27.9.07

Connards

Désolé pour cette entrée en matière peu élégante, mais j’avais envie de déverser un peu ma bile. Oh je ne m’exprimerais pas sur des sujets de société, de politique nationale ou internationale (même si je n’en pense pas moins), non non, c’est bien plus local, mesquin presque, ça n’intéressera pas forcément grand-monde. Mais la coupe est pleine, et alors que je comptais la vider sur la tête du premier employé de la Bibliothèque Universitaire que je rencontrerais, il s’est hélas trouvé que l’employé fut une employée, malingre bout de femme à l’aspect prématurément vieilli, parlant d’une toute petite voix saturée d’un accent d’Europe de l’Est un français plus ou moins hésitant. Les glandus du cirque pour clowns neurasthéniques qui nous sert de B.U. m’avaient mis assez en rogne pour que je renonce (et ceux qui me connaissent savent que ça arrive rarement) à mes principes de restons-courtois-et-calme et gardons-de-bonnes-relations-avec-tout-le-monde, pas assez toutefois pour que j’aille jusqu’à éclater devant une petit vieille femme (fille?) au français approximatif, et à la traiter de connasse. Même quand elle m’explique que sur le principe j’ai raison, mais que mon cas est une exception à ce principe, et que donc sur le principe j’ai tort. Je le sais depuis longtemps: il y a des moments où avoir reçu une bonne éducation a des conséquences pénibles. Alors, puisqu’il faut bien évacuer la frustration, voilà, ça tombe ici, sur vous. Pas de bol.

Je n’arrête pas de le dire, je me plais beaucoup dans ma fac. Bien sûr, il y a des bons profs et des... moins bons, voire quelques cas particulièrement gratinés, mais c’est potentiellement plus ou moins le lot de tout établissement scolaire, de l’école primaire à l’université. Bien sûr, l’administration est un foutoir sans nom, mais j’ai l’impression que c’est là aussi le cas de toutes les facs françaises (et sans doute pas que), il semble même qu’il y aurait pire ailleurs... Bien sûr les bâtiments offrent l’aspect d’un quartier de Sarajevo après bombardement, et depuis l’occupation par le mouvement anti-CPE les ruines ont de plus subi l’invasion des hordes de zoneurs-tagueurs. Et puis il y a le point noir: la B.U., qui est, disons-le, globalement le repaire d’une bande de larves qui prennent les étudiants pour des cons. À moins que ce soit simplement qu’ils n’imaginent pas qu’il y ait sur la même planète qu’eux des gens qui ont vraiment envie de bosser un minimum.

J’ai été rapidement fixé les concernant. C’était en première année, un matin d’automne. À plusieurs reprises les semaines précédentes des mouvements de grève avait provoqué la fermeture du lieu. Il y avait eu, je crois, un mouvement général à toutes les branches de l’enseignement, et peu après un mouvement qui concernait les personnels de bibliothèque. Ce matin-là, faute d’une meilleure raison pour ne pas en foutre une rame, le personnel, m’informait un panneau devant la porte, était en grève par solidarité avec les conducteurs de tramway parisiens. Ce matin-là, dans le froid et la faible lumière du petit jour, j’ai compris à qui j’avais affaire. Et autant vous dire qu’il y a deux ans de ça, à l’époque où j’avais passé un entretien pour un stage dans les locaux, j’avais eu du mal à me retenir de ricaner quand le responsable, après m’avoir demandé si j’étais prêt le cas échéant à déplacer des meubles (sic), m’avait expliqué qu’ici ils voulaient des gens sérieux qui bossent dur. Qui bossent à la place des employés à plein temps, fallait-il peut-être comprendre...

J’ai déjà évoqué en ces pages le système qui prévaut à la B.U. pour emprunter des livres. La seule chose qui a changé depuis, c’est que j’ai eu confirmation de ce que je soupçonnais obscurément ces derniers temps: la panne du monte-charge n’est plus qu’une excuse, depuis deux ans il a été largement réparé, mais maintenant qu’on a pris l’habitude de ne pas en foutre une rame, pourquoi changer? Et si cela fait de la Bibliothèque universitaire de l’Université de Provence l’un des pires services en la matière parmi toutes les universités françaises, ça ne les concerne pas, puisque ça ne les empêche pas de toucher un chèque à la fin du mois.

Donc à la sortie d’un cours, à midi, profitant de l’heure qui m’est allouée pour me sustenter, je choisis de commencer par passer à la B.U. demander des livres en magasin, sachant pertinemment qu’il faudrait plusieurs heures pour les obtenir. Au guichet, je tombe sur un bonhomme... Comment dire sans risquer d’être passible d’une plainte pour diffamation? un bonhomme qui est considéré comme un sale con, aussi bien par moi que par tous les étudiants avec qui j’ai pu discuter sur ce sujet. Le bonhomme donc, trouve malin de me signaler sur un ton badin: «Vous savez, vous feriez mieux de venir un peu avant midi, parce que là, vous n’aurez pas vos livres avant 14h.» Ce à quoi je réponds d’une voix bizarrement soudain mêlée d’un soupçon d’énervement: «Avant midi, j’étais en cours.» Après m’avoir répondu évasivement et sur le même ton ‘‘plaisant’’ que c’était juste un conseil qu’il me donnait, le bonhomme scanne le code barre de ma carte d’étudiant et m’informe brusquement: «Vous savez que vous êtes interdit d’emprunt de livre jusqu’au 15 octobre...»

Je tique légèrement.

Et j’explique. Pour les retards des livres empruntés, la B.U. fonctionne selon un système simple: autant de jours de retard, autant de jours sans pouvoir emprunter à nouveau. Jusque là, rien à dire. Maintenant entrons un autre élément dans l’équation. Au mois d’août, ladite B.U. ferme ses portes. Le truc, c’est que comme les jours – week-ends, fermetures de vacances – où la B.U. n’est pas ouverte ne comptent, logiquement, pas dans le décompte, un bon plan si l’on a besoin de travailler pendant sur un livre est de l’emprunter avant la fermeture aoutienne pour le rendre à la rentrée. On peut ainsi le garder tout un mois, voire plus si l’on a pris soin d’emprunter le livre à l’avance et de renouveler les deux semaines de près. C’est donc ce que j’avais fait cet été, puisque besoin en avais-je, sauf que j’ai laissé passer le jour du renouvellement, qui tombait une semaine avant la fermeture de la bibliothèque. Ce n’est pas bien, je sais. Mais pas d’une gravité extrême a priori: en rendant le livre dès la rentrée, j’aurais, techniquement, moins d’une semaine de retard...

Bon les choses se sont un peu compliquées car à la rentrée, la nouvelle de la réouverture de la bibliothèque sur le site Internet idoine, tout comme d’ailleurs le panneau à l’entrée du bâtiment, avai(en)t ‘‘juste’’ omis de préciser que les horaires – restreints de plusieurs heures – du mois de juillet avaient été prolongés jusqu’en septembre, et je me suis donc retrouvé devant une bibliothèque fermée. Ce qui a retardé encore un peu le retour du livre incriminé. Mais bon, en additionnant les jours (ouvrés), ça faisait une semaine et demie de retard: gênant certes, regrettable peut-être, mais ça pouvait être pire.

Justement, ça pouvait. Le bonhomme m’annonce que le mois d’août est comptabilisé dans le retard. Au vu de la queue des gens attendant pour accéder au guichet, et comme je sens que je vais m’énerver, je préfère couper court à la conversation et aller manger, en me disant que quand je repasserais après mes cours récupérer les livres, il serait alors temps de m’expliquer, de façon plus ou moins courtoise selon les circonstances, avec une personne moins c..... que mon interlocuteur.

La suite vous la connaissez. À 17h, je reviens à la B.U., je tombe sur madame qui-vous-savez. Non, me dit-elle, ce n’est pas une erreur informatique. Je lui fais remarquer que quand on emprunte un livre ‘‘par-dessus’’ le mois d’août, celui-ci ne compte pas – elle acquiesce. Sauf, me dit-elle, que si le livre n’est pas rendu avant le mois d’août, alors ça compte. Je lui demande si quand on rend un livre le lundi au lieu du vendredi, le week-end est compté dans le retard – non, me répond-elle, on ne compte pas les jours où la bibliothèque n’est pas ouverte. Sauf au mois d’août. C’est écrit quelque part dans le règlement, et si je veux demander des explications plus précises il y a là-bas une personne... Non, je ne veux pas d’explications plus détaillées. Je renonce à argumenter plus avant et prend les livres pour au moins les consulter sur place. Ce que je voudrais, c’est ne pas me retrouver interdit d’emprunt à la bibliothèque universitaire pendant les trois premières semaines d’une année de préparation à l’agrégation, et ce presque un mois après avoir rendu un livre dont le retard, certes fautif, ne devait cependant pas, en toute logique, me causer de problème au-delà d’une semaine et demi.

Mais à la Bibliothèque Universitaire de la faculté de lettres et sciences humaines d’Aix-en-Provence, on n’est pas là pour aider les étudiants. Déjà qu’une fois par heure on est obligé d’arrêter de glandouiller et de se lever de sa chaise pour aller vider le monte-charge...

(Et encore, même pour ça, il arrive qu’il faille insister.)