30.7.07

Elle et lui

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Ça devait arriver (ils en parlaient déjà au bout de quelques semaines de relation), ils l’ont fait!

Mademoiselle Audrey et Monsieur Jean-Marie se sont dit «oui» ce 28 juillet à 15h30 à l’Hôtel de Ville d’Arles.

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Parmi les invités j’ai bien sûr retrouvé un certain nombre de personnes ...

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… celles qui ont pris leur place dans mon quotidien cette année ...

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... celles que je n’ai que trop rarement l’occasion de voir ...

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... et Sophie ivre... de fatigue, partie de Londres par l’Eurostar de 6h du matin... mais là je vais autocensurer la photo par crainte des représailles!...

Les festivités se sont poursuivies dans un mas très agréable...

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Il y a eu …

... du kir à la violette ...

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... un cours de salsa …

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... une imitation de Claude François …

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... des scènes éclairées à la bougie façon Barry Lyndon ...

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... un quizz dans lequel toutes les questions (qui a fait le premier pas? qui a le premier parlé mariage? qui fait le plus souvent la cuisine? la vaisselle? le ménage?...) semblaient bizarrement appeler toujours la même réponse ...

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... des initiatives originales, comme celle de faire noter à tous les invités un mot sur un petit carré de papier, servant à emballer un morceau de sucre, afin que les mariés aient de nouveaux messages à découvrir tous les jours pendant quelques mois...

… et puis encore de la danse!

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... une pièce montée (normal) ...

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... des buffets, une fontaine de champagne rosé aux framboises ma foi fort sympathique ...

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… et surtout, surtout, par-dessus tous les souvenirs que je conserverais de ce mariage, il y aura celui d’Audrey et Jean-Marie, rayonnants de bonheur sans interruption de 15h à 3h du matin...

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Post-scriptum fourbe: ah, tout de même, encore une chose: Marie m’en aurait sans doute voulu de ne pas mettre en ligne... ‘‘la photo qui tue’’...

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:-D

26.7.07

Prière à Notre-Dame du Vide

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Les adultes le déconcertent. Il ne comprend ni leurs soucis ni leurs joies, et moins encore les propos bizarres qu’ils tiennent parfois. Il leur arrive de brailler, de gaîté ou de colère; quand il entend ces rires trop forts, brutaux, ou ces cris courroucés, il se replie sur lui-même. Il est à l’excès sensible aux voix, à leur grain, à leur timbre, à leur volume. Sa propre voix sonne quelquefois drôlement, comme si sa gorge était restée écorchée par les râles et les pleurs qui l’ont secoué pendant sa maladie quand la fièvre le violentait trop durement.
Ses parents, il les aime de tout son cœur, mais eux aussi il les observe avec perplexité du fond de sa solitude d’enfant unique, surtout son père, qui l’intimide et auquel il n’ose jamais poser de questions.
Clemens Dunkeltal est médecin, mais il n’a pas de clientèle privée et ne travaille pas dans un hôpital. L’endroit où il exerce son métier se situe non loin du village, mais Franz-Georg n’y est jamais allé. À son allure majestueuse, à son air grave, le docteur Dunkeltal doit être un homme important – un magicien de la santé. Il reçoit des patients par milliers, dans son vaste asile de la lande, et tous souffrent certainement de maladies contagieuses puisqu’ils n’ont pas le droit de sortir. Franz-Georg se demande d’où peuvent bien venir ces foules de malades – de toute l’Europe, a dit un jour sa mère, avec une imperceptible moue d’orgueil et de dégoût confondus. L’enfant a cherché dans un atlas et est resté pantois – l’Europe est tellement vaste, les peuples si nombreux.


Le regard d’un enfant, à travers lequel le lecteur comprend peu à peu, en frémissant, la situation. C’est sur ce regard que s’ouvre, ou presque, Magnus, le dernier roman en date de Sylvie Germain, publié en 2005 chez Albin Michel, et qui vient tout juste d’être réédité en «Folio» chez Gallimard.

Actuellement, si vous aimez bien un musicien ou un groupe, vous n’avez pas à attendre que leur dernier album, sorti d’abord, disons, en vinyle, fasse l’objet ensuite d’une réédition plus économique en cd. Mais en littérature les choses ne marchent pas comme cela, en tout cas pas en France. Il en résulte que, si vous ‘‘consommez’’ quasi exclusivement du livre au format poche – pour des raisons financières, parce que ça prend moins de place dans votre bibliothèque (qui déborde déjà de partout), pour les deux raisons à la fois ou pour d’autres –, suivre la production d’un auteur contemporain qui vous tient particulièrement à cœur est un exercice de patience pouvant mener à de grandes frustrations, étant donné les mois voire les années qui séparent la première parution du livre de sa ressortie en ‘‘poche’’. – Ainsi, après avoir attendu les rééditions en poche de La tâche et de La bête qui meurt, j’attends avec toujours autant d’impatience celle du dernier Philip Roth, Le complot contre l’Amérique, par exemple. – La bonne nouvelle en revanche (en ce qui me concerne), c’est la sortie sous ce format de Magnus, et le fait que, joie, c’est à un moment où je peux me permettre quelques lectures en dehors des obligations des programmes d’agrégation.

Ces considérations annexes étant posées, venons-en sans perdre plus de temps au vif du sujet, car Magnus n’est pas de ces textes autour desquels on peut folâtrer, badiner, il impose d’aller à l’essentiel. Disons-le tout de suite, Sylvie Germain est très probablement l’écrivain français en activité à qui va ma préférence, que je place fort haut au-dessus de tous ceux que je connais. – Mon principal regret la concernant est que, l’ayant découvert somme toute récemment, je n’ai pu encore explorer son œuvre autant que je le voudrais. Quoi qu’il en soit, une fois de plus, j’ai été littéralement ‘‘happé’’ par la lecture de ce roman que je n’ai lâché que quand je ne pouvais pas faire autrement.

Maintenant, si je dois aller à l’essentiel en parlant non plus de l’auteur(e?), mais du roman proprement dit, je me trouve confronté à un grave problème. Car celui-ci – et c’est déjà trop en dire, peut-être, que de le signaler – est bâti de telle sorte sur un certain nombre de révélations et de retournements (que je veux autant que possible éviter de dévoiler ici) qu’en proposer un résumé est une tâche tout à fait malaisée. Un peu à la manière de May tendant spontanément à cet inconnu rencontré à Veracruz Pedro Páramo de Juan Rulfo, qui bouleversera sa vie, sans rien pouvoir en dire (quoique pour d’autres raisons), Magnus est un livre que l’on a envie de partager immédiatement avec ceux qui nous sont chers, simplement en le leur tendant. Avec la seule crainte que cette lecture ne les touche pas autant que vous.

Quelque part à la croisée du conte et de la fresque historique, du thriller et du roman d’apprentissage, Magnus est le récit de l’impossible quête d’identité d’un «homme à la mémoire lacunaire, longtemps plombée de mensonges puis gauchie par le temps, hantée d’incertitudes», de la vie d’un être que les évènements – grandes tragédies collectives, révélation soudaine, responsabilité propre – obligent sans cesse à repartir d’un nouvel «instant zéro». En perpétuelle errance (à travers l’Allemagne, l’Angleterre, le Mexique, les Etats-Unis, l’Autriche, la France, à travers des langues et des cultures différentes), tour à tour fuyard et poursuivant, changeant à plusieurs reprises de nom, contraint à de perpétuelles renaissances tel un phénix, un homme se débat à la recherche de la vérité de son être. Seul fil conducteur de ce parcours, un vieil ours en peluche à l’oreille roussie, accompagné d’un foulard brodé déclinant les lettres d’un nom: Magnus.

Reconstituant petit à petit le «puzzle familial qui ressemble plus à un tableau d’Otto Dix, de Georg Grosz ou d’Edvard Munch qu’à la peinture romantique que lui présentait sa mère», l’enfant devenu adolescent refuse le monstrueux héritage de ces notables nazis qui l’ont élevé, mais ignore encore de nombreux éléments de ce passé: une mystérieuse amnésie occulte tous les souvenirs de sa prime jeunesse. Les années passent, tandis qu’autour de lui Sylvie Germain dessine quelques très beaux personnages, rencontres, amis, amantes, chargés de l’accompagner dans sa recherche de vérité et de paix (Lothar, pasteur émigré taraudé jusqu’à sa mort par des questions morales et théologiques, May, femme libre et passionnée dans l’Amérique des années 60, Terence, Peggy, le frère Jean...), mais aussi des figures noires, à commencer par celle de Clemens Dunkeltal, «salaud d’extrême ampleur qui n’en appartient pas moins à la commune humanité».

Aux «fragments» qui narrent petit à petit le parcours tortueux de Franz-Georg/Adam/Magnus/... s’ajoutent «notules» – dont la charge est souvent de dire sèchement la réalité des faits que le héros ne fait qu’entrevoir –, «séquences» – qui à l’inverse enrichissent le factuel d’appels à des intertextes poétiques ou méditatifs, de Shakespeare à Paul Celan –, et autres «résonances», soit «une polyphonie de souffles» pour autant de contributions complémentaires à la tentative (nécessairement vaine pourtant) de restituer la vérité d’un homme, du monde, du déroulement de l’Histoire. L’écriture singulière de Sylvie Germain, quant à elle, déroule cette petite musique qui lui appartient en propre, alliance de grande simplicité et d’intensité poétique, avec laquelle elle aborde des thèmes tels que l’identité, la rédemption, les relations humaines, l’apparente absence de sens de l’existence (aussi le propos du roman n’est-il pas réductible à un «Connais-toi toi-même»), la question du Mal, le silence de Dieu.

L’obtention, pour Magnus justement, du Prix Goncourt des lycéens 2005 semble avoir contribué à donner à Sylvie Germain plus de visibilité que de coutume. Puisse celle-ci contribuer à faire découvrir autant que possible une œuvre encore largement méconnue du grand public, peu médiatique et peu médiatisée, qui n’en est pas moins, par l’originalité et la qualité de son style comme par l’ampleur des thématiques qu’elle aborde, l’une des plus intéressantes de la littérature française actuelle.


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Sylvie Germain, Magnus (2005): Gallimard, «folio», 2007. Illustration: Andrew Wyeth, Winter 1946 (1946).

25.7.07

Proclamation

Ce matin, pour des raisons tout aussi mystérieuses que celles qui avaient entouré son plantage, ma Freebox s’est remise à fonctionner. Je suis donc de retour sur le net!! Et ça fait du bien.

Bon, par contre, pour la perte de mes lunettes, pas de miracle, je suis bon pour aller m’en commander d’autres cet après-midi. On ne peut pas tout avoir.

P.S.: la vache, 106 mails après cinq jours de coupure, quand même...



EDIT: Bon, alors, suite de la journée... Au moment de partir chez mon ophtalmo où récupérer un double de l’ordonnance pour me faire de nouvelles lunettes, je plonge la main dans ma sacoche aixoise pour y prendre mes papiers et en ressort… mon étui à lunettes. J’aimerais comprendre comment des lunettes que je suis a priori sûr d’avoir porté dimanche matin à l’église ont pu se retrouver dans une sacoche que j’aurais a priori juré ne pas avoir ouverte depuis samedi, sauf peut-être pour y chercher lesdites lunettes que je n’y ai pas trouvées à ce moment-là. La pensée des cris de protestation de Sophie (fût-elle absente) m’empêchant de me taper la tête contre les murs, je n’en décide pas moins d’aller récupérer le susmentionné duplicata, qui peut toujours servir, et d’ailleurs pas plus tard que dans pas longtemps, vu l’état de mes verres, ça ne sera pas forcément du luxe que de les changer. Toutefois, sur le chemin – que je fais tout guilleret d’avoir retrouvé, dans ces étranges conditions, le net et mes lunettes, c’est la Saint Antoine de Padoue aujourd’hui ou quoi? –, je fais un crochet par la pompe à essence histoire d’y alimenter mon réservoir presque vide en prévision de la montée sur Arles ce week-end. Je fais le plein (à ras bord, pour une fois), vais payer, passe un peu plus de temps que d’habitude pour cela puisque justement je raconte mes aventures à ma pompiste… le temps qu’il faut pour qu’à ma ressortie de la boutique, quelqu’un m’informe du bizarre LAC de gasoil en train de se former sous ma voiture… La durite alimentant le réservoir était percée… Y a des jours comme ça...

23.7.07

Amenez des pelles et des pioches!

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Un an et demi après la pendaison de crémaillère d’Audrey et Jean-Marie, une nouvelle mise à mort fut l’occasion d’une réunion ce samedi sur Aix: il s’agissait cette fois de l’enterrement de vie de jeune fille d’Audrey, une semaine avant son mariage à Arles.

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Plutôt que de donner dans les ridiculeries habituelles au genre (perruque rose et vente de papier-toilette dans les rues...), il avait été décidé de ‘‘cibler’’ le déroulement des festivités en jouant notamment sur certains centres d’intérêt bien connus de notre condisciple (niark niark...). La connaissant depuis quelques années de plus qu’Emmanuelle, qui était chargée de superviser la partie centrale de la journée, j’ai proposé d’apporter mon aide à l’organisation de la chose... et j’ai finalement été prévenu la veille par Emmanuelle qu’en dépit de mon appartenance au genre masculin, j’étais convié à rester auprès du reste du groupe au-delà de ce qui devait se limiter à une courte apparition-surprise de ma part.

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Après avoir commencé l’après-midi au hammam, ces demoiselles ont entouré l’héroïne du jour dans un jeu de piste à travers Aix, durant lequel – à l’aide, entre autres, de vers pseudo-seiziémistes en ‘‘moyen français macaronique’’ concoctés par votre serviteur, de prophétie merlinienne farfelue (librement inspirée de la fin du paragraphe 306 de la Suite du Roman de Merlin, pour les connaisseurs), d’un anagramme parfaitement obscène mitonné par Amandine, la disciple la plus accomplie sur ce point de Monsieur B*** («Avec ‘Vers le Théâtre du Jeu de Paume’ on peut obtenir Médée hâte le pauvre jus du rut??»), ou encore de la lecture d’un passage de l’Itinéraire de Chateaubriand –

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… Audrey était invitée à trouver son chemin d’étape en étape, de l’église de la Madeleine, lieu du premier rendez-vous des futurs époux, à l’ancienne maison close d’Aix, reconvertie en Musée d’Histoire Naturelle mais qui arbore toujours à ses fenêtres des décorations qu’on n’osera même pas qualifier de ‘‘suggestives’’…

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… puis de là jusqu’à un bouquiniste (où j’attendais en embuscade), devant le théâtre du Jeu de Paume, occasion d’une déclamation publique de Marivaux, et enfin dans un snack où, après un dernier quizz à base de Plus belle la vie, Les experts et Kaamelott («Qu’est-ce qui est petit et marron?...»), et après avoir fait un brin de plonge

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[Audrey qui fait la vaisselle (et presque sans se forcer à sourire), c’est JM qui va être content!!]

... elle s’est vu remettre l’invitation, promise en prélude au jeu de piste, à la découverte d’une nouvelle méthode pour s’envoyer en l’air: un vol en parapente.

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Après quoi, nous avons rejoint deux autres amies d’Audrey qui avaient préparé un apéritif chez l’une d’entre elles, Marion. Marie, que j’étais bien content de revoir (pour la première fois depuis... eh bien, la pendaison de crémaillère, je crois) a dû s’éclipser, tandis que Mélanie (que je n’avais plus vue depuis quelques temps non plus, sauf entre deux portes, quand les cours de CAPES et d’agrégation se croisaient) nous a rejoint.

Enfin, le parcours s’est achevé dans un restau latino spécialisé dans la nourriture... épicée...

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sur fond d’ambiance musicale ‘‘exotique’’ (salsa, meringué, etc.)



Enfin, vers une heure du matin, naquit l’idée d’une dernière virée destinée à percer le mystère de l’allumage des lumières du sixième étage de la fac au beau milieu de la nuit et du mois de juillet

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… mais (en dépit des rumeurs alléchantes sur la manie d’un professeur de philo soupçonné de passer ses nuits dans les locaux pour lire la Métaphysique d’Aristote) la fatigue de la journée eut finalement raison de ce dernier projet.

21.7.07

Malaise d’une civilisation

Au moment où j’écris ces lignes – nous sommes, enfin je suis, vendredi soir, ce post ne sera publié que demain, car, comme le précédent et le(s?) suivant(s?), il le sera depuis l’ordinateur d’amis (ma freebox ayant planté pour des raisons inexpliquées jeudi matin, je suis coupé d’Internet pour au moins une semaine) –, au moment où j’écris ces lignes, disais-je donc, je ressors de l’exposition Arménie: la magie de l’écriture qui vit ses derniers jours au musée de la Vieille Charité à Marseille. Et c’est la première fois de ma vie qu’une exposition me met mal à l’aise.

Comme le titre l’indique, l’exposition envisage surtout la question du rapport privilégié des Arméniens à l’écriture, ceux-ci s’étant notamment dotés d’un alphabet inventé de toutes pièces et n’appartenant qu’à eux. Bien que quelques objets – parfois les plus beaux, d’ailleurs, tels ces crucifix du XVIIIe siècle magnifiquement ornés – n’aient aucun rapport avec la thématique en question, on trouve essentiellement dans cette exposition, qui s’ouvre sur des inscriptions datant de l’antique Royaume d’Arménie, des livres, manuscrits, imprimés, journaux. Il y a quelques fort belles pièces. J’en retiendrais sans doute particulièrement deux: une carte – fort peu précise géographiquement, mais superbe esthétiquement – des établissements religieux d’Arménie, datant du XVIIe siècle, peinte sur un rouleau d’environ 5 mètres (estimation personnelle); et, datant de la fin du XIXe siècle, la biographie, sur une page, d’un catholicos de l’Eglise Apostolique Arménienne, dont les mots, écrits très finement, de façon plus ou moins ‘‘grasse’’, allant de l’épais et sombre à la plus extrême pâleur possible avant complète disparition, dessinaient avec une précision incroyable le portrait de l’homme en question (si ce n’est pas une profession de foi en la capacité de l’écriture à révéler, au sens photographique du terme, la vérité, je ne sais pas ce que c’est!).

Avant d’en arriver à la raison de mon malaise, je tiens à préciser ma quasi-totale méconnaissance de la culture arménienne avant d’entrer dans cette exposition. Ma connaissance des choses touchant l’Arménie concerne en majeure partie les massacres de masse absolument abominables, perpétrés par l’Etat turc, dont les Arméniens furent victimes au début du XXe siècle. Pour ce qui est de l’histoire et de la culture plus anciennes de ce peuple, en dehors de la lecture, il y un certain nombre d’années maintenant, de poèmes de Nahabed Koutchak, la majorité de mes connaissances proviennent de ma lecture en cours du roman de Jean-Christophe Ruffin Sauver Ispahan (que je suis en train de lire avec un plaisir non dissimulé sur les conseils de Camille): c’est dire si tout cela est frais et lacunaire. Aussi je ne prétends dans les lignes qui suivent donner aucun avis éclairé et définitif sur la culture arménienne, et je m’en tiens à la description des premières impressions laissées par cette exposition.

Or, et là commencent les causes du malaise, cette exposition m’a donné l’impression d’une culture entièrement fermée sur elle-même, figée, fixée une fois pour toute dans une tradition originelle, hermétique mille deux cents ans durant à toute interaction avec les évolutions esthétiques se déroulant à l’extérieur. Certes, ce ne serait pas le seul exemple d’une culture se protégeant avec force de toute influence venue d’ailleurs – mais à la différence, mettons, du Japon, l’Arménie n’est ni une île, ni un lieu isolé par des milliers de kilomètres de ses voisins européens et moyen-orientaux, et j’avoue avoir du mal à concevoir une telle autarcie culturelle chez un peuple qui fut souvent, et certes souvent pour son malheur, au contact d’autres civilisations, autrement plus puissantes de surcroît.

– Un exemple, à ce sujet, me semble révélateur: il concerne les relations de l’Arménie avec le reste du Moyen-Orient. En visitant l’exposition, et en lisant les cartels à côté des objets présentés, je me suis demandé un bon moment où était cette ‘‘Nouvelle Djoulfa’’ qui semblait un si important centre artistique, jusqu’à ce que je vois une carte portant en grandes lettres majuscules «NOUVELLE DJOULFA» et à côté: «(Ispahan)». Il s’avère que la Nouvelle Djoulfa (de Djoulfa, si j’ai bien compris obscur bourg d’où étaient originaires la majoritaire des déportés) n’était rien d’autre que le quartier arménien d’Ispahan. Moyennant quoi, c’est toute la capitale de l’Empire perse qui s’est vu ‘‘recouverte’’ de ce nouveau nom… Ben tiens!

À l’exception des imprimés – et pour cause: il fallut attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu’une imprimerie arménienne, la quinzième du genre au monde, s’ouvre… en Arménie, les précédentes étant sises en Europe, à Venise, Rome, Marseille, etc. –, tous les manuscrits enluminés m’ont semblé relever de la même inspiration et de la même technique, qu’ils soient du Xe ou du XIXe siècles (de fait la tradition manuscrite survécut longtemps à l’imprimé en Arménie). Je veux bien reconnaître aux codes artistiques propres au christianisme oriental une pérennité fortement ancrée depuis la fin de l’Antiquité jusqu’à nos jours, mais arriver à ce point d’identité maintenue sur une aussi longue distance chronologique, sans qu’aucune variation remarquable ne paraisse, fut-ce épisodiquement, c’en est tout de même troublant.

Est-ce mon ignorance de la culture arménienne qui a fait qu’y étant à ce point étranger, je n’ai pas perçu des nuances existantes? Peut-être; ceci dit, je ne vois pas bien pourquoi je parviendrais à saisir l’existence, à défaut du détail, de ces nuances dans des domaines comme ceux de la miniature persane ou de l’estampe japonaise (tout aussi éloignés de ma culture d’origine), et pas là. Ou la culture arménienne est-elle vraiment si ‘‘monolithique’’, si une et unie dans le temps, à travers près d’un millénaire? Peut-être aussi; toutefois, outre la logique et la raison, quelques morceaux de phrase dans les panneaux de présentation, mentionnant de la façon la plus discrète possible des influences grecques ou orientales, m’en font douter. Mais pourquoi, alors, ais-je l’impression que l’exposition était conçue de façon à occulter ces influences?

L’organisation quelque peu étrange de la présentation, qui nous a fait passer et repasser d’un siècle à l’autre, sans grand souci de progression chronologique, sonne comme une invitation à mettre l’accent sur la permanence de l’art arménien, le visiteur étant incapable, arrivant devant une vitrine, de repérer a priori à quelle époque appartiennent les manuscrits présentés. Une chose est sûre en tout cas, il ne s’agit pas de mettre en avant une évolution (à supposer, encore une fois, qu’elle existât). Quant au choix des pièces rassemblées, si peu dissemblables, à quoi l’attribuer? À une réelle et profonde unité de l’art arménien? Au hasard des objets disponibles? Ou est-on autorisé à suspecter – étant donné tout le poids idéologique qui pèse encore sur la ‘‘cause’’ arménienne – des choix muséologiques délibérément orientés dans le sens d’une présentation ‘‘identitariste’’ (je forge) de la culture arménienne, une, indivisible, et surtout ‘‘protégée’’ de toute influence étrangère – NOTRE culture, NOTRE art, comme NOUS avons NOTRE alphabet qui n’appartient qu’à nous, NOTRE version du christianisme qui n’appartient qu’à nous, NOTRE Histoire?...

Ajoutez enfin à cela, dans deux salles sur quatre, la présence de personnes qui parlent entre elles, mais de façon suffisamment forte pour être entendues d’un bout à l’autre de la salle, des souffrances de leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents, de l’oppression turque, du gentil président qui a ouvert les frontières, etc.: je veux bien croire au hasard, mais quoi qu’il en soit cela commence à faire beaucoup.

Encore une fois je ne livre ici que des impressions. J’ignore dans quelle mesure cette exposition est révélatrice d’une ‘‘vérité’’ de la culture arménienne. Mais le fait même qu’on puisse se poser la question montre, me semble-t-il, que nous sommes là en face d’un problème. Quel que soit – ou pas – le degré d’unicité de la culture arménienne du VIIe siècle à nos jours, l’exposition, que la chose soit fortuite ou concertée, semble aller dans le sens d’un renforcement de cette vision, qu’il est difficile de ne pas suspecter d’arrière-pensées idéologiques. Et quelle que soit la sympathie que je puisse éprouver pour le sort subi par une communauté victime de l’un des (hélas nombreux) génocides du XXe siècle, quand je vais voir une exposition artistique et des manuscrits anciens, je n’apprécie guère de me retrouver entraîné sans prévention à une exposition sur l’Identité Arménienne Glorieuse et Martyrisée.

19.7.07

Art mineur

Image Hosted by ImageShack.us [Scarabées, ornement de corsage, c.1897-1899]

Mineures, les œuvres exposées au Musée du Luxembourg à Paris jusqu’au 29 juillet le sont surtout par la taille, puisque – n’était la (légitime) sécurité dont elles sont entourées – on pourrait facilement emporter la plupart d’entre elles dans sa poche. Mais mineures, elles ne le sont ni par l’intérêt qu’elles représentent, ni par le talent qui présida à leur conception.

L’exposition René Lalique: bijoux d’exception (1890-1912) est l’occasion de découvrir un créateur méconnu, qui, s’il a atteint une certaine postérité dans le travail du verre, commença dans le domaine de joaillerie avant de s’épanouir dans celui de la bijouterie. Point d’orgue de cette carrière, l’Exposition universelle de 1900 est pour Lalique l’occasion d’un véritable triomphe. Dans son pavillon, les bijoux s’étalent, serrés les uns à côté des autres, formant une profusion de merveilles qui éblouissent les visiteurs venus à Paris de toute l’Europe.

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[Quatre paons blancs sur une branche de pin, broche, c.1902-1903]

Eminent représentant du symbolisme et de l’Art Nouveau, René Lalique emprunte son inspiration à des sources très diverses, du baroque français du XVIIIe aux influences japonaises, de l’observation de la nature, qu’il pratique assidûment, aux obsessions et exaspérations du décadentisme fin-de-siècle. Bref, si (comme moi) vous professez un goût pour la luxuriance des dessins de Mucha et la prose malsaine de Jean Lorrain, vous trouverez là matière supplémentaire à justifier la visite de cette exposition.

Considéré par certains de ses contemporains comme une sorte de réincarnation moderne de Benvenuto Cellini, Lalique fond toutes ces influences – et d’autres encore – dans une esthétique personnelle, une véritable petite cosmogonie caractérisée par la réutilisation, avec d’infinies variations, des mêmes matériaux (l’opale notamment) et de symboles récurrents.

Image Hosted by ImageShack.us[Collier avec deux pendants, c.1897-1899]

Filles-fleurs, femmes-insectes, nymphes, vouivres, harpies et charmeuses de serpent, la féminité et ses mystères sont au cœur de la production bijoutière de Lalique, qui n’en finit pas de célébrer sous toutes les formes imaginables la beauté de la Femme, à commencer par la sienne, Augustine-Alice, son épouse et muse de 1890 à son décès en 1909.

Parures de princesses de théâtre, de demi et de grandes mondaines. Parmi les fidèles clientes de Lalique, on trouve Sarah Bernhardt (une photo qui la montre, hiératique, dans son costume de Théodora laisse rêveur sur le pouvoir de fascination que pouvait exercer l’actrice en scène), Cléo de Mérode, Liane de Pougy, ou encore Renée Vivien (elle et son amante Nathalie Barney s’entr’offrant avec régularité les bijoux du créateur). C’est qu’arborer certaines des décorations imaginées par René Lalique n’est pas à la portée de tout le monde, il faut pour cela, disons, un certain ‘‘front’’, et «nombre de ses jolies admiratrices sont tout de même un peu effarouchées par l’originalité même qui le personnifie et qui, parfois, frise l’excentricité», comme le note son ami Henri Vever.

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[Quatre libellules, broche / pendant de cou, c.1903-1904]

Mais l’artiste d’origine champenoise est aussi un fin observateur de la nature: parcourant inlassablement, notamment, son domaine de Clairefontaine, il remplit des pages de carnets à croquis, prélude à la réinvention dans ses bijoux de tout un bestiaire – guêpes, libellules, serpents, scarabées, chauves-souris, papillons, hirondelles, cygnes, paons, poissons... – et de multiples formes végétales – aubépines, gui, prunus, lotus, œillets, orchidées, azalées, chrysanthèmes, chardons...

«C’est une connaissance aussi profonde de la vie rustique acquise dans les jardins et les bois, à l’atelier, voire même au Muséum, qui lui a permis de donner dans ses œuvres à la nature la seul interprétation qui soit propre à l’art ornemental. Ni copie servile, ni traduction littéraire au symbolisme prétentieux, telle a été sa formule.» commente à ce propos l’écrivain Pol Neveux, autre proche de Lalique.

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[Cygne, dessin préparatoire et pendant de cou, c.1899]

Le créateur contrôle toutes les étapes de la fabrication de ses bijoux, des dessins préparatoires à la réalisation. Aux côtés des bagues, bracelets, diadèmes, broches, pendentifs, colliers et autres ornements, le Musée du Luxembourg expose également un grand nombre de ces dessins, «qui sont», comme le remarquait avec justesse et raison Robert de Montesquiou, «eux-mêmes des bijoux, donnant vraiment des flammes à leurs diamants, des fleurs à leurs gemmes, du lait à leurs perles, piquant de tout un scintillement le papier diaphane.»

Devant les uns comme devant les autres, le visiteur aura l’occasion de passer de longs moments pour scruter au plus près tous les détails de ces œuvres d’art à part entière – créations d’un homme et d’une époque qui recherchaient l’unité de l’art sans se soucier de ce qui relevait du ‘‘majeur’’ ou du ‘‘mineur’’. Considéré comme «l’inventeur du bijou moderne», René Lalique est à la fois un représentant de son temps et un artiste singulier dont les œuvres continuent, à un siècle de distance, à nous émerveiller. Ce n’est que justice que le Musée du Luxembourg permette ainsi à un public plus étendu que les seuls connaisseurs en histoire du bijou d’aller à sa rencontre.

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[Fleurs d’aubépine, pendant de cou, c.1899-1901]

17.7.07

A tribute

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Aujourd’hui, 17 juillet 2007, est le quarantième anniversaire de la disparition de John Coltrane.

(Musique: «Dearly beloved», extrait de l’album Sun Ship, 1965.)

16.7.07

La Roque, avant-première

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Cette année en recevant nos places pour les concerts du Festival de La Roque d’Anthéron, nous avons eu la surprise d’y trouver avec une invitation pour un concert gratuit qui s’est déroulé hier soir dans le parc du Château de Florans.

Ça fait bizarre de se promener à La Roque avant l’ouverture du festival. Il n’y a encore qu’une demi-douzaine de tables devant le Temps des Cerises (l’un des seuls restaurants du village), alors qu’en temps ‘‘ordinaire’’ elles occupent toute une rue coupée à la circulation; il y a des barrières sur le terrain qui sert d’habitude de parking, en revanche il n’y en a pas à l’entrée du parc du château (puisqu’il n’y avait pas de billet à contrôler), tout comme il n’y a pas non plus de stand de disques dans l’allée et de foule compacte devant.

Passons rapidement sur la grossièreté du public se permettant des choses qu’il ne ferait jamais lors d’un concert normal (et payant) du Festival, comme se promener devant la scène pendant que les artistes jouent pour prendre des photos, ou se lever et partir en cours de concert, voire pendant l’interprétation même d’un morceau (sachant, de plus, que les gradins métalliques sont particulièrement bruyants…).

Le concert en question, donc, se composait de deux parties. Si vous le voulez bien (et même dans le cas contraire), je commencerai par évoquer la seconde. Il s’agissait, si j’ai bien compris, de la réitération d’un récital déjà donné à Marseille dans le cadre de l’année de l’Arménie en France. Des œuvres de musique de chambre de deux compositeurs arméniens du XXe siècle furent présentées par l’ensemble Pythéas, avec au piano Marie-France Arakelian qui en avait supervisé la programmation. Il y eut tout d’abord le Trio pour clarinette, violon et piano (1932) de Khatchatourian, compositeur dont je ne connaissais guère que la «Danse du Sabre» de Gayaneh, qui ne m’avait pas vraiment donné envie d’en connaître plus, impression confirmée à l’écoute de ce trio: la tentative de ‘‘mélange’’ qu’opère dans cette œuvre Khatchatourian entre le langage de la musique ‘‘classique’’ moderne et celui de la musique traditionnelle arménienne était certes intéressant, mais ne m’a guère procuré d’émotions, en dehors peut-être du dernier mouvement (Moderato). J’ai été plus touché, en revanche, par l’Elégie et le Trio pour piano, violon et violoncelle d’Arno Babadjanian, un compositeur dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Ces œuvres étaient également, sans doute, plus ‘‘accessibles’’ (attention, je ne prétends qu’il y ait un lien de cause à effet nécessaire!) – je me suis même demandé, faute d’information dans le programme, s’il s’agissait bien d’un compositeur du XXe siècle, et pas d’un compositeur romantique ou post-romantique du précédent, seules quelques dissonances de temps en temps mettant à mal cette thèse, du moins jusqu’au presque gershwinien Allegro vivace qui concluait le trio.

Mais la véritable surprise de la soirée avait eu lieu avant, en première partie, lorsque l’organisatrice du concert se présenta sur scène pour nous présenter les artistes, et nous appris que la première interprète que nous allions entendre avait onze ans et demi et le second vingt-trois. Léger flottement dans le public, assailli peut-être de réminiscences de soirées de fin d’année d’école de musique, où les parents sont priés d’applaudir les prestations des enfants des autres, majoritairement fort médiocres musiciens il faut bien le dire (et je le dis d’autant plus librement que je fus de ces derniers, et ce pendant un certain nombre d’années). On nous rassure en nous parlant des prix obtenus par les deux concertistes en herbe, qui se sont même déjà produits dans le cadre d’autres festivals. Bon.

Paraît la première, Elsa Bonnet. À onze ans, donc, la ‘‘petite’’ est certes mignonne comme tout, et fait preuve d’une virtuosité technique indéniable, qu’il n’est il est vrai pas donné à tout le monde de posséder à son âge; seulement, pour un être un grand musicien, la technique compte mais n’est pas tout. Sur une Partita de Bach, ça peut encore prétendre passer, mais quand on en vient à du Mozart, compositeur chez qui, me semble-t-il, l’émotion prime sur la technique qui est priée de ‘‘s’effacer’’, le bât blesse un peu plus encore. Elle se rattrape tout de même un peu avec une Etude et une Nocturne (si ma mémoire est bonne) de Chopin – et pourtant je suis à peu près hermétique à Chopin, notamment parce que je considère que, justement, il se contente bien trop souvent de donner dans le pur jeu virtuose, sans aucune autre considération. Mais tout cela manque encore de maturité, d’engagement et d’émotion. On ne peut que souhaiter à cette jeune, si jeune, trop jeune sans doute pianiste d’évoluer en ce sens. Le destin des ‘‘enfants prodiges’’ n’étant pas toujours facile, difficile de savoir pour l’instant si elle poursuivra une carrière brillante ou de troisième zone, voire si elle arrêtera tout d’ici quelques années, ou si elle se rebellera en plein succès contre la vie menée jusque là et finira par balancer son piano dans un lac suisse devant les caméras.

Je serais beaucoup plus affirmatif par contre quant au destin du second interprète de la soirée, j’ai nommé Emmanuel Despax. Deux-trois imperfections encore à épousseter, et je lui prédis d’ici cinq ans une renommée égale à celle d’un Nicholas Angelich, dans dix ans à celle d’un Evgueni Kissin. Ancien élève du conservatoire d’Aix-en-Provence, Emmanuel Despax revenait pour la première fois donner un concert en France. Lauréat du concours Yehudi Menuhin, il est en effet parti en Angleterre où il a, entre autres, était primé deux fois par le Royal College of Music et reçu la Tagore Gold Medal des mains du Prince Charles. La scène – tout nouvellement refaite – du château de Florans aura eu la primeur du come back sous nos latitudes de ce jeune talent à qui il ne manque vraiment plus grand-chose pour faire partie des grands. Virtuosité, puissance, engagement, émotion, le jeune homme a prouvé hier soir qu’il avait tout ce qu’il fallait pour cela, entraînant ses auditeurs dans de folles courses à l’abîme, creusant les basses comme des tombeaux, avant de s’élever vers des vertiges cristallins ou de proposer quelques brefs temps de repos soyeux, tout au long de la Chaconne en ré mineur BWV 1004 de Bach (arrangée par Busoni), de la Fantasia quasi sonata «Après une lecture du Dante» extraite de la deuxième des Années de pèlerinage de Liszt, et d’un double bis aussi long et passionnant que ce qui précédait. Gageons, si les organisateurs du Festival font bien leur métier – et il n’y a aucune raison d’en douter –, qu’on ne tardera pas à le revoir à La Roque d’Anthéron, et cette fois-ci ce ne sera plus dans le cadre de concerts gratuits.

15.7.07

Additif aux remarques sur Catherine Breillat



Je viens de découvrir par hasard, en zappant sur TF1, ce clip de Catherine Breillat réalisé pour la chanson d’Elodie Frégé «Si je reste (un peu)». Apparemment Breillat a déjà signé deux autres clips pour la chanteuse (je connaissais l’album, plutôt bon d’ailleurs, mais pour les clips je découvre).

J’avais dit précédemment qu’à la vision d’Une vieille maîtresse je n’avais pas retrouvé ce que je considérais comme la ‘‘griffe’’ Breillat. J’ai éprouvé une sensation étrange à la vision de ce clip. La chanson est sympathique, la vidéo jolie à l’œil, là n’est pas la question. Simplement (si j’ose dire), considéré sous le seul rapport de la mise en scène, ce clip m’a plongé dans une étrange perplexité: d’un côté, j’y ai plus retrouvé ce fameux style en question – oh, tiens, cette insistance sur les teintes pâles, accentuées encore par des contrastes de couleurs vives (le rouge, ici), et puis quelqu’un qui se fait attacher, hmmm, n’ai-je pas entendu dire il y a quelques semaines que Breillat avait réalisé un clip? – et de l’autre je ne peux m’empêcher de penser que l’image (pour ne parler que d’elle) est quand même bien léchée par rapport aux productions antérieures de la réalisatrice pour le cinéma – ou même la télévision (Brève traversée). Quelque part, c’est ‘‘encore’’ du Breillat, mais du Breillat assagi, lissé. En somme, une sorte de moyen terme entre ses réalisations précédentes et l’esthétique d’Une vieille maîtresse (ou du moins ce que j’en ai perçu).

Bon, en même temps, c’est adapté à la chanson, qui ne réclamait pas non plus une mise en images particulièrement agressive... et puis c’est aussi un peu la seule chance de voir du Breillat sur TF1. Sérieusement, vous imaginez Romance X diffusé en lieu et place de Julie Lescaut?

11.7.07

Petite Bibliothèque du XVIIIe Siècle, vol.1
Petite musique d’une nuit,
ou l’art d’accommoder les jeunes gens ingénus

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J’avais depuis un certain temps l’envie d’inaugurer cette rubrique. Etudiant en lettres, visant l’emploi de professeur de littérature, moi, enfin, dont certaines mauvaises langues de mon entourage prétendent qu’il faut remonter à la maternité pour être sûr d’avoir un souvenir sans un livre à la main ou du moins à portée de main, le caractère quelque peu étrange qu’il y avait à ne pour ainsi dire jamais parler de mes lectures sur mon blog ne m’avait pas échappé. J’éprouvais comme un malaise à envisager l’entreprise: la sourde appréhension de n’aboutir qu’à un compte-rendu très scolaire, de rester, à l’écrit, enfermé dans certains cadres rhétoriques qui ne sont pas forcément les mieux adaptés à faire partager le goût qu’on a d’un livre. Assez bizarrement, l’année d’agrégation écoulée m’a fait progressivement me sentir comme libéré (en tout cas en partie) de ce poids, de ce risque, comme une promesse de laisser derrière moi les aspect les plus ‘‘scolaires’’ de mon parcours… Les résultats du concours, cependant, douchèrent un peu mes ardeurs sur ce point – sans quoi je me serais lancé plus tôt. Tout cela est très irrationnel, j’en conviens. Toujours est-il que je saute le pas aujourd’hui: on verra comment les choses se poursuivront. Si je persiste dans mes projets, vous entendrez donc un peu plus souvent parler de mes lectures, soit dans leur actualité, soit à l’occasion de retour sur des livres qui me plaisent tout particulièrement et/ou m’ont marqué; quant à la littérature du XVIIIe siècle, du fait du statut un peu à part que lui confère ma ‘‘spécialisation’’ – toujours en cours – en la matière, elle aura droit à sa petite rubrique à part (dont acte, aujourd’hui même).

J’avais, disais-je donc, depuis un certain temps l’envie d’inaugurer cette rubrique – et le hasard, qui m’a fait relire tout récemment Point de lendemain de Vivant Denon, me la fait inaugurer sous des auspices que l’on pourra trouver étranges, puisque la version la plus connue de cette courte nouvelle date de 1812. Mais après tout, les délimitations des ‘‘siècles’’, en littérature, ne font pas toujours très attention aux calendriers.

Imaginons donc Dominique Vivant Denon en 1812. Il n’a pas tout été, mais peu s’en faut: dessinateur, graveur, académicien, diplomate, agent secret, égyptologue avant la lettre (c’est pour ainsi dire lui qui a inventé la discipline), collectionneur d’art, et, donc, écrivain. Il a côtoyé tous les dirigeants du pays, du vieux Louis XV à Joséphine et Bonaparte, en passant par Robespierre, quelques-uns des grands de ce monde: Frédéric de Prusse, Catherine de Russie, Pie VII, sans oublier les chefs manœuvriers de coulisses comme Talleyrand et le cardinal de Bernis. Il a connu (et survécu à, ce qui n’est pas forcément une mince affaire) toute la variété des régimes politiques qui se sont succédés en son temps – et la Restauration est encore à venir. Assisté, même, à quelques batailles. Il a parcouru une bonne partie de l’Europe et de la Méditerranée, tour à tour secrétaire d’ambassade à Saint-Pétersbourg, puis en Suède, en Suisse, chargé d’affaires à Naples, réfugié à Venise au début de la Terreur, membre éminent de l’expédition scientifique qui a accompagné Napoléon pendant la Campagne d’Egypte. Tout récemment promu baron d’Empire, il a à présent soixante-cinq ans. Il sait peut-être qu’il laissera avant tout à la France deux chefs-d’œuvre: le musée du Louvre, qu’il a créé au retour de l’Egypte, et qu’il dirige (si, un jour que vous visitiez le Louvre, vous vous êtes demandé qui est ce Denon à qui l’on a attribué le nom d’une aile, entre Richelieu et Sully, c’est lui, ayez une pensée à ce sujet la prochaine fois que vous passerez par là); et une admirable nouvelle libertine de quelques pages, Point de lendemain. Encore s’agit-il de ne pas la laisser en l’état où il l’a publiée une première fois, en 1777, deux ans après l’avoir écrite pendant un voyage, sur la route de Ferney où il allait rendre visite à Voltaire.

De Point de lendemain il existe donc plusieurs versions: la version originale de 1777; la version de 1812; entre les deux, sous le titre La Nuit merveilleuse, ou le Nec-plus-ultra du plaisir, une version ouvertement, mais quelque peu lourdement, érotico-pornographique, dont il n’est pas exclu qu’elle soit aussi de la plume de Denon; enfin, datant de 1829, soit quatre ans après la mort de l’auteur, une réécriture de la part de Balzac qui, s’est mêlé, lui, d’assagir le texte par quelques amputations et euphémismes (si l’on avait besoin d’une preuve qu’en dépit de la date Point de lendemain reste bien un texte du XVIIIe siècle, la voilà peut-être). N’ayez crainte, toutefois, de vous y perdre: aujourd’hui tout le monde n’édite qu’un seul texte, celui de 1812, non seulement parce qu’il s’agit de l’état final voulu par l’auteur, mais aussi parce que c’est, et de loin, le plus réussi. Et si vous avez un doute (car certains, même parmi les meilleurs, indiquent erronément la date de 1777 en tête de leur édition: ainsi de Raymond Trousson et de Jean-Jacques Pauvert), pas besoin de plonger à la recherche des principes d’édition; prenez simplement le texte au début de la nouvelle, vous y trouverez alors cette ouverture, l’une des plus célèbres de notre littérature, ou qui mériterait de l’être: «J’aimais éperdument la comtesse de ***; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu; elle me trompa, je me fâchai, elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai; j’avais vingt ans, elle me pardonna; et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes.»

Comparons avec l’incipit de la version de 1777, pour nous faire une idée de la distance parcourue tant du point de vue de la forme que de celui du fond: «La comtesse de *** me prit sans m’aimer, continua Damon: elle me trompa. Je me fâchais, elle me quitta: c’était dans l’ordre. Je l’aimais alors, et, pour me venger mieux, j’eus le caprice de la ravoir, quand, à mon tour, je ne l’aimais plus. J’y réussis, et lui tournai la tête: c’est ce que je demandais.»

Il n’est pas donné à grand monde d’écrire un chef-d’œuvre du premier jet. Certains masquent cette vérité derrière des brouillons que seule la critique contemporaine se mêle d’aller exhumer; pour Vivant Denon – et c’est peut-être bien plus émouvant –, nous avons les deux, ou peut-être trois, versions qu’il a publié. On imagine le travail de l’auteur, reprenant ce mince tas de pages (on les lit en moins d’une heure), rajoutant, retranchant, réécrivant, jusqu’à obtenir, enfin, la forme parfaite.

Petit miracle de légèreté retorse, l’incipit de 1812 file, stylistiquement, droit au but. Ici ni terme de liaison, ni conjonction de coordination, nul marqueur ‘‘logique’’, la logique, on l’aura deviné, n’ayant pas sa place en ce genre d’affaire. Seule compte la musique de la phrase, l’élégant balancement qui la fait avancer. Pour le reste, le baron pratique l’art de «se débarrass[er] de tout ornement superflu» – comme le font, un peu plus loin dans le récit, les amants ‘‘arrangeant’’ leurs vêtements. Quant au héros, narrateur de sa propre histoire, il est devenu un jeune homme ingénu, et non plus un libertin à tête froide, héritier des Meilcour et autres Chester de Crébillon; comme si à trente-cinq ans de distance, Denon avait compris qui mène réellement la barque en ce monde, et que si les hommes, les mâles, semblent avoir le pouvoir, la majorité d’entre eux n’ont pratiquement aucune chance face à une femme qui les prenne par les sentiments, le dessous de la ceinture, ou, habileté suprême et quasi-imparable, les deux à la fois.

Récemment (pardonnez la digression), j’ai croisé dans une librairie la toute récente édition de poche d’un essai de Nancy Huston intitulé Mosaïque de la pornographie. Je prends le volume, le retourne, consulte la quatrième de couverture et lit: «Qu’est-ce que la pornographie? Basse ou élevée, roman à l’eau de rose ou œuvre d’érotisme noir, c’est un récit dont le message fondamental est le suivant: les femmes ne trouvent leur plaisir qu’à être dominées par les hommes.» La Mosaïque annoncée commençait, on le voit, sous un jour bien monochrome. (La suite de la présentation était à l’avenant, accumulant les poncifs féministo-moralisateurs: passage des «femmes de papier» aux «femmes de chair» souffrantes, cliché pseudo-psychanalytique sur la faiblesse des hommes qui pratiquent l’«abaissement de la femme» uniquement «parce qu’ils se sentent menacés», élégie finale sur la condamnation des femmes à devoir à jamais «choisir entre les figures ancestrales de la maman et de la putain»...) Peu désireux de lire 300 autres pages dans ce style, j’ai sagement reposé ce «livre à la fois brillant et bouleversant». Et j’ai, dans le même temps, pensé que Nancy Huston ne connaissait probablement pas les textes du XVIIIe siècle.

Certes, Point de lendemain n’est pas un texte pornographique. L’érotisme y reste discret, tout en allusions et en sous-entendus, «gazé» comme l’on dit à l’époque (en référence, pour ceux qui se poseraient la question, à la gaze, étoffe semi-transparente et plutôt fragile qui connaît une grande vogue au XVIIIe siècle). Il n’en reste pas moins que la nouvelle de Vivant Denon forme la pointe chronologiquement extrême de cette sphère (oui, je sais) au contenu fort hétérogène – couvrant toutes les nuances de la simple ‘‘galanterie’’ à la franche pornographie – que nous étiquetons, depuis la seconde moitié du XXe siècle, sous le nom de ‘‘littérature libertine du XVIIIe siècle’’. Or l’une des particularités remarquables de cette littérature est que ce sont, sinon toujours, mais le plus souvent, les femmes qui y mènent la danse. Et les hommes ont parfois bien du mal à se maintenir à niveau...

Ainsi du narrateur de Point de lendemain, qui se prend pour l’amant en titre d’une comtesse manipulatrice, et va tomber dans les rets d’une amie de celle-ci, Mme de T..., encore plus douée en la matière. Ignorant de toutes les conventions, notre héros débute par un premier faux pas: se rendre à l’Opéra avant le lever du rideau. Dans une société où l’Opéra est pour tous bien moins un lieu où écouter de la musique qu’un lieu de rencontres et de discussions, c’est se signaler, effectivement, comme un «ingénu», donc éventuellement: une proie. Sous prétexte de lui «sauver le ridicule» de sa situation, Mme de T… fait accepter au jeune homme de passer la soirée en sa compagnie, et il se retrouve, avant d’avoir compris ce qui lui arrive, jeté dans un carrosse filant vers la campagne («Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrer dans sa voiture, et je suis déjà hors de la ville avant d’avoir pu m’informer de ce qu’on voulait faire de moi.»: voilà une opération d’extraction rondement menée; et fouette cochet!).

Point de lendemain est une nouvelle à lire et à relire – sa brièveté y invite. L’allégresse de son rythme ne nous y trompe pas: nous sommes face à un petit bijou de mécanique horlogère, alliant luxe et précision. En explorer les rouages ne fait qu’augmenter le plaisir. Les dialogues de Mme de T..., bien évidemment, sont parmi les moments les plus savoureux du texte, chacun de ses propos étant toujours – au moins – à double fond. Quant au narrateur, il ne joue, lui, que la partition qu’on lui impose, même, et peut-être surtout, quand il croit prendre l’initiative. Ainsi, interrogé sur ses projets après qu’il ait profité des chaos de la route pour prendre Mme de T… dans ses bras, il bafouille («Des projets... avec vous... quelle duperie! vous les verriez venir de trop loin; mais un hasard, une surprise... cela se pardonne.») quand son interlocutrice a, elle, l’art de la réplique aiguisée: «Vous aviez compté là-dessus, à ce qu’il me semble.»; mais qui avait le plus «compté là-dessus», en réalité? et où est le «hasard» invoqué dans ce qui est visiblement un plan dont les moindres détails ont été prévus par une stratège de haute volée? Plus loin, au détour d’une scène ‘‘tendre’’, le narrateur signalera, comme une demande d’excuse faite au lecteur, des «propos gauches qu’il faut passer à deux êtres qui s’efforcent de prononcer, tant bien que mal, tout autre chose que ce qu’ils ont à dire»; mais la gaucherie, l’effort, ne sont sans doute le fait que d’un seul des «deux êtres» en question...

Point de lendemain eût pu s’intituler Petite musique de nuit. Comme dans la sérénade de Mozart, l’air de romance sentimentale n’est qu’un temps, un moment passager dans un ensemble qui va allegro du début à la fin (avec une petite pique d’allegretto au milieu, dont je vous laisse le soin et la liberté d’imaginer à quoi elle peut correspondre dans le texte). C’est qu’«[o]n va vite avec l’imagination des femmes»: happé à l’Opéra pour se trouver propulsé à la table d’un dîner abracadabrant, en présence d’un mari assez inattendu en la circonstance, promené d’un banc de gazon à un pavillon isolé, et de là encore à un cabinet secret arrangé pour l’amour de façon étonnante, avant d’être au petit matin éjecté dans le jardin – dans lequel il découvrira seulement alors la clé de l’aventure: il n’aura été que l’une des trois personnes jouées simultanément par Mme de T… (et certes pas la plus à plaindre) –, notre jeune ingénu ne cesse de se laisser manipuler par tous les moyens existants, discours, soupirs, caresses, et mises en scène, aveuglé qu’il est par l’attrait du plaisir («Nous sommes tellement machines», rougit-il) et par les artifices d’une marionnettiste hors pair. C’est elle qui, à tout le moment, règle les mouvements, impose son rythme.

De rythme, justement, il faudrait encore parler, celui du récit et d’une langue virtuose. 1812, Vivant Denon, soixante-cinq ans. On rêve, à le lire, à ce que dut être son passé de diplomate. À la façon dont il devait manier les mots au service de la France. La finesse de ses stratégies d’écritures vaut celle des stratégies de séduction de son personnage. Il n’y a pas jusqu’à la façon dont il construit ses phrases et ses paragraphes, rapprochant dans un même mouvement certaines actions, en disjoignant d’autres, créant ainsi sa propre cadence, qui ne force l’admiration. Nul besoin d’aller chercher ailleurs le ‘‘merveilleux’’ que l’on associe parfois au genre du «conte» que revendique le sous-titre. – Il est attendu que le conte, milésien, est ici à lire dans la lignée de ceux d’un La Fontaine, ainsi catégorisé en raison de l’absence de morale qui les oppose aux fables; la fin de Point de lendemain, avec son dernier mot qui fait écho au titre, est on ne peut plus claire sur ce point: «Je cherchai bien la morale de toute cette aventure et… je n’en trouvai point.», point final. Il convient de plaindre ceux qui ne goûtent pas une telle légèreté. – Le merveilleux, dans Point de lendemain, est factice, comme tout le reste. Les rêveries du narrateur sur le temple de Gnide, ses comparaisons hardies avec Psyché et Cupidon: imagination d’amant échauffé. Les enchantements du cabinet secret: machineries et mécanismes, initialement conçus pour seconder le manque de «ressort» d’un vieux satyre (en 1812, Sade, notamment, est passé par là). Tous ces charmes, d’ailleurs, s’évanouiront au cours d’une scène de dés-illusion, chassés par l’air pur du matin. Restent donc, au final, le plaisir des jeux de la séduction et le charme d’une langue maniée de façon éblouissante dans «le demi-jour très voluptueux» d’une petite nuit d’été diablement musicale.


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Illustration: Fragonard, Le billet doux, c.1769/1770. Illustration musicale: Mozart, Sérénade en sol majeur K.525 «Eine kleine Nachtmusik», 1787; interprétée par le Cleveland Orchestra sous la direction George Szell (1968).
De Point de lendemain il existe de nombreuses éditions; la plus complète est, heureuse surprise, l’une des moins chères: il s’agit de l’édition de Michel Delon qui propose la version de 1812 et la version de 1777, accompagnées dans les notes des variantes propres à La Nuit merveilleuse et à la version de Balzac, le tout complété encore par une autre nouvelle, La Petite Maison de Bastide (1758): Gallimard, «folio classique», 1995.

7.7.07

Cri d’Horreur Futile

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MAIS QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE G
ÉNÉRIQUE À LA PLUS BELLE LA VIE QU’ILS ONT RAJOUTÉ À LA VERSION FRANÇAISE DE HEROES ???!!!

4.7.07

Les Bucoliques

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Au commencent était un film. Enfin, plus précisément, avant cela encore il y avait un livre. Après Balzac vu par Rivette et Barbey par Breillat, vous allez vous dire que je fais une fixette, en ce moment. Enfin bon.

Comme je n’ai pas lu, je l’avoue, L’amant de lady Chatterley de D.H. Lawrence (1928), et encore moins Lady Chatterley et l’homme des bois, version antérieure de l’ouvrage – la deuxième sur trois – qui est celle qu’a retenue Pascale Ferran pour son adaptation, prenons, comme point de départ, le film. Il s’intitule Lady Chatterley. A été réalisé, donc, par Pascale Ferran. Est sorti une première fois sur les écrans à la fin de l’année dernière. A reçu entre autres récompenses cinq Césars à la cérémonie du même nom – meilleur film, meilleure actrice, meilleure adaptation (j’insiste), meilleure photo, meilleurs costumes –, triomphe critique dans la foulée duquel il est ressorti dans une plus large combinaison de salles – j’avoue que c’est à ce moment là que je l’ai vu. Succès critique donc et succès public (du moins relativement au destin habituel d’un ‘‘film d’auteur’’), ce qui n’a malheureusement pas empêché sa maison de production, l’hélas mal nommée Ad Vitam, de mettre la clé sous la porte, triste aventure bien révélatrice de l’état d’un certain cinéma français, mais laissons également cela de côté aujourd’hui. Le film, pour en revenir à lui, est disponible en dvd chez mk2 éditions depuis le mois dernier. Et voilà qu’il y a quelques jours Arte nous en proposait une version longue sous le titre Lady Chatterley et l’homme des bois.

Restons-en, pour l’instant, à Lady Chatterley, la version sortie en salle et en dvd.

Rappelons-en, très brièvement, l’intrigue: dans l’Angleterre du début des années 20, Constance Chatterley languit auprès de son époux, sir Clifford, riche propriétaire minier revenu paraplégique des champs de bataille de la Grande Guerre, jusqu’à sa rencontre avec Parkin, le garde-chasse du domaine.

Pascale Ferran, je l’ai rappelé également, a choisi un manuscrit antérieur à la version finale du célèbre roman de D.H. Lawrence. D’une version à l’autre, l’intrigue est différente sur un certain nombre de points, dont celui-ci: dans Lady Chatterley et l’homme des bois, Constance ne trompe son époux qu’avec Parkin tandis que dans L’amant de Lady Chatterley, elle a préalablement un certain nombre d’autres aventures. Mais surtout, à en croire la réalisatrice (ce que je n’ai aucune raison de ne pas faire, d’autant que me plonger moi-même dans les différentes versions du texte de Lawrence ne fait pas partie de mes priorités du moment), la version retenue était moins lourdement théorique que l’autre, et avait moins ‘‘vieilli’’. C’est donc le choix de la simplicité qu’a fait Pascale Ferran, et ce choix, logiquement, rejaillit merveilleusement sur ce film.

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Du coup, il m’est très difficile de parler de ce film (si ce n’est pour dire qu’il s’agit à mon sens de l’un des meilleurs et des plus beaux films français de ces derniers temps). Et pourtant, il y en aurait des choses à dire.

Sur la prestation lumineuse de Marina Hands dans le rôle principal, donnant presque l’impression que tous ses partenaires – aussi excellents soient-ils dans leur registre, comme Jean-Louis Coulloc’h (Parkin) et Hippolyte Girardot (sir Clifford) – ne sont là que pour mettre en valeur son jeu à elle, tout en sensibilité mouvante et émouvante.

Sur la façon dont Pascale Ferran construit l’espace dans lequel elle inscrit ses personnages – le château et le bois, séparés par la barrière; le village, avec son passage vers le bois – avec un art de la conceptualisation aussi solidement efficace qu’élégamment discret, créant ainsi une scénographie qui, sans jamais paraître lourde ni théorique, caractérise immédiatement la place que les personnages occupent à chaque moment du film (dans ou hors de ‘‘leur’’ espace, etc.).

Sur le traitement à l’image de la nature, qui semble emprunter aussi bien aux conceptions de Lawrence – les forces vitales, tout ça tout ça – qu’à la caméra d’un Terrence Malick, sans être réductible à l’imitation d’aucune de ses deux positions, et qui inscrit l’histoire d’amour du film dans un cadre bienveillant d’élégie bucolique.

Sur le traitement de la représentation du sexe enfin, si à contre-courant des plutôt tristes normes (sous influences télévisuelles primetimesques) en la matière. Fixer ainsi, par exemple, sa caméra pendant une bonne demi-douzaine de minutes sur un couple qui fait l’amour, la dame au-dessus de l’homme assis, et comble du scandale, tous les deux vêtus, c’est à la fois trop et trop peu: trop peu, car on ne voit rien (si, quelques centimètres de cuisse entre robe et bas, le temps d’un plan, qui en deviendraient presque bouleversants), tout passe par l’attitude, les soupirs, le sentiment donc; trop, car la norme télévisée veut que le sexe à l’écran se résume à quelques plans (un d’ensemble, un bout de sein, un bout de hanche…) n’excédant pas la minute et demie, et surtout qu’il ne veuille rien dire, qu’il reste dans le domaine du purement illustratif.

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Or, Pascale Ferran, grâces lui en soient rendues, a opté pour le parti-pris exactement inverse.

Certes, les films estampillés ‘‘d’auteur’’ (en d’autres termes ceux qui n’ont pratiquement aucune chance de passer en première partie de soirée sur une chaîne hertzienne nationale) à prendre la sexualité comme sujet même ne sont pas si rares que cela, mais ce n’est pas, je pense, exprimer une opinion hautement réactionnaire que de faire remarquer que les chef-d’œuvres en la matière, même dans ce cadre précis, ne sont pas légion. À cette restriction, il faut ajouter que la vision qui en est proposée dans ces derniers n’est que très rarement franchement positive (voyez L’empire des sens d’Oshima, Le dernier tango à Paris de Bertolucci, Eyes wide shut de Kubrick...).

Dans le Lady Chatterley de Pascale Ferran, la sexualité se fait a contrario instrument de vérité. Vérité des sentiments, vérités des êtres. La réalisatrice conjugue déshabillage des corps et déshabillage des âmes, les deux allant de pair au fil d’une lente évolution qui s’étend sur tout le film. De la première fois, vite expédiée, tout habillés sur le sol de la cabane, aux jeux nus sous la pluie, les amants ne se dévêtent que progressivement, dans un mouvement de révélation qui est aussi celui de leur relation, des premiers contacts encore rudes, brutaux presque, où perdure le poids de la hiérarchie sociale, au magnifique dialogue final durant lequel ils osent enfin mettre à nu l’un devant l’autre leurs sentiments les plus intimes. Il n’est pas, enfin, jusqu’à la (superbe) musique de Béatrice Thiriet qui ne participe de ce thème, jouant elle aussi, comme la mise en scène, de la répétition pour enrichir le module initial de façon de plus en plus lumineuse.

Tout cela – et d’autres choses sans doute que je ne trouve pas ici le talent d’exprimer (voyez le film, si ce n’est déjà fait!) – concourt à faire de Lady Chatterley un film magnifique, très beau et très juste, à des années-lumière des clichés poussiéro-érotico-softs qui ont pu s’accumuler sur l’histoire imaginée par D.H. Lawrence.

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Et tout aurait pu s’arrêter là. Seulement, comme je l’ai mentionné, il y a eu Lady Chatterley et l’homme des bois, la ‘‘version longue’’ télévisée. Une version qui a tout pour désarçonner qui connaît la version cinéma, et ce, dès la première scène, qui nous montre un ami de sir Clifford lui expliquer – et au spectateur avec lui, par voie de conséquence – les soucis qu’il se fait sur l’état de Constance. À quoi servait-il donc de se montrer aussi démonstratif quand le film arrivait à nous rendre sensible cet état sans s’embarrasser d’une telle explication (/explicitation) préalable? Tendance confirmée un peu plus loin par l’insertion d’une voix off redondante chargée de nous dire à quelle point l’existence au château de la pauvre Connie est répétitive, ennuyeuse et sans joie – voix off qui vient se greffer sur des images qui faisaient parfaitement comprendre sans cela cet état de fait! Doit-on en déduire qu’Arte craignait la fuite de ses spectateurs, le zappage (impossible au cinéma), face à une succession de scènes muettes? Ou, pire, que la chaîne ne considérait pas lesdits spectateurs comme assez intelligents pour comprendre tout seuls ce qui était signifié par la pure mise en scène, sans recours à une explication orale mettant tout cela à plat (‘‘à plat’’ étant bel et bien, malheureusement, le mot)?

Entre-temps (entre la première scène et la séquence avec voix off ajoutée, veux-je dire), Pascale Ferran se livre à un curieux jeu: la perturbation de la scénographie mise en place dans la version cinéma en faisant, dès le début du film, pénétrer non seulement Constance mais aussi son mari dans les bois du domaine. À peine le spectateur connaissant la version cinéma a-t-il le temps de se demander quelles seront les conséquences de cette promenade sur la perception de celle qui a lieu plus tard dans le film (perçue presque comme un viol de l’espace réservé aux amants) qu’un autre motif de stupéfaction l’attend: ne voilà-t-il pas que Constance reçoit de son époux l’autorisation explicite de le tromper! Et ce n’est pas fini, car, pour parachever son œuvre, voici que Pascale Ferran nous gratifie à la fin de cette séquence d’une première apparition de Parkin auprès du couple!

Entendons-nous: les ‘‘versions longues’’ et autres director’s cuts sont un phénomène qui a fleuri il y a un certain nombre d’années maintenant; il est à l’origine de choses très diverses, des meilleures surprises (quand il permet à un grand réalisateur d’améliorer une œuvre ‘‘diminuée’’ par des responsables de grand studio obtus) aux excès les plus pitoyables (la moindre série Z est susceptible d’avoir droit à sa version director’s cut en dvd, dans le seul but d’amasser un peu plus d’argent). On serait donc tenté de dire: libre à Pascale Ferran de se lancer à son tour dans l’aventure, si elle le souhaite.

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Le premier hic, c’est que Lady Chatterley et l’homme des bois n’est pas la version longue élaborée après coup d’un film mutilé par les studios: lorsque j’ai entendu parler du film pour la première fois, plusieurs mois avant sa sortie en salles, il était déjà question d’une version télévisée ‘‘longue’’ pour Arte. Le deuxième hic, c’est que les ajouts de Pascale Ferran modifient considérablement les données du film initial (j’y reviendrais en détails). Enfin, le troisième hic – sans lequel l’argument précédent n’aurait après tout pas grande valeur, le réalisateur étant (dans l’idéal) seul maître à bord et seul responsable de ses choix, y compris donc de celui d’une modification du propos du film –, c’est que cette modification ne va pas, selon moi du moins (ça vaut ce que ça vaut), dans le sens d’une amélioration: pour en rester à cette première apparition de Parkin, cette première rencontre, du point de vue de la diégèse, affaiblit considérablement la portée de ce qui était la première rencontre dans le cadre de la version cinéma; peu importe que dans les ‘‘faits’’, la logique de la fiction, Parkin et Constance aient probablement été déjà amenés à se croiser auparavant, dans le cadre du film la ‘‘première rencontre’’ était constituée par le choc ressenti par Connie à la vue du dos nu de Parkin se lavant, et la force de la scène était telle que le spectateur ne se posait pas la question de savoir s’ils s’étaient déjà côtoyés auparavant dans d’autres circonstances. Et l’on pourrait relever plusieurs autres cas, en regardant du côté des personnages sir Clifford ou de Mrs Bolten notamment, d’ajouts de ce type qui modifient la perception de leurs comportements ultérieurs.

Prenons un exemple un peu moins ‘‘lourd’’ que celui des premières scènes – je veux dire un exemple d’ajout qui, pour ainsi dire en lui-même, aurait pu être d’un très grand intérêt, cinématographiquement parlant. Dans Lady Chatterley, Connie, qui souffre d’insomnie, se lève et va boire un verre en cuisine; elle observe par la fenêtre le monde extérieur, réduit à un fascinant plan de la lune émergeant des nuages. Mais il n’est pas encore question de déserter le domicile conjugal. Dans Lady Chatterley et l’homme des bois, Ferran saute le pas: Connie cède à l’appel, s’aventure dehors, marche jusqu’à un arbre, semble brusquement prendre conscience de sa situation, pleure de se voir ainsi en robe de chambre en pleines nuit et forêt. Telle quelle – prise isolément –, la scène est tout à fait intéressante, ne serait-ce que d’un point du vue plastique: les pleurs et sanglots de Connie, ses muets appels au secours, la présence surplombante et presque minérale de l’arbre derrière elle, la façon inquiétante dont sont filmées les branches du bois autour d’elle, tout cela fleure très bon l’esthétique quasi-expressionniste. Seulement, cette scène n’a rien à faire là. Ou plus exactement elle n’a rien à faire dans Lady Chatterley.

Ayant bien conscience que je ne suis peut-être pas très clair, voici que je prends un autre exemple. Il se situe, dans la version longue, une vingtaine de minutes après celui précédemment cité. Lady Chatterley, au sortir d’une entrevue avec Parkin, au cours de laquelle celui-ci a «suggéré l’adultère», note dans son journal intime (relayé en voix off): «Quelle chose ignoble! Comment a-t-il pu s’imaginer qu’il pourrait tirer de moi un court moment de plaisir sexuel? Le désir sexuel est la pire forme d’égoïsme qui soit, une volonté sournoise de dominer l’autre et d’augmenter son propre Moi. Est-ce là ce qu’il veut, comme la plupart des hommes aujourd’hui?». On comprend tout de suite l’intérêt de Pascale Ferran de prêter cette réflexion à son personnage: cette définition négative du désir sexuel qui se trouve au centre de ce que note Connie, il va de soi qu’elle s’oppose – qu’elle n’est là que pour s’opposer – à ce que qui se révèlera à elle par la suite: une relation dans le cadre de laquelle la sexualité sera l’aliment (au sens combustible) d’une découverte mutuelle; non plus égoïste, mais presque altruiste; non plus domination, mais don; non plus narcissisme et autosatisfaction, mais ouverture sur l’autre... Seulement voilà, une telle réflexion de la part du personnage n’est envisageable que dans le cadre d’un récit où la possibilité de l’adultère a déjà été évoquée, et par sir Clifford, et par Parkin.

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Pascale Ferran a parfaitement le droit de privilégier telle ou telle vision de son histoire et je parierais (tant que ce n’est pas une partie de mon anatomie qui est en jeu) que la ‘‘version longue’’ est plus fidèle à l’œuvre de Lawrence que la version cinéma. J’aurais tendance, par ailleurs, à penser qu’il y a de Lady Chatterley à Lady Chatterley et l’homme des bois une différence à peu près semblable à celle que dénonçait la réalisatrice entre Lady Chatterley et l’homme des bois (le livre) et L’amant de lady Chatterley: le second est plus lourdement théorique, la vision proposée de l’adultère est également résolument différente, et rien que pour ça, je garderais ma préférence – ce qui est parfaitement mon droit à moi aussi – pour la version cinéma plutôt que pour la ‘‘version longue’’. Mais là où la chose me pose vraiment problème, c’est qu’à force de bouleverser la donne d’une version à l’autre, il apparaît clairement que Lady Chatterley et l’homme des bois est une toute autre adaptation du roman de Lawrence, reposant sur des options différentes, mais qui utilise néanmoins, sur 3h30 de métrage, 2h40 de matériau exogène, 2h40 d’une toute autre adaptation, proposant une vision toute autre du roman d’origine, et qui se trouvent incorporées dans un film au propos et à l’orientation radicalement différents. Ça passe ou ça casse. À mes yeux, ça casse. Le charme rompu n’opère plus, et j’ai été incapable d’accorder véritablement de l’intérêt à cette nouvelle version, bancale du fait de la fusion ratée entre deux films trop proches et trop lointains en même temps, et que j’ai trouvé désespérément longue. Tant mieux pour Arte si la chaîne, comme elle l’a annoncé dès le lendemain, a battu ce soir-là tous ses records d’audience. En ce qui me concerne, il me reste, heureusement, le dvd, pour voir et revoir le ‘‘vrai’’ film dans quelques mois et années, en espérant que le mauvais souvenir de la version télé finisse par s’effacer.