12.3.07

Sexe, lutte des classes et autres complications

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Une nuit de la Saint-Jean, mademoiselle Julie, fille de comte, restée seule au domaine, danse avec les domestiques au mépris de toutes les conventions. Ses fiançailles ont été rompues récemment, le promis n’appréciant pas d’être traité à coups de cravache. Dans la cuisine, Julie "allume" outrageusement monsieur Jean, un serviteur, usant de sa supériorité sociale pour jouer avec lui. Mais le jeu est dangereux et, inévitablement, bascule… La faute commise, la jeune aristocrate "déshonorée" veut du moins à se rattacher à la perspective d’une belle histoire d’amour; mais si Julie s’est essayée à «tomber», Jean lui rêve surtout d’ascension sociale. Lorsqu’il s’avère que Julie ne possède rien en propre, ses projets s’écroulent. Le rapport de force s’inverse, la cruauté reste…

La cruauté, c’est bien ce qui caractérise cette pièce, où les métaphores romantiques (comme l’arbre que Jean rêve, la nuit, d’escalader pour en atteindre la cime) se retournent en répliques assassines («Je devais être la première branche?» – «Elle était pourrie.»), où les rêveries éthérées ne sont que le masque bientôt avoué de pensées salaces, et surtout où chaque personne se trouvant investie d’un pouvoir sur une autre en profite aussitôt pour affirmer sa domination. C’est le cas de Julie au début de la pièce, de Jean par la suite, de Christine enfin, la bonne, fiancée plus ou moins à Jean, qui resurgit in extremis pour se dresser du haut de toute sa supériorité morale, précipitant la fin sanglante de cette «tragédie naturaliste en cuisine», ainsi que la qualifiait son auteur.

Son auteur, c’est August Strindberg, période réaliste (avant la plongée dans la névrose, et l’évolution vers le symbolisme et le mysticisme). La pièce, c’est donc Mademoiselle Julie (1888), et la mise en scène, créée à Paris l’an dernier et actuellement en tournée française, est signée Didier Long. Sur scène, des acteurs qui ne sont pas forcément des habitués des planches, mais plutôt des petit et grand écrans. Par ordre d’apparition : Christina Citti (Christine), parfaite de rigorisme, Bruno Wolkowitch (Jean), qui ne démérite pas, et enfin, dans le rôle-titre, Emilie Dequenne. L’actrice a l’âge du rôle, ce qui n’est pas chose courante. On ne saurait affirmer que son jeu est parfait, mais la volonté de se confronter à un tel personnage pour sa première expérience théâtrale force à elle seule à un certain respect; par ailleurs, le principal défaut reste un côté souvent par trop "mécanique" dans les changements d’intonations (incessants dans la pièce), mais on peut se demander si la responsabilité n’en revient pas au metteur au scène, et l’énergie déployée par la demoiselle dans son interprétation incandescente le fait, de toutes façons, bien souvent oublier.

Au final, une belle occasion de découvrir ou redécouvrir cette pièce, huis clos grinçant où les données de la société moderne transforment le marivaudage en fait divers tragique.