16.1.07

La tête dans les nuages de Magellan

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À parcourir les critiques de professionnels ou d’amateurs consacrées au troisième film de Darren Aronofsky, The Fountain, on a l’impression que ce film ne tolérerait guère que deux attitudes face à lui: il y a les spectateurs brisés par l’émotion qui quittent la salle les larmes aux yeux en criant au chef-d’œuvre, et les réfractaires hargneux qui parlent (au choix, et l’un n’excluant pas l’autre) d’arnaque, de pompiérisme, de ratage décevant pour les plus mesurés. En ce qui me concerne, je serais d’avis que le film ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité, mais je dois reconnaître dans le même temps que je serais bien en peine de vous expliquer ce qui, précisément, fait que la mayonnaise (pour moi en tout cas) ne prend pas tout à fait.

Pas des plus aisément résumables, l’histoire de The Fountain prend place sur trois ‘‘époques’’. Il y a, d’une part, notre début de XXIe siècle: Tom Creo, scientifique, lutte pour trouver un remède contre le cancer qui tue lentement son épouse, Izzy, atteinte d’une tumeur au cerveau. Celle-ci écrit un roman (justement intitulé The Fountain) qui décrit le périple d’un conquistador espagnol du XVIe siècle, Tomas, envoyé par la reine Isabelle en Amérique du Sud à la recherche de la Fontaine de Jouvence, qui prend ici l’apparence d’un arbre, plus précisément l’Arbre de vie d’un mythe maya (à moins que ça ne soit celui de la Genèse, ou les deux à la fois); c’est la deuxième ‘‘époque’’ du récit. Enfin et en parallèle, nous retrouvons Tom en cosmonaute d’un genre un peu particulier, adepte du yoga (option lévitation) plutôt que la combinaison spatiale, à une troisième époque que l’on est invité – plus par des soucis de symétrie que par des éléments concrets – à situer du côté du XXVIe siècle, traversant l’espace dans une bulle qui abrite également un arbre agonisant (sa femme), en direction de Shibalba, l’étoile ou plus précisément la nébuleuse dans laquelle les mythes mayas situent la destination des âmes en attente de résurrection.

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Paradoxalement, l’une des plus grandes réussites du film repose dans la partie contemporaine de l’histoire. Aronofsky fait preuve d’une certaine délicatesse en la matière et évite les pièges du mélodrame. Certaines scènes (comme par exemple celle de la baignoire) sont ainsi véritablement émouvantes sans que l’on ait l’impression que l’on cherche à nous extirper des larmes à tout prix à grand renfort de pathos. Le retour de bâton, c’est qu’on a un peu tendance à se demander si le gars Darren avait besoin de s’embarrasser d’une intrigue courant sur un millénaire et de se lester de tout un discours ‘‘métaphysique’’ dont le syncrétisme vire parfois au gloubli-boulga un tantinet indigeste – ‘‘bien’’, si j’ose dire, symbolisé par ce personnage de franciscain spécialiste de la mythologie maya… Les courts plans récurrents d’Izzy courant, rayonnante et inaccessible, devant Tommy (caméra subjective), semblent parfois plus éloquents que d’autres séquences plus ‘‘ambitieuses’’ du film. Argument à charge, la partie sensée se situer à l’orée du Siècle d’Or espagnol pèche férocement et plombe le sérieux dont le film aimerait se parer: même en admettant qu’il ne s’agit pas d’une reconstitution historisante mais de la mise en images du roman qu’écrit Izzy, on a du mal à avaler la pilule d’une Espagne mise ainsi sous perfusion comics (ennemi de la reine qui cherche l’immortalité sur cette terre, le méchant Grand Inquisiteur torture et exécute à tout va tous les nobles pour s’approprier leurs terres et faire ainsi main basse sur le royaume).

Mais un film est ce qu’il est et il faut bien admettre le choix qui est après tout à l’origine du scénario. Darren Aronofsky, du reste, semble assez clairement dans ce film regretter les limites de notre époque, qui doit à son sens manquer singulièrement de grandeur. – Ainsi, l’écorce de l’Arbre de vie se retrouve sous éprouvette, et sobrement qualifiée d’«échantillon ethnobiologique en provenance du Guatemala» par le Tom qui s’en sert dans ses recherches scientifiques! – Admettons donc la nécessité, dans la logique du film, de se confronter à une quête initiatrice, millénaire et interstellaire, pour parvenir à trouver le sens de la vie (et de la mort).

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Le propos du film est beau: à l’opposée d’Izzy qui accepte sereinement son destin, Thomas prétend pouvoir lutter contre la mort – qui ne serait qu’une maladie comme les autres: propos frankensteinien –, se lançant ainsi dans une quête nécessairement vouée à l’échec, jusqu’à ce qu’il comprenne et admette enfin que ce n’est que par-delà la mort qu’il pourra espérer revivre avec son amour. La mort comme préalable nécessaire à toute résurrection, au-delà de la simple logique on retrouve là un élément commun à toutes les cultures initiatiques; il est juste peut-être un peu dommage (mais ne réalise pas 2001… qui veut) qu’Aronofsky l’assène de façon aussi démonstrative. Par ailleurs, plus judicieux sans doute que le couple Brad Pitt / Cate Blanchett initialement prévu, le casting finalement retenu se révèle un excellent choix. Aronofsky magnifie à l’écran sa compagne Rachel Weisz, tandis que le polyvalent Hugh Jackman se révèle absolument parfait, particulièrement dans la section ‘‘contemporaine’’ de son rôle certes mais aussi dans la partie plus ‘‘futuristico-mystique’’ du film (et pourtant rester crédible le crâne rasé, en pyjama, et en suspension dans les airs dans la position du lotus, ça n’était pas gagné d’avance vous en conviendrez!). Quant à la mise en scène proprement dite, ses jeux de lumières tout en dorures sont du plus bel effet, le résultat à l’écran est une esthétique de très belle facture. Cadeau bonus enfin, la musique, omniprésente, signée Clint Mansell et interprétée par le Kronos Quartet et le groupe post-rock Mogwai, est superbe et achève de conférer au film sa dimension élégiaque. Alors?...

Entre autres raisons parce qu’il s’agit d’un projet ambitieux, parce que son auteur l’a porté à bout de bras pendant six ans avant de parvenir à le réaliser, parce que le départ de Pitt et Blanchett a entraîné une réduction de plus de la moitié du budget prévu, on a envie d’aimer ce film qui, hélas, peine à parvenir à la mesure de ses ambitions. Au sortir de la salle de projection, on a de magnifiques images pleins les yeux et la tête, et l’impression d’avoir assisté à une belle méditation sur le deuil, mais pourtant comme un goût d’inachevé, l’impression qu’un quelque chose indéfinissable manque ou n’a pas été mené à terme. Comme si en réalisant
The Fountain, Darren Aronofsky s’était lui-même placé dans la situation de ses héros, s’était lancé dans une quête destinée à échouer au dernier moment (mais qui sait, peut-être quaprès?...). Les années à venir, apportant recul et postérité, nous dirons peut-être si il s’agit d’un ‘‘grand film malade’’, selon la définition de Truffaut, ou simplement d’un coup d’épée dans l’eau.

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