyonnaise, où il cultive, plus «marquis de Sade» que «marquis de Carabas» comme le lui fait remarquer son éditrice, une vie de plaisirs feutrés et pas tous avouables; Gabrielle Deneige, jeune et blonde présentatrice météo sur une chaîne locale, à qui tout le monde promet l’imminence d’un plus brillant avenir dans la profession; et Paul Gaudens, jet-setter décadent, héritier désaxé d’un empire pharmaceutique. Courtisée par ce dernier, qui n’a pas l’habitude qu’on lui refuse quoi que ce soit, Gabrielle lui préfère les bras de l’écrivain hédoniste qui, profitant d’une absence de sa femme, l’attire dans son univers de petites perversions avant de rompre brutalement pour préserver son propre confort. Brisée, Gabrielle finit par accepter le soutien et la sollicitude de Paul, qui affirme ne plus rien vouloir d’autre que son amitié; toutefois, celui-ci se montre de plus en plus jaloux des expériences de la jeune femme avec son ‘‘rival’’...

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On peut vraisemblablement attribuer à Chabrol la pensée qu’il fait émettre à l’un de ses personnages: si notre époque se complait à afficher partout des bouts de corps dénudés (des affiches publicitaires à l’accessibilité de la pornographie), elle est aussi, derrière ce paravent, celle d’un retour au puritanisme. Tout se passe comme si le réalisateur avait décidé de prendre le contre-pied de cette tendance: sans jamais rien dévoiler à l’écran au-dessous de la ligne des épaules, La fille coupée en deux est un film hautement pervers. Non seulement par sa manière de confier aux ressources les plus tordues de l’imagination du spectateur la teneur de certains évènements invisibles (que se passe-t-il réellement en haut des escaliers du ‘‘club de gentlemen’’ où Charles entraîne Gabrielle pour une «surprise» d’anniversaire dont la perspective semble émoustiller toute l’assemblée?). Non seulement par les clins d’œil que Chabrol s’amuse, ça et là, à adresser à un public ‘’averti’’, happy few à même de décoder certaines allusions (Gabrielle réclamant un baiser à Charles après avoir reposé sur la table de sa garçonnière le Manuel de civilité pour les petites filles de Louÿs!). Mais, au-delà de ça, parce que l’histoire contée – inspirée d’un fait divers vieux d’un siècle – nous plonge dans les eaux les moins reluisantes de la psyché humaine: recherche égoïste du plaisir, jeu cynique avec les sentiments, désir de possession, jalousie... Un cocktail destructeur.

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Chabrol, ici, est servi dans son entreprise par un excellent casting – dans les trois rôles principaux (François Berléand, magnifique comme souvent, Ludivine Sagnier, à la fois lumineuse et discrètement fêlée, Benoît Magimel, qui arrive à donner corps à son improbable personnage) mais aussi dans les rôles secondaires, souvent remarquables (Mathilda May, Marie Brunet, Caroline Sihol...). Mais il est encore son meilleur serviteur: son savoir-faire et son talent de metteur en scène font ici merveille. Il n’y a qu’à voir, pour s’en convaincre, comment la simple reprise d’un cadrage fait ressortir, ressentir, immédiatement, toute la cruauté cachée derrière l’idée du voyage à Lisbonne, ou comment il rend (littéralement, ou plutôt visuellement) l’idée d’un mariage comme d’une plongée dans les ténèbres. S’il en était besoin, le réalisateur prouve, avec cette fable cruelle sur l’ambivalence des êtres, qu’il fait – toujours – partie des ‘‘grands’’ avec qui, et sur qui, le cinéma français doit compter.