27.7.06

Dans le terrier du lapin

«La rencontre entre Alice au pays des merveilles et Psychose»: ainsi Terry Gilliam évoque-t-il son nouveau film Tideland. Il aurait aussi pu parler de la rencontre entre le David Lynch de Fire walk with me et (ce qui n’est pas le moins étonnant) le Terrence Malick des Moissons du ciel, entre Fritz Lang et Dario Argento, sans oublier les peintures d’Andrew Wyeth. Sauf qu’au final Tideland ressemble avant tout à ce qu’il est: un film de Terry Gilliam. Et ça, après ses catastrophiques Frères Grimm de l’an dernier, c’est encore la meilleure nouvelle d’un long-métrage qui, malheureusement, ne tient pas toutes les promesses qu’on aurait aimé qu’il nous fasse.

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Laissant derrière eux le cadavre de la mère “tuée par la méthadone”, la petite Jeliza-Rose et son père Noah, ancien rocker accro à la seringue et passionné par les vikings, s’embarquent pour une maison aussi délabrée qu’isolée au fin fond du Texas, Jutland au rabais qui a appartenu à la mère de Noah. Tandis que ce dernier s’enfonce sans retour dans ses dernières “vacances” héroïnées, Jeliza-Rose erre à travers la campagne environnante, avec pour seules compagnes de rêverie les têtes de ses poupées qu’elle porte au bout des doigts et avec qui elle converse. Bientôt, elle rencontre d’autres personnages: Dell, sorte de sorcière borgne, maniaque de la taxidermie (très) artisanale et ex petite amie de Noah, et Dickens, son frère lobotomisé dont la principale occupation est de chercher à “tuer le grand requin”, c’est-à-dire à faire dérailler le train qui passe non loin de là.

L’enfance selon Gilliam se caractérise par une ouverture maximale à l’imaginaire, d’une part, et par une totale absence du sens moral, d’autre part. Ajoutons que ce sont également les deux grandes orientations de son cinéma. Tideland offre donc à l’un des plus anticonformistes cinéastes anglo-saxons de notre temps matière à s’épanouir complètement, en filmant une histoire de barges au travers des yeux d’une fillette bercée trop près du mur par ses parents junkies. Et pendant qu’on y est à ajouter des choses (c’est les soldes! il est beau mon Tideland il est beau!), ajoutons donc encore que le film fut tourné avec un budget dérisoire et en un temps minimum, ce qui est plutôt bon signe quand on voit ce que les sirènes naufrageuses d’Hollywood ont fait des Frères Grimm. C’est d’ailleurs pendant une sorte de pause auto-octroyée sur le tournage de ce dernier film que Gilliam a filé au Canada réaliser Tideland, histoire d’aller respirer loin de ses démêlés avec d’autres frangins de sinistre réputation, ses producteurs, les frères Weinstein. Le réalisateur, à qui la catastrophe qui était en train de se produire n’a pas dû – n’a pas pu – échapper, choisit alors de revenir aux sources de son art.

Le contre-coup de tout cela, malheureusement, est de générer chez le gilliamophile zélé une attente qui ne sera pas complètement comblée. Décuplé par la série noire traversée ces dernières années par le réalisateur (tournage avorté de L'Homme qui tua Don Quichotte, abandon du projet Good omens, sortie dans les salles des Frères Grimm...), l’espoir de voir avec Tideland un nouveau chef-d’œuvre à mi-chemin du Roi pêcheur et de Las Vegas parano, deux œuvres qu’il semblait rappeler par bien des aspects, se heurte à un film qui désarçonne le spectateur mais ne parvient ensuite pas vraiment à le faire adhérer au nouvel univers qui lui est proposé en remplacement de cette situation antérieure perdue. La faute essentiellement à un scénario qui... n’en est pas vraiment un, tourne en rond et piétine pendant une bonne partie de “l’histoire”: ce n’est pas la première fois que Gilliam construit un film sur une succession de saynètes, mais celles-ci cette fois-ci manquent cruellement de l’énergie qui permettait de rendre l’ensemble prenant, voire addictif, et délirant à souhait, ou même simplement vivant... On ne peut s’empêcher de se dire qu’une meilleure maîtrise du propos de ce côté-là aurait mieux permis d’accepter ce que le réalisateur décide de nous faire subir. Car soyons honnêtes, on aurait aussi apprécié que Gilliam nous épargne certaines choses; du côté des thématiques explorées, il n’y est en effet pas allé de main morte: drogue, hystérie, nécrophilie, romance pseudo-gnangnan à la limite de la pédophilie... Réunissant le sordide et le merveilleux, Gilliam invente entre les deux une frontière à son propre usage; si mur il y construit, il n’aura d’autre fonction que de lui permettre de mieux y jouer les funambules déséquilibrés.

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Profondément malsain et complètement barré, Tideland fait la part belle à l’onirisme sous ses différents aspects («des cauchemars les plus beaux aux rêves les plus angoissants» indiquait, à juste titre, la bande-annonce); ce choix posé, le réalisateur ne s’impose alors aucune limite. Il faut dire qu’en contrepoint de cette échappée vers l’imaginaire débridé, la seule figure de la “normalité” admise dans l’univers isolé des environs de la ferme (dans l’intervalle compris entre les passagers du bus initial et ceux du train à la fin du film) sera Franck, le livreur qui se fait payer en faveurs sexuelles: pas franchement une référence...

Malgré une tendance parfois agaçante au “tangage”, la caméra sait à plusieurs reprises capter et rendre la force de ces visions oniriques, et dans le rôle de Jeliza-Roze, la toute jeune Jodelle Ferland, choisie par le réalisateur pour son jeu non-conformiste, nous introduit dès l’ouverture dans un monde fortement décalé – il est d’ailleurs juste de dire qu’elle porte en grande partie le film sur ses seules épaules.

Tideland est visiblement l’œuvre d’un Terry Gilliam qui avait besoin de replonger dans ce qu’il y a de plus débridé dans sa poétique, et, libéré pour un temps de la tutelle des studios, a pu expérimenter en – toute – liberté; mais c’est néanmoins aussi l’œuvre d’un Terry Gilliam fatigué (provisoirement, on ose encore l’espérer malgré tout...). Lost in la Mancha a permis de fixer, sans doute définitivement, l’image du réalisateur en Don Quichotte du Septième Art en lutte perpétuelle contre les moulins à vent de la réalité et accessoirement du formatage hollywoodien. Tant pis si s’éloigner de la grand-route est dangereux, si certains chemins de traverse ne tiennent pas toutes leurs promesses, si l’on court le risque de s’y égarer. Il n’y avait rien à sauver dans Les Frères Grimm (la prestation de Monica Bellucci, à la limite...); ce serait mentir de dire qu’à l’inverse ce Tideland est parfait; mais peut-on vraiment l’imaginer autrement que tel qu’il est?

On est libre de penser qu’en fait de plongée dans le terrier du lapin, Gilliam était plus enthousiasmant à l’époque où il s’amusait avec le rongeur sanguinaire de Sacré Graal qu’en héritier sous acide de Lewis Caroll. Mais une fois sortis du cinéma, vous risquez bien de voir les choses autour de vous différemment; de prêter soudain une attention bizarre aux bruits, aux personnes, voire aux petits animaux, croisés au hasard de la marche qui vous ramène vers votre voiture. N’est-ce pas la prérogative et l’une des spécificités des grands films de marquer ainsi le regard du spectateur jusqu’en dehors de la salle de projection?

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24.7.06

Marseille la nuit

Quelques photos de Marseille, plus précisément du Vieux Port et de ses alentours (le Pharo, le Fort Saint-Nicolas, l'abbaye de Saint-Victor...), prises lors d’une balade nocturne avec Katia et Pascal la semaine dernière:

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et un zouli panorama pour boucler la série:

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En fait après la fermeture des jardins du Pharo on avait décidé de faire le tour du Vieux Port pour aller jusqu’au Fort Saint-Jean... sauf qu’on a fini par s’arrêter en cours de route pour prendre un verre.

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Au passage, une constatation : la vache il a morflé Michael Vartan!

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(Vous pensez que c’est à la suite de l’accident, à la fin de la dernière saison en date d’Alias? :-D)

Après s’être rafraîchi et avoir comme d’habitude longtemps discuté, nous avons remisé le projet initial et sommes reparti dans l’autre sens. Sauf qu’une fois arrivés devant Saint-Victor, ben on continué à discuter...... longtemps...... Et brusquement, vers une heure / une heure et demi du matin, une odeur commence à envahir la place... C’était le Four des Navettes qui préparait sa première fournée du jour. Je ne vous dis pas dans quel état ils ont mis nos estomacs! Mais comme on était pas précisément à la Chandeleur, il ne fallait pas compter qu’ils ouvrent avant quelques heures. Donc c’était vraiment de la torture gratuite de leur part! Une honte, moi je vous le dis ma bonne dame!

Sur ces Bonnes Paroles, à bientôt pour de nouvelles palpitantes aventures.

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23.7.06

Boogie Man

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Bon, à force de prendre du retard sur mes posts, je me suis fait éhontément faucher mes photos et surtout mes vidéos par tout le monde (n’est-ce pas Pascal?), donc je serai bref.

La semaine dernière (on va le présenter comme ça, quoique si on compte en jours ça fera bientôt deux semaines) nous avons eu droit à un concert de Michael Jones sur la place du village. Initialement programmé il y a quelques mois dans la récente Salle des Fêtes, le concert avait été annulé, pour reparaître finalement sous forme "plein air" et... gratuite, ce dont je ne me plaindrais pas. Ayant fait circulé l’info, c’est avec Sophie, Pascal et Katia que j’ai rejoint la place où nous n’étions pas tout à fait tout seuls.

«J’espère que vous aimez le blues... sinon vous risquez de faire une indigestion.» a prévenu le chanteur en ouverture de son set. Surtout connu il est vrai pour ses collaborations avec son ami Jean-Jacques Goldman (et notamment à la belle époque du trio Fredericks-Goldman-Jones), le guitariste et chanteur franco-gallois n’en est pas moins intéressant en solo, comme il a su le prouver, si besoin était, au cours d’un concert à la fois énergique et chaleureux, les morceaux étant entrecoupés d’interventions – souvenirs d’amis, piques lancées contre les Majors, explications fracassantes sur la raison secrète de la tendance des hommes à l’alcoolémie dans les bals (si les filles acceptaient de danser les slows, ils seraient pas au bar...), annonce de sa décision d’entrer lui aussi en politique pour défendre les cafés-concerts, etc., etc. – qui ont notamment permis de créer une véritable connivence avec le public.

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Le concert aura également été l’occasion d’un double hommage, d’une part à Carole Fredericks, à travers une chanson spécialement composée, «Un dernier blues pour toi», et la reprise de «Un, deux, trois», et, plus joyeusement d’autre part, à "un ami qui habite à dix minutes en vélo", Goldman bien sûr, là encore avec le doublet chanson nouvelle («Le frère que j’ai choisi») et reprise («Je te donne» en "duo" avec le public). Plus étonnant, une reprise de «Say it ain’t so» de Murrey Head – artiste avec lequel Jones a déploré que sa maison de disque ne lui ait pas permis de faire un duo ("...et après c’est les mêmes qui viennent interdire de télécharger de la musique!") – était également au programme d’un concert majoritairement composé des titres de son dernier album Prises et reprises sorti en 2004. Certains de ses titres (parfois un peu courts à mon goût sur la version album) ont même profité du live pour prendre un peu d’ampleur appréciable.

Bref, donc, une super soirée, en espérant – ce que le chanteur nous a laissé entendre – que cette expérience serait renouvelée d’année en année, avec d’autres artistes.

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20.7.06

Eh! vous savez quoi?...

Ce blog a UN AN aujourd'hui!

Bon comme disait l'autre escroc notre bien-aimé Président à l'occasion de son blabla futile allocution du 14 juillet, le temps du bilan n'est pas encore venu, je suis encore dans l'action.

Il n'empêche, je ne peux m'empêcher de constater qu'un certain nombre de choses ont évolué au cours de cette année écoulée.

Un certain nombre de choses me concernant ont considérablement changé par rapport à ma situation il y a 365 jours (si si, cherchez bien, sur les photos, la jolie jeune fille que le monde entier la moitié du Quartier Latin en tout cas m'envie). Bizarrement, je suis aussi devenu un habitué de la SNCF, moi qui suis plutôt du genre casanier. D'autres choses en revanche..... ont un peu moins changé (notamment, je suis toujours un expert en profs fugueuses, mais le nom change... et j'ai l'impression qu'elles sont de moins en moins compétentes aussi, en tout cas de moins en moins "responsables").

Ce blog lui aussi a pas mal évolué. Il a connu des hauts et des... moins hauts, quelques bourdes ont été commises qui ont eu au moins le mérite de relever le nombre de mes lecteurs (même si ça n'atteint pas des mille et des cents non plus, en même temps ça m'arrange).

Mais bon c'est pas tout ça, j'ai des posts sur le feu. Il y a un an je ne savais pas trop ce que j'allais raconter sur ce blog. Aujourd'hui je me demande où je vais trouver le temps de rédiger le compte-rendu du concert de Michael Jones, de L'Italienne à Alger de Rossini à Aix, de Tideland de Terry Gilliam (comment ça ce catalogue ressemble à un effet d'annonce à la Katia?), sans oublier de quelques ballades dans Marseille, de l'anniversaire d'un panda en préparation, et toujours de mes petites aventures personnelles qui, malgré mon absence de vie sociale que le rythme de l'agrégation qui s'annonce ne fera que renforcer (l'absence, pas la vie sociale), agrémenteront encore et toujours les pages de ce site, pardon d'avance ;-) ... le tout évidemment tout en continuant mon boulot sur le côté.

Sur ces quelques mots, désolé pour ce post qui n'est pas franchement le plus intéressant possible, mais enfin, il fallait bien marquer le coup tout de même...

Non?

......non?



Bon, prochains posts à venir d'ici quelques jours! ;-D

18.7.06

Confiez les spectateurs à des professionnels

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C’est l’été: confiez vos enfants à la colonie de vacances «Ces Jours Heureux». Au programme: trois semaines d’activités ludiques et éducatives en Charente Maritime, sous la haute surveillance d’un véritable homme orchestre: Vincent Rousseau, alias le directeur. Car c’est sur lui que tout repose. Petits bobos et crises d’ego, activités planifiées et imprévus carabinés, le directeur doit pourvoir tout gérer... mais vraiment TOUT: du pédopsychiatre renommé incapable de "couper le cordon" avec son fils caractériel et hyperactif, à la transformation pour cause de pluie d’une sortie à la plage en découverte du Musée de la Charentaise, de l’assistance médicale qui avoue au moment du départ qu’elle n’a jamais obtenu son diplôme, au gamin de huit ans qui lit Les Echos et La Vie Financière, de la bombe anatomique incapable de faire consciencieusement son travail d’animatrice, au cuisteau pas franchement spécialiste de la cuisine légère et équilibrée, on a bien dit TOUT, y compris aussi la visite surprise autant que matinale de deux inspecteurs de Jeunesse & Sport.

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Il y a quelques années de ça maintenant, j’avais pu voir un excellent court-métrage d’Eric Toledano et Olivier Nakache. Il montrait simplement le départ et le retour (avec la différence d’ambiance qu’on imagine...) d’un car de colonie de vacances. Cet été, le tandem remet ça au format long. Avec la volonté de parler de ce qui se passe dans cet intervalle qu’ils n’avaient pas pu traiter à l’époque. Le film a su conquérir aussi bien le public qu’une bonne partie de la critique, et grâce au bouche à oreille, il a de bonnes chances de devenir le succès français de l’été.

Attention, il ne s’agit pas de dire qu’avec Nos jours heureux on tient un jalon essentiel de l’histoire du Septième Art, une date incontournable, un film à la fois essentiel et révolutionnaire. Ce serait non seulement faux mais déplacé, car là n’est visiblement pas l’intention du duo Toledano / Nakache. Le pari serait plutôt d’apporter aux spectateurs un film frais et divertissant, bon enfant sans tomber dans le potache lourd, sans prise de tête supplémentaire. Et de ce point de vue-là, c’est plutôt réussi. Et si en plus, ils parviennent à réveiller la mémoire de ceux qui ont vécu étant enfants la grande aventure des colonies de vacances (catégorie dans laquelle je ne joue pas vraiment, moi l’asocial qui garde un souvenir traumatisant de la semaine de stage de voile au Frioul gagnée au loto de l’école... mais là n’est pas la question), si, disais-je, ils raniment pleins de souvenirs dans la tête des plus nostalgiques spectateurs, alors là, c’est carrément le jackpot.

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À côté de ça, certes, la réalisation est réduite au minimum utile (mais en même temps vous imaginez des effets de caméra à la Scorsese au milieu de la colo?), les dialogues n’ont pas l’air d’un potentiel vivier de répliques cultes (à l’inverse du récent OSS 117, pour rester dans le domaine), enfin le scénario ne brille pas tout à fait par son originalité forcenée, si on en juge par l’impression qu’on a, malgré tout, d’avoir déjà vu, voire revu, traité le sujet d’un certain nombre de séquences (la transformation du vilain petit canard en idole des filles, les amours de colo, etc.). Encore que sur ce dernier point, le film sache maintenir un certain équilibre entre ces scènes attendues et d’autres idées plus originales et moins "politiquement correctes" (les enfants qui font des paris lucratifs sur la vie sentimentale du directeur, la transformation d’une animatrice timide et effacée en virago surexcitée, le cas d’un gamin hyperactif réglé à grandes doses de calmants...), voire joyeusement barrées (le jeune faisant du vélo en slip dans la cour au petit matin, pendant l’inspection de Jeunesse & Sport).

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À mettre également au crédit du film, son refus du manichéisme dans la présentation des personnages. Personne n’est parfait, tous évoluent, et le tandem de réalisateurs-scénaristes a le talent de conférer de la profondeur à chacun avec l’élégance de ne pas en avoir l’air. Nos jours heureux ne se contente pas de jouer sur un certain nombre de souvenirs collectifs (la course en sac, la boum de fin de séjour), mais soigne ses personnages, tant du côté des animateurs, adulescents plus ou moins (ir)responsables, que de celui des enfants. Il faut dire que des deux côtés, le choix des interprètes est également des plus judicieux. Comme il faudrait en citer beaucoup, et qu’en plus j’ai pas tous les noms (surtout côté enfants), bornons-nous à saluer la prestation, tout à fait digne d’éloges, de Jean-Paul Rouve dans le rôle de Vincent, le directeur, clown lunaire, attachant et délirant, sorte de Don Quichotte qui tente de se persuader qu’il y croit encore, parfois grande gueule, parfois effacé comme un gamin timide, toujours profondément humain. Avec le rôle qu’ils lui offrent, lui permettant d’explorer une large palette de sentiments, Toledano et Nakache arriveraient presque à nous persuader qu’on tient le nouveau Patrick Dewaere du cinéma français.

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15.7.06

Le post – un peu banal – du 15 juillet

Vous n’aurez sans doute pas échappé hier, 14 juillet, à cet événement presque aussi médiatique que la reconversion d’Anakin Zidane dans le rugby, j’ai nommé la Fête Nationale.

Cette année pas de sortie en groupe, je suis donc resté dans mon village de La Penne sur Huveaune pour assister au traditionnel feu d’artifice, en montant sur la butte au-dessus de la place de l’église, à côté du Pennelus, la ruine locale aux origines antiques quoique mal définies.

L’un des avantages du lieu est qu’on peut y assister à pas moins de trois feux d’artifices. On y jouit en effet d’une assez bonne vue sur le feu d’artifice d’Aubagne, tiré à moins de deux kilomètres et demi de là:



...ainsi que sur celui d’Allauch, à un peu plus de six kilomètres à peine à vol d’oiseau (bon sur la vidéo on ne voit pas grand chose, mais en vrai c’est plus probant ;-D):



Cette année, on a même pu voir une boule ou deux surpasser la crête obscure des collines du côté de Septèmes (probablement le bouquet final).

Traditionnellement, c’est une fois les deux feux d’artifices susmentionnés d’Aubagne et d’Allauch terminés que commence celui de La Penne:



Question accompagnement musical, l’année Mozart a fortement inspiré les choses, et je suppose que nous n’étions pas les seuls en France (oui parce que faire un feu d’artifice sur le thème de l’année Cézanne, ç’aurait été plus dur!). En tout cas ce feu d’artifice fut tout à fait appréciable, et comme j’ai tout de même réussi à en tirer quelques photos dont je suis plutôt content (surtout si l’on considère la difficulté qu’il y a à photographier ce genre de spectacle sans matériel plus perfectionné qu’un appareil photo "de base"), en voici, en voilà, en voilou un petite sélection:

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P.S. : merci à Pascal, grand spécialiste presque internationalement reconnu ès informatique et récurage de four à micro-ondes, qui a bien voulu m’initier au fonctionnement de Dailymotion pour mettre en ligne les vidéos. ;-)

14.7.06

Il n’y a pas d’amour heureux
(...mais l’amour malheureux fait parfois de sublimes opéras)

L’un des plus anciens opéras anglais, et, à juste titre, peut-être le plus célèbre, Didon et Enée de Purcell, ne vit pas le jour sur une large et brillante scène publique mais dans la relative intimité d’une école de jeunes filles de Chelsea. Un peu en marge du Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, le public peut retrouver un peu de cette intimité grâce à la mise en scène proposée par les jeunes talents de l’Académie européenne de musique.

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[le trio des sorcières]

Sur un livret de Nahum Tate qui – est-il vraiment besoin de le préciser? – trouve sa source dans le célèbre livre IV de l’Enéide de Virgile, Henry Purcell (1658-1695) brode une œuvre très courte (une heure) mais dense, autour de la destinée – fate, notion fondamentale qui revient sans cesse – de ses deux personnages. Deux destins se croisent, s’entremêlent, veulent oublier un temps qu’ils sont contradictoires: la fin inévitable n’en sera que plus cruelle.

Il faut s’accrocher la première fois que l’on décide de se rendre aux Ateliers du Festival, à Venelles, dans les alentours d’Aix: le site Internet du Festival ne donne que fort peu d’indications, et des plus vagues, sur la localisation de l’endroit, et ce n’est pas une fois sur place que l’on peut espérer une signalisation bien visible pour venir en aide aux mélomanes de passage. Coincés au fond d’un parking à côté du magasin d’une grande chaîne de surgelés, lesdits Ateliers ne correspondent pas vraiment, vus de l’extérieur, à l’idée qu’on peut se faire d’un lieu destiné à accueillir des représentations d’opéra (même si effectivement, on pourra objecter qu’ils n’étaient à l’origine pas destinés à cela).

Toutefois l’aventure vaut la peine d’être tentée lorsque c’est pour assister à l’une des représentations données cet été, durant toute la durée du Festival, de l’opéra de Purcell. La petite taille de la salle et de la scène a été idéalement exploitée: en l’absence de fosse, les instrumentistes entourent les solistes, violonistes et altistes côté jardin, sur une sorte de grand escalier, tandis que côté cour, c’est sur la scène même que se trouve le continuo: violoncelle, théorbe, viole de gambe et clavecin à partir duquel Kenneth Weiss dirige le tout. Cette direction depuis le clavecin est conforme à ce qui se pratiquait à l’époque, bien avant l’invention du chef d’orchestre au sens moderne; détail qui ne signifie pas pour autant que la reconstitution fidèle des conditions de représentations de l’époque soit la priorité ici.

Pour la mise en scène, Jacques Osinski a opté pour l’épure: costumes sobres et intemporels pour les trois personnages principaux (un peu plus "ornés" seulement pour les trois sorcières et l’esprit), absence de décors. On pourra en regretter le caractère parfois un peu statique, tout particulièrement à l’acte II pendant la moitié duquel Didon et Enée restent assis, immobiles, au fond de la scène. Toujours est-il que ce minimalisme de moyens sert admirablement d’écrin pour une représentation où l’émotion, au contraire, maximale.

Si le surnaturel n’est pas absent de la version de l’histoire proposée par Tate et par Purcell, on y fait en revanche l’économie des dieux. Il suffit, au besoin, de se faire passer pour eux. Par ailleurs, eût égard, sans doute, aux interprètes pour lesquelles l’opéra avait été originellement prévu, le suicide final de Didon sur son bûcher disparaît: Didon s’y laisse "simplement" mourir. Sans l’affaiblir (grâce en partie à la musique passionnée composée par Purcell), ces transformations rendent au mythe sa dimension humaine. Banni le spectaculaire, la tragédie se fait intime et d’autant plus poignante.

Si Adam Green, en Enée, fait parfois un peu potiche, c’est que le rôle, dans une certaine mesure, le veut. Jacques Osinski l’a bien compris: ce sont les femmes qui sont les véritables protagonistes de l’opéra. Les interprétations très expressives – qui parfois se colorent d’intonations proches du parler, sans perdre pour autant de leur musicalité – des chanteuses, en particulier de Jennifer Johnston (Didon) et de Judith van Wanroij (Belinda), participent à la grande réussite de cette mise en scène. Dans le lamento final de la mort de Didon, on touche définitivement au sublime. Digne conclusion d’une heure de représentation particulièrement marquante, où le talent du chef d’orchestre et du metteur en scène, d’une part, qui ont su tirer le meilleur parti des conditions qui leur été imposées, et celui des jeunes interprètes, dont on espère qu’ils continueront dans cette voie, d’autre part, se seront conjugués pour offrir au public aixois un grand moment de musique et d’émotion.

11.7.06

La forteresse cachée

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Pour se faire un peu d’argent de poche, histoire de mettre du beurre dans les épinards, comme on dit, certains étudiants se font engager comme caissier de librairie, vendeur de chaussures, secrétaire dans un laboratoire de prothèse dentaire, voire pour les moins chanceux pompiste dans un coin de cambrousse ou bloqué toute la nuit dans une baraque de péage autoroutier. La spécialité des étudiants d’une certaine Grande Ecole – que je ne vous ferai pas l’injure de nommer, vous voyez très bien de laquelle je parle –, ce serait plutôt de se faire payer pour déchiffrer et traduire des documents anciens illisibles pour le commun des mortels.

Tout ça pour dire que Sophie avait une charte à récupérer à Beaucaire et qu’elle a profité de l’occasion pour que nous y allions faire un tour samedi. Je ne vous fais pas le récit complet de la journée, en fait on a surtout déambulé dans le centre historique, et notamment on a passé pas mal de temps à tourner pour découvrir comment on faisait pour entrer dans le château et le visiter, pour finalement découvrir qu’il ne se visitait pas (en fait il y a un spectacle privé avec des rapaces qui s’est installé dans les locaux, tant qu’ils seront là il est impossible d’aller y voir autre chose, vu qu’ils ont pris possession de l’intégralité des lieux: matos entreposé dans la chapelle, etc.). Une manière moderne de rendre la forteresse... imprenable!... par les touristes ;-)

Côté ambiance dans la ville, ça avait l’air un peu mort, mais on nous a assuré que c’est parce que tout le monde était à la plage. Par ailleurs il faut bien dire que la "propreté" des rues est digne de Marseille... Par contre, il y a de vieux hôtels particuliers avec de rudement chouettes façades.

Il y a aussi pas mal de choses à voir à ou autour de Beaucaire, mais bon, on n’a pas pu trop s’attarder vu que le soir on devait rentrer pour aller écouter Didon et Enée de Purcell au Festival d’Aix.

....mais ceci est en autre post.

En l’attendant voici toute une salve de photos (ça faisait longtemps n’est-ce pas?)

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...et parce que je suis toujours aussi amoureux (et qu’il paraît que ça se voit ;-D)

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7.7.06

Un Georges Braque méconnu au musée Cantini

Comment faire lorsqu’on est un musée d’art contemporain niché au cœur d’une ruelle de Marseille, que l’on voudrait bien profiter de l’année Cézanne mais qu’une grande exposition sise dans la ville voisine, la rivale historique, l’ennemie héréditaire (Aix-en-Provence en l’occurrence), draine déjà tous les visiteurs?

La réponse est simple, mais il fallait y penser: il suffit d’organiser une exposition sur un autre peintre célèbre qui a subi l’influence de Cézanne. Quitte, pour enfoncer le clou, à ouvrir l’exposition par deux grandes reproductions de Cézanne en noir et blanc...

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[Braque, L’Estaque, octobre 1906.]

Plaisanterie à part, l’exposition Georges Braque et le paysage. De l’Estaque à Varengeville, 1906-1963 que le Musée Cantini présente pendant trois mois possède surtout une particularité qui tient à la fois du défaut et de la qualité, celle de nous faire découvrir un Georges Braque méconnu. Que les deux dates du titre de l’exposition ne nous abusent pas: il ne s’agit pas de retracer l’intégralité d’un parcours, car l’exposition s’attache à deux périodes de la carrière du peintre, au début et à la fin.

Braque paysagiste: l’affirmation a de quoi surprendre si l’on pense aux œuvres cubistes puis abstraites et aux collages qui ont fait sa popularité. C’est bien pourtant par là que commença le peintre, dans des toiles où se lit sans difficulté l’adhésion à différents courants du début du siècle: la fauvisme surtout, puis un bref passage par le pointillisme avant d’en venir au cubisme cézannien. À ce sujet, une petite expérience est à conseiller au visiteur: aller faire un tour à l’étage du côté des collections permanentes, où il pourra comparer une vue de l’Estaque selon Braque (influence Cézanne) peinte en 1908 à une autre vue peinte par Raoul Dufy la même année et.... à peu près identique!

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[Dufy, L’Estaque, 1908.]

Est-ce à dire que le jeune peintre ne fait pas preuve d’une folle originalité à cette époque de sa carrière? Eh bien... c’est en effet ce qu’il semblerait. Non que son œuvre soit inintéressante, mais on est loin des qualités qui seront développées dans la suite de l’œuvre de Braque. Seulement, de cela, le visiteur de l’exposition n’aura pas forcément l’occasion de s’en rendre compte car à peine la séquence des œuvres de jeunesse est-elle finie que nous voilà face à d’autres réalisées... plusieurs décennies plus tard.

Dans les années 50 Braque revient en effet au figuratisme. Si les peintures présentées ne sont pas forcément révolutionnaires, le fait qu’elles aient été réalisées dans les années 1950 est en soi plus original, si l’on considère les critères qui avaient la côte dans le monde de l’art en ce temps-là. Prenant à rebours une modernité dont il fut l’un des piliers, le peintre se réinvente, semble chercher ses sources d’inspiration du côté des romantiques (les lavis de Victor Hugo par exemple semblent en faire partie), notamment avec des marines assez fascinantes, dont celle-ci (à laquelle la reproduction ici présentée, trouvée sur le net, ne rend pas tout à fait justice):

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[Braque, Barque sur la grève (marine noire), 1960]

Au final, que reprocher à l’exposition du musée Cantini? Peut-être, justement, d’être trop restrictive: le nombre de toiles exposées (une trentaine) n’est pas phénoménal – on peut même s’étonner de ne pas retrouver certaines toiles produites l’an dernier lors de l’exposition Sous le soleil exactement à la Vieille Charité, et qui auraient pu convenir au sujet de celle-ci –, et le fait que le choix présenté élude totalement la partie la plus connue, mais aussi sans doute la plus intéressante, de l’œuvre de Braque n’en fait pas une introduction idéale à qui ignorerait tout ou presque de celle-ci. Au prix (dérisoire) de l’entrée, on ne peut pas trop se plaindre, mais une exposition plus fournie et complète, qui aurait présenté à la fois le Georges Braque méconnu et celui de sa principale période d’inspiration, eût été d’autant plus intéressante.

2.7.06

Macarons et jeunes dentelles

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Il y a des films qui sortent précédés d’un tel buzz qu’il est difficile de l’ignorer. Dans le cas du Marie-Antoinette de Sofia Coppola, les choses sont encore plus compliquées car le film a lancé à son tour une véritable "folie" Marie-Antoinette: couvertures de magazines à n’en plus finir, biographies de la reine qui s’arrachent, et pour couronner le tout le château de Versailles qui prévoit de financer des restaurations en commercialisant, le temps d’un tirage de luxe très limité, un parfum porté par Marie-Antoinette (ceux qui connaissent un peu le XVIIIe siècle savent qu’il faut craindre le pire!). Avant même la présentation du film lors du Festival de Cannes, beaucoup avait donc déjà été dit sur le film, pour ou contre, et ça ne s’est pas arrêté ensuite.

À ranger dans la catégorie des "pour", le nom de la réalisatrice, déjà. En 2003 Lost in translation son second long confirmait tous les espoirs placés en la jeune réalisatrice par son premier film Virgin Suicides (1999). C’était désormais officiel: la fille de Francis s’était fait un prénom. Or, aujourd’hui, on assiste à un phénomène d’une toute autre ampleur: Sofia a réussi à se re-faire un nom. Il n’est pas rare en effet, et ce même dans des colonnes hostiles à Marie-Antoinette, d’entre désormais parler du «style Coppola» pour qualifier l’esthétique de la réalisatrice. Le fait que le patriarche du clan semble s’être retiré de derrière les caméras (en tout cas cela fait bien longtemps que l’on est sans nouvelle) peut bien sûr jouer, mais cela n’explique pas tout.

En revanche, l’annonce des partis pris de ladite réalisatrice pour son film historique avait de quoi effrayer et défrayer. La bande-son à elle seule, faisant la part belle à des groupes rock des années 80 – un choix rare, on en conviendra, pour un film se situant au XVIIIe, et encore plus rarement réussi –, avait de quoi inquiéter les esprits les plus favorables, sans même parler de ceux qui s’indignaient d’avance de voir notre Très Sainte Histoire de France relue et retouchée par une Américaine. L’annonce qu’une paire de Converse roses se glissait au sein du film a dû en achever certains.

Et au milieu de tout ça, l’une des figures les plus controversées de l’Histoire de France, bien souvent enfermée dans les plus extrêmes stéréotypes: la maman et la putain, le monstre et la martyre...

Mais assez parlé du contexte, car au final, une seule chose importe vraiment: ce film est-il oui ou non une réussite (et en admettant que oui, dans quelle mesure exactement)?

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Or la réponse est un Oui enthousiaste et quasi sans réserve.

Dès les premiers instants, Sofia annonce clairement la couleur et déjoue du même coup toutes les critiques qu’on pouvait lui adresser. Titres rose fushia sur fond noir, le générique ne tolère qu’un seul plan de coupe: Marie-Antoinette, allongée languissante dans une sorte de déshabillé, entourée de pyramides de gâteaux (roses aussi) qu’elle goûte d’un doigt distrait pendant qu’une servante s’occupe de ses chaussures... bref, le pur cliché. Le tout avec un accompagnement musical agressivement anachronique. Mais mais mais... voilà que le film commence pour de bon, que nous nous retrouvons avec ce qui ressemble fort à une référence à Fragonard (Marie-Antoinette en jeune fille au petit chien), et que tout se retourne.... Magie du charme qui opère d’un seul coup. – Bon là il faut être juste et rendre à César ce qui est à César: un générique sur fond noir avec musique en décalage, un seul plan de coupe qui piège le spectateur, puis un retournement complet des attentes, soit c’est l’une des plus grandes coïncidences jamais vues au cinéma, soit pour le coup la réalisatrice a tout fauché à Eyes wide shut de Kubrick. Mais c’est tellement bien fait et bien intégré à son propre propos qu’on lui pardonne aisément. À moins que je me goure complètement dans mon analyse, qu’il n’y ait pas plus de référence à Kubrick qu’à Fragonard, que je fantasme complètement... ce qui est possible aussi... mais tout de même.....

Pendant qu’on y est, adoptons nous aussi le principe et commençons par balayer les critiques d’un revers de la main, afin de pouvoir ensuite nous concentrer sur le directement positif.

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Une vision fantaisiste de l’histoire? Tout d’abord, par principe, la nécessité pour un réalisateur ou une réalisatrice de faire œuvre d’exact(e) historien(ne) a de quoi faire largement débat. Ensuite... eh bien justement – pour autant que je puisse en juger bien sûr –, cette vision est loin d’être aussi fantaisiste que le buzz (toujours lui) pouvait ne le faire redouter. Je ne parle ici, ni de ce que l’on pourrait reprocher au film "d’oublier" de traiter (je reviendrais notamment plus loin sur le traitement de l’aspect politique de la vie de l’héroïne), ni de la psychologie prêtée aux personnages, toutes choses qui n’ont de compte à rendre qu’au regard de la vision de la réalisatrice et de ses choix de mise en scène. Pour ce qui concerne les faits historiques proprement dits, Sofia Coppola au contraire se montre bien plus respectueuse de la matière que beaucoup avant (et sans doute après) elle. Le principal écart qu’elle se permet est sans doute la liaison prêtée à la reine avec le bel officiel suédois Axel Fersen, point toujours âprement débattu par les historiens. Pour le reste, il faut vraiment s’y connaître pour détecter que telle scène placée par la réalisatrice au lendemain de la nuit de noces n’eût lieu que bien plus tard, ou que le fils nouveau-né de la comtesse de Provence n’est pas le futur duc d’Angoulême. Revoyez Si Versailles m’était conté de Guitry (1954) – un très chouette film au demeurant –, et après l’on reparlera du traitement que la méchante Américaine fait "subir" à notre belle Histoire.

(Bon d’accord, c’est vrai que la Du Barry jouée par Asia Argento, dans le plus pur registre asia-argentoesque, pour le coup c’est franchement too much... Mais faut-il pour autant s’insurger, là encore, de ce qu’une réalisatrice d’outre-Atlantique vienne présenter une vision jugée "décadente" de la cour, alors qu’on n’adresse pas de reproches aux réalisateurs français qui font de même, et parfois avec moins de talent?)

Autre pierre d’achoppement, cette fameuse musique, où New Order, Bow Wow Wow, Siouxsie and the Banshees et autres Radio Dept., sans oublier les vieux complices de Air, sont convoqués sous les lambris de Versailles. Si je dois bien avouer que je n’ai pas la moindre idée des motivations de la réalisatrice à l’origine de ce choix, je ne peux que constater que le résultat final est des plus intéressants et, ce qui ne gâte rien, agréables. Bien évidemment, les musiques relevant la diégèse du film sont "d’époque" (essentiellement du Rameau), tandis que la musique eighties sert pour les musiques d’ambiance – à quelques exceptions près où le partage est plus dur à déterminer (ainsi de l’ébouriffante scène de bal masqué). L’alternance est plutôt plaisante. Bon allez, je vais faire la fine bouche, le choix de «Fools Rush In» de Bow Wow Wow au retour du bal est peut-être une erreur (on flirte avec le mickeymousing). Mais la réalisatrice se rattrape quelques plans plus loin, provoquant chez votre serviteur l’angoisse de savoir s’il pourra à l’avenir réécouter «Plainsong» de The Cure sans repenser à la scène de l’intronisation (la réponse est oui, je vous rassure, mais pfiou, eh oh, hein).

Pour ma part, ma principale inquiétude avant d’aller voir le film était la suivante: si Francis Ford Coppola était plus à l’aise dans la grande fresque (Le Parrain, Apocalypse Now...) que dans les ambiances plus intimistes, sa fille quant à elle avait plutôt jusque-là excellé dans ce dernier domaine et la voir s’atteler au genre de la superproduction historique n’était pas sans éveiller en mois des craintes obscures. La réalisatrice transforme l’essai tout simplement en conservant son style: Marie-Antoinette sera donc à la fois un film historique et un film d’ambiance; le récit d’une destinée hors du commun où l’attention première est donnée aux détails quotidiens.

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L’une des qualités, et non des moindres, de la méthode, est de permettre au film d’échapper à ces visions tranchées et manichéennes du personnage de Marie-Antoinette que je signalais plus haut. En y appliquant le même procédé de petites touches qu’elle avait déjà utilisé pour peindre les sœurs Lisbon ou le couple Charlotte / Bob, Sofia Coppola dresse un portrait tout en subtilité qui n’écarte les défauts du modèle pas plus qu’il n’en masque les traits plus positifs (souvent plus méconnus). Il faut aussi signaler un travail sur la répétition tout à fait exemplaire – et je vous demande d’en croire un gars qui a subi... euh suivi tout un séminaire sur la répétition au cinéma, et a dû pendant tout un semestre se taper un certain nombre d’horreurs soporifiques dans le genre, de Marienbad de Resnais au Sacrifice de Tarkovsky en passant par Nouvelle Vague de Godard. Elle marque aussi bien les variations d’état d’âme du personnage (la marche à travers le couloir), sa progressive déchéance sociale (la scène répétée des applaudissements à l’Opéra), mais aussi une certaine grandeur (lorsque le rituel de la cour vient se briser contre l’arrivée de l’Histoire). Au sein d’un univers que l’étiquette régit au millimètre, la Marie-Antoinette de Sofia Coppola pourrait presque être une adolescente de tous les temps (même si surtout du nôtre, en fait), tentant d’échapper tant bien que mal aux règles qu’on lui impose, fuyant ses problèmes personnels dans une frénésie consumériste (fêtes et jeux, sucreries en tout genres, fringues, chaussures et perruques extravagantes) tout en s’amusant avec ses copines (la Lamballe et la Polignac semblent des échappées de Sex and the city). Mais l’adolescente est aussi une reine. Dès son arrivée en France au terme d’un cérémonial éprouvant, elle est déjà la cible des piques des dames de la cour («Voilà l’Autrichienne.», souffle l’une; «J’espère que vous aimez les strüdels.» ironise l’autre). L’arrivée à la cour se fait par le passage d’une galerie étouffante de visages inquisiteurs et fermés, la détaillant et la jugeant. Par la suite, la mise en scène articule les fastes du décor (rarement Versailles aura été autant magnifié au cinéma), d’une part, et, d’autre part, les vexations et contumélies que la jeune fille y subit tandis qu’elle cherche à y trouver sa place. C’est que les deux éléments, conjointement, lui interdisent une vie ordinaire. Ses problèmes de couple (un mariage dont la consommation est perpétuellement remise), ses attitudes envers tel ou telle, ses frasques réelles ou supposées, ont des répercutions politiques. Or le politique, c’est ce que Sofia Coppola donne l’impression de ne presque jamais montrer... jusqu’à l’apocalypse finale – terme à entendre dans son double sens, commun et étymologique: dévastation et révélation.

Sofia Coppola choisit de situer la quasi-intégralité de son film à Versailles. Entre le carrosse qui amène la jeune fille en France et celui qui fait quitter à la reine le château assiégé par la foule, le parcours de Marie-Antoinette est un vaste voyage immobile. À l’exception d’une courte escapade le temps d’un bal masqué – mais c’est précisément parce qu’ils masquent leur identité que la dauphine, ses amies et son mari peuvent s’évader, pour une nuit, de la cour, enfreignant l’étiquette qui leur interdit de se rendre à Paris sans motif officiel –, tout le film se situe en vase clos à l’intérieur de Versailles, à la fois prison dorée et bulle coupée de l’extérieur. Une séparation que la reine ne fera que redoubler en s’enfermant au Petit Trianon, dont le charme bucolique ne cache pas vraiment sa qualité d’imitation d’un extérieur réel totalement idéalisé (ce qui devient particulièrement manifeste dans la représentation donnée où Marie-Antoinette joue elle-même, sur scène, les bergères de convention). Mais pendant que la reine virevolte dans les prés avec sa petite fille, ou passe des soirées convenablement arrosées en bonne compagnie, la marche de l’Histoire, dehors, elle, suit son cours. Les signes du malheur à venir sont pourtant bien là – certains manifestes, telle cette prière du tout nouveau roi à l’annonce de la mort de Louis XV («Seigneur, guide-nous, protège-nous: nous sommes trop jeunes pour régner.»), d’autres plus diffus (ainsi de cette phrase, passant beaucoup plus inaperçue, de l’une des compagnes de la reine, constatant au hameau: «Je crois que cette fraise est gâtée...»).

La réalisatrice a le bon goût de nous éviter la représentation du peuple par un ou deux personnages "symboles". Il reste une entité invisible, dont on entend seulement parfois la voix – off... Pourtant, hors du cadre où évoluent les personnages du film, il va son propre train, et devient, même, de plus en plus menaçant. – Si vous voulez un bel exemple du travail cinématographique sur le cliché, le traitement de la célèbre phrase pseudo-historique sur les brioches est un modèle du genre: Marie-Antoinette apparaît comme une hideuse caricature d’elle-même, véritable sorcière toute ornée de pierreries... vision aussitôt démentie par la "vraie" Marie-Antoinette, dénonçant l’absurdité d’une telle réplique. Pas question de s’abaisser à répondre: ça leur passera, pense-t-elle, incapable de juger du danger que représente une telle vision d’elle adoptée par un peuple entier. – Le temps passe, symbolisé par une succession de tableaux accrochés et décrochés sur un mur nu (on songe à Colonel Blimp de Powell et Pressburger...); et sur certains, les accusations portées contre la reine s’inscrivent désormais en toutes lettres. – Et puis voici la foule qui surgit dans Versailles. Là encore, pas d’individuation: ce n’est qu’une masse, vue de dos, noyée dans la lumière et la fumée des flambeaux. La reine sort, s’incline: pour la première fois elle (et la caméra avec elle) regarde(nt) le peuple en face. Mais ce n’est qu’un instant. Bientôt le peuple redevient cet extérieur menaçant: horde d’aliens avides de sang et de saccage. Trop tard, de part et d’autre, pour songer désormais à faire marche en arrière...

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À moins de s’enfermer dès le départ dans une aveugle opposition de principe, il me semble difficile de ne pas se laisser prendre au charme d’un film dont les défauts se comptent sur les doigts de la main (même si bon, je dis ça, mais après, chacun est libre de ses goûts et couleurs, bien sûr!). Dirigeant avec autant de talent ses acteurs – Kristin Dunst et Jason Schwartzman bien sûr en premier lieu (le couple royal), mais presque toute la distribution est impeccable – que sa caméra, Sofia Coppola évite le piège du monumentalisme mais, sans prendre l’air de vouloir asséner une leçon de cinéma, construit d’un pinceau lumineux un film où ne manquent ni l’intelligence, ni l’émotion, ni la grâce. Et s’entête à confirmer encore et toujours, film après film, tout le bien qu’on pense d’elle.

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